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Diaspora - Jessica Horn : mosaïque assumée de toutes les Afriques

  Société, #

Elle nous donne rendez-vous à 13 heures dans Soho, un quartier branché du centre de Londres, connu pour sa mixité sociale, nous proposant de déjeuner dans un restaurant thaïlandais à quelques rues de là, sur Wardour Street. Jessica Horn connaît bien Londres pour y être née il y a 36 ans, d'un papa américain et d'une maman ougandaise. Avec un accent mi-britannique, mi-américain, mâtiné de sonorités est-africaines, la jeune femme nous fait le récit de ses souvenirs d'enfance.

Un parcours international et multiculturel

Jessica Horn lors d'une conférence. © JH

" Mon père était professeur de littérature africaine postcoloniale. Après un premier poste en Zambie, il a effectué sa carrière dans différents pays du continent. Il a rencontré ma mère en soirée alors qu'il était en poste à Kampala ", commence-t-elle à expliquer. La jeune femme grandit au Lesotho à une époque où la lutte antiapartheid est encore vive, dans un environnement " socialiste, de gauche, marxiste, panafricaniste et tiers-mondiste ". À 6 ans, elle déménage dans les îles Fidji où son père est à la tête du département d'anglais de l'université du Pacifique Sud. Elle y développe une sensibilité aux luttes d'indépendance et à leurs interconnexions à travers le monde. " Pas étonnant qu'avec tout ça, je me retrouve à travailler dans les droits de l'homme et la défense des activistes ! " lance-t-elle dans un éclat de rire. À 10 ans, son père fait un échange universitaire et enseigne pendant six mois à Paris-VIII. Jessica Horn est alors scolarisée en français, langue avec laquelle elle a intentionnellement gardé un lien en grandissant parce que " trop souvent les anglophones ne font pas l'effort de parler en français ". Parler la langue de l'Autre, pour la jeune femme, c'est également s'ouvrir à de nouveaux horizons de pensée, de création, de travail, d'idées. " Le langage est le premier pont que l'on jette vers autrui. Et pour qui travaille sur le continent, le français est essentiel. " Jessica Horn parle donc anglais, français... Et swahili ! " Nous n'avons pas vécu entourés de personnes en provenance des Grands Lacs, donc je n'ai jamais entendu ma mère parler sa langue. Du coup, à l'université, j'ai fait un échange au Kenya où j'ai appris le swahili. Même si c'est une langue peu parlée en Ouganda, c'est ce qui se rapproche le plus d'une lingua franca pour la région. "

 

Son identité africaine, un choix

L'allure et l'esthétique de Jessica Horn respirent l'Afrique. © JH

Ses études participent à entretenir son sentiment d'appartenance internationale et son intérêt pour le changement social. Elle partage ainsi son lycée avec des élèves de 85 pays différents, au sein du United World College du Nouveau-Mexique (États-Unis), une école qui promeut le dialogue interculturel. " D'avoir grandi dans tant d'endroits différents a fait de moi quelqu'un de fasciné par l'anthropologie. En raison de mon engagement féministe et de mon intérêt pour la santé, je me suis retrouvée à étudier l'anthropologie médicale au Smith College, une université réservée aux femmes dans le Massachusetts. Après cela, je suis revenue à Londres faire un master Gender and Development à la London School of Economics. " Son identité africaine est un choix, le résultat d'une réflexion profonde sur son appartenance au monde. " J'ai voyagé dans 16 pays africains, je me sens profondément connectée à l'Afrique ", dit-elle. N'ayant pas grandi aux États-Unis, Jessica Horn ne s'est jamais sentie américaine. " Pour être honnête, ce à quoi je m'identifiais le plus en grandissant, c'était le tiers-mondisme. Je me sentais solidaire de la population en Amérique latine, au Moyen-Orient, en Afrique, dans le Pacifique. C'est surtout cette solidarité qui a défini mon identité. " La jeune femme se perçoit comme quelqu'un qui ne rentre dans aucune case. " Je ne me sens pas métisse parce que je n'ai jamais habité en Ouganda. Dans tous les pays où j'ai vécu, on me percevait plus comme étrangère et non comme le fruit d'un métissage. " Son identification à l'Afrique de l'Est ne viendra que plus tard. Quand elle réalisera que l'héritage de sa mère - les valeurs qu'elle lui a transmises, son " esthétique ", sa façon d'interagir avec le monde - la rattache à cette région. " Mais tout cela, je ne l'ai compris que par la suite, le jour où j'ai rencontré pour la première fois des Est-Africains. C'est là que j'ai réalisé tout ce que j'avais en commun avec eux. " Les nations et le nationalisme, Jessica Horn n'aime pas ça. La seule notion d'appartenance qui ait jamais eu de sens à ses yeux est celle des appartenances transnationales. " L'identité est un construit. Je décide de me percevoir comme africaine, comme noire et comme féministe. Mon identité est politique avant d'être géographique. "

 

Une Afro-féministe assumée

Jessica Horn, c'est un peu la Geraldine Doyle d'aujourd'hui. Une Geraldine Doyle africaine. Quand elle parle des femmes, son visage s'illumine. " J'ai toujours été intéressée par le rapport des femmes à leurs corps ; ce rapport si souvent marqué par des questions de violence ou de santé. Cela vient sans doute du fait que ma mère était infirmière et sage-femme, spécialisée en santé publique. " Les femmes ont toujours été un fil conducteur dans la vie de Jessica Horn. Un premier emploi dans une ONG de femmes africaines à Londres l'amène à travailler sur les questions de santé reproductive. De là, elle trouve un poste au sein d'une entité qui finance des projets dans le domaine des droits de l'homme où elle est en charge de projets concernant les femmes et les minorités. Elle quitte ensuite Londres pour la Sierra Leone où elle vivra pendant trois ans, puis pour le Pakistan. L'activiste y travaille en tant que free-lance pour des ONG, des agences de l'ONU, des donateurs privés et des philanthropes.

Proche des praticiens de terrain

Après ces expériences à l'étranger, elle revient s'installer à Londres où elle participe, toujours en indépendante, à la construction d'un nouveau projet AIR ( www.airforafrica.org). Il s'agit de créer un réseau de praticiens et d'activistes travaillant sur les réponses à apporter aux violences faites aux femmes, ainsi qu'aux malades du sida, aussi bien physiques que psychologiques. Elle a même eu à travailler avec l'hôpital Panzi en RD Congo dans le Bukavu, fondé par le célèbre Dr Denis Mukwege. " Une part importante de mon travail quotidien consistait à faire entendre la voix des praticiens africains, à donner une meilleure visibilité aux méthodes africaines. " S'il y a une chose que Jessica Horn tient à dire, c'est bien que le monde a une perception erronée de l'Afrique. " Il y a une innovation incroyable en Afrique dans le domaine de la réparation des traumas dont on n'entend jamais parler. Le continent est encore défini par les mêmes dynamiques coloniales : on répète partout l'idée fausse que les Africains n'ont pas d'idées, pas de savoirs et pas d'expertise ! "

Répondre à l'appel de l'Afrique

Jessica Horn, un regard panafricain. © JH

Dans 24 heures, Jessica Horn prend l'Eurostar pour Bruxelles où elle a été invitée à participer à une conférence sur l'intégrisme et les violences faites à la gent féminine. À la fin du mois, elle quittera Londres définitivement pour s'installer au Ghana. Elle y travaillera pour l'African Women Development Fund (AWDF). Elle sera en charge de financer des opérations destinées à aider de nombreuses Africaines à mieux s'organiser pour qu'elles transforment leur environnement. " J'ai tant appris à leur contact. J'en ai vu tellement se lever et remettre en question l'ordre établi... L'idée qu'elles soient toutes opprimées est tout sauf vraie. Elles sont d'une combativité dont la résilience n'est plus à prouver. " La trentenaire, prise par l'émotion, devient intarissable. " On a ce préjugé que ce sont les hommes qui tiennent les cordons de la bourse, mais, dans beaucoup de pays africains, ce sont les femmes qui sont aux commandes. Dans certaines régions, elles sont même à la tête du négoce des matières premières. J'ai rencontré des femmes résistantes qui avaient même mené des hommes au combat pendant les luttes d'indépendance ! " Pour Jessica Horn, il n'y a pas plus grande injustice que celle que l'Histoire a fait subir aux femmes du continent en oubliant de raconter leur participation au changement. " Leur dynamisme est incroyable. Je suis toujours émerveillée par leur énergie et c'est pour cela que j'ai choisi de travailler avec des organisations qui les prennent en charge. " La militante nous quitte, bien décidée à affronter la pluie battante, avant de s'engouffrer dans la bouche du métro, son foulard noué au-dessus du front, sorte d'allégorie de la femme africaine, forte et courageuse, qu'elle sait incarner avec tant de passion.

 



Source : afrique.lepoint.fr


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michel
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