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Edna Adan, la sage-femme qui a donné naissance au Somaliland

  Société, #, #TDI

" Ça, c'est moi. " La photo d'un lion à la crinière abondante luit sous les néons. Sa mâchoire paresseusement entrouverte embrasse la savane. On s'étonne. Edna Adan, qui a pointé son index parfaitement manucuré vers l'image, est plutôt lionne. Et même de celles qui en remontrent aux mâles. A voir cette force de la nature arpenter au pas de course l'hôpital qu'elle a fait construire dans sa ville natale d'Hargeisa, on peine à croire que la dame a 78 ans. Son nom figure cette année sur la liste des candidats au prix Sakharov pour la liberté de l'esprit, dévoilée le 10 septembre. Il y a deux mois encore, elle mettait des enfants au monde. Des dizaines de milliers de nouveau-nés ont vu le jour dans ses mains. " J'ai presque accouché d'un pays ", sourit-elle.

Presque, car le Somaliland, dont la dame fut la première sage-femme et ministre des affaires étrangères, ne figure sur aucune mappemonde. Aux yeux de la communauté internationale, cette langue de terre de la Corne de l' Afrique, baignée par les eaux du golfe d'Aden, n'est qu'une région autonome de la Somalie. L'ancien protectorat britannique du même nom a été souverain une poignée de jours, avant son rattachement, en 1960, à la Somalie italienne voisine. L'union mal arrangée s'est soldée par une guerre civile et l'indépendance autoproclamée du Nord en 1991.

La prison et l'exil

Ces années troubles se lisent comme un livre d'images sur un pan de mur du bureau d'Edna Adan. Sur les clichés pâlis, on la découvre jeune et souriante dans un uniforme de l' armée somalienne. Puis permanentée et d'une rare élégance aux bras de son premier mari, Mohamed Ibrahim Egal, rencontré au Royaume-Uni. Le couple pose en compagnie du président américain Lyndon Johnson.

L'époux, aujourd'hui disparu, dirigeait le gouvernement somalien au moment du coup d'Etat de Siad Barre en 1969. Arrêté puis incarcéré par le régime putschiste, il passera six ans en prison. Sa femme quelques jours pour " activités antirévolutionnaires ". Poussée à l'exil par les combats, la militante réussira à fuir le pays avant de voir Hargeisa, la capitale du Nord rebelle, rasée par les bombes des Mig 21 du régime communiste.

La ville est encore un tas de ruines quand Mohamed Ibrahim Egal, dont Edna Adan a divorcé, devient le premier président du Somaliland, en 1993. C'est lui qui confie à son ex-épouse la mission d'assurer la représentation diplomatique du jeune Etat en quête de reconnaissance. Tâche ingrate et infiniment frustrante. Personne alors ne veut entendre parler de ce bout du monde sécessionniste et décharné. " J'étais la seule ministre au monde sans ambassade. La seule à devoir se traîner dans les cafés Internet pour lire ses mails ", se souvient-elle.

" Petite république " hospitalière

Edna Adan sert aujourd'hui son pays loin des officines et des ministères. Elle a, dit-elle, " entièrement recyclé sa vie il y a dix-sept ans " pour bâtir sa " petite république " hospitalière. Ce centre, dont elle a supervisé chaque étape des travaux, allant jusqu'à maçonner elle-même cinq ou six briques, s'étend sur quelques milliers de mètres carrés, au sud d'Hargeisa. Un havre de paix niché au cœur d'une capitale sillonnée de Toyota tout terrain, aux ruelles sablonneuses que se disputent, dans un chaos paisible, chèvres, dromadaires et marcheurs tranquilles. De la terrasse du bâtiment principal, par-delà les toits de tôles rouges, se découpent deux montagnes parfaitement coniques, surnommés les " seins de la jeune fille ". En contrebas, une mosquée blanche d'où résonne l'appel à la prière du soir.

Toutes les économies de l'ancienne diplomate sont passées dans l'édification du complexe. Ses biens, sa retraite de l'OMS... " A quoi m'auraient servi une Mercedes et des bijoux en or ? Un collier en bois fait l'affaire ", assure-t-elle. La construction a coûté près de 400 000 dollars, dont 300 000 qu'elle a versés de sa poche. " Edna ", comme l'appellent simplement ses compatriotes, a pu également compter sur la solidarité de la diaspora, les dons de quelques pays amis et le soutien des entrepreneurs locaux. Quant à son modeste appartement, il occupe quelques dizaines de mètres carrés au premier étage du bâtiment central. La porte est toujours ouverte, de jour comme de nuit.

Depuis 2002, 17 082 bébés ont vu le jour dans la clinique, dont 1 974 par césarienne. Le complexe, qui a enregistré plus de 158 000 visites, sert également de centre de vaccination et compte un laboratoire d' analyses ainsi qu'un supermarché. Toutes les six semaines se tiennent des sessions chirurgicales pendant lesquelles des dizaines d'opérations sont pratiquées. Les murs de béton nu d'une université en voie de finition se dressent à l'extérieur. " L'idée de départ était de créer une maternité, mais on ne peut pas refuser de soigner les gens. Le plus important, maintenant, c'est la formation des personnels de santé, explique la patronne. Et pour cela, nous avons besoin de toute l'aide possible, de Médecins du monde notamment. Il faut que les Français reviennent. "

En lutte contre les mutilations génitales

Elle-même a passé une grande partie de sa vie à transmettre un savoir acquis à la fin des années 1950 dans les amphithéâtres anglais. Encouragée par un père médecin, " très ouvert et généreux ", elle est devenue en 1961 la première accoucheuse assermentée de Somalie. " L'hôpital d'Hargeisa ne m'a pas payée pendant presque un an et demi. Je n'entrais dans aucune case connue ", raconte-t-elle dans un français parfait, hérité de ses années de lycée à Djibouti. Aujourd'hui, les photos des promotions de sages-femmes qu'elle a formées s'affichent dans une des salles du centre. L'actuelle première dame, dont elle a mis trois enfants au monde, a été une de ses élèves. Mais il y a encore beaucoup à faire : " Une femme est venue ici enceinte de son 21e enfant... ", dit-elle. Et il faut se battre pour faire accepter à certaines les césariennes, faire comprendre aux maris l'importance de l'espacement des naissances. " Donnez deux ans à votre épouse ", leur répète-t-elle.

Accoucher n'est jamais simple. La vieille dame porte encore sur le front les marques des forceps utilisés par les médecins pour la sortir du ventre de sa mère. Et dans un repli infiniment intime les cicatrices de son excision. Aujourd'hui encore, 97 % de ses patientes en ont été victimes. " C'est lui mon plus grand ennemi ", assure-t-elle en martelant la page d'un prospectus sur les mutilations génitales. Pire que l'ablation des lèvres et du clitoris : l'infibulation, la couture du vagin. Edna Adan a été l'une des premières, en 1976, à dénoncer cette pratique ancestrale lors d'un congrès de gynécologues et d'obstétriciens à Khartoum.

Parce qu'elle jouit d'une aura internationale et d'un respect durement gagnés, la dame d'Hargeisa sait qu'elle est l'une des rares personnalités de la région à pouvoir taquiner les interdits. Et elle en dit beaucoup, quitte à agacer. Sa sortie, lors de Foire internationale du livre d'Hargeisa, sur les femmes vêtues des " tentes de Khomeiny ", ces voiles dont se couvrent presque intégralement les Somalilandaises, même les plus jeunes, a été fraîchement accueillie. Twitter s'est déchaînée contre cette mise en cause du religieux dans un pays musulman aussi conservateur. Elle assume.

La lionne n'a qu'un regret : ne pas avoir accouché d'un enfant qui serait le sien. Elle a pourtant tout essayé, pris des hormones, accepté d'être opérée. Rien n'y a fait. Elle se console en pensant que des millions de Somalilandais la considèrent aujourd'hui comme une mère. La mère d'un pays encore en gestation.



Source : www.lemonde.fr


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Raymonde
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