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Elizabeth Tchoungui : "on était dans la célébration du plaisir"

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Elles sont douze. Et elles parlent de sexe et de plaisir. Ces auteures africaines, antillaises et afro-américaines ont accepté de prêter leur plume à un exercice assez particulier dans le paysage littéraire africain. Tour à tour, elles se relaient pour raconter le plaisir féminin par le biais de nouvelles érotiques. Dirigé par la romancière Léonora Miano (prix Fémina 2013 pour 'La saison de l'ombre'), ce Décameron baptisé "Volcanique : une anthologie du plaisir" a été salué par la critique comme un véritable manifeste du féminisme dans une littérature africaine qui hésite encore à aborder en face certaines questions dont celle, très dérangeante, du plaisir sexuel. Romancière, journaliste et animatrice de télévision, la Franco-camerounaise Elizabeth Tchoungui est l'une de ces 'éronautes'. Elle revient pour Ecce Africa sur les raisons qui ont motivé sa participation à cette aventure Ecce Africa (E.A) :E.A: Est-ce le côté provocateur de l'exercice ou son caractère féministe qui vous a attirée? Comment vous êtes-vous retrouvée à participer à cette aventure littéraire assez originale? E.A : Ce genre de choix ne présente-t-il pas une part de risque pour une auteure, africaine de surcroît?

Elizabeth Tchoungui (E.T) : Leonora Miano m'a passé un coup de fil. J'espérais avoir ce coup de fil parce que Leonora avait dirigé une anthologie du plaisir masculin l'année dernière, chez Mémoire d'Encrier, un éditeur québécois d'origine haïtienne, qu'elle a choisi car elle voulait un éditeur du monde noir et que des auteurs du monde noir. Du coup elle a fait un match aller avec les hommes et elle préparait le match retour. J'avais lu l'ouvrage des hommes et vraiment j'avais trouvé qu'ils n'étaient pas allés au bout de la démarche. Ils s'étaient un peu autocensurés. Donc, du coup, quand Leonora m'appelle et me dit : " est ce que ça t'intéresse d'écrire une nouvelle dans l'anthologie du plaisir féminin? Je l'ai baptisée " plaisir " car j'avais fait l'erreur, avec les hommes, d'appeler ça " désir masculin " et du coup ils se sont tous arrêtés à la porte de la chambre à coucher et nous les filles il faut qu'on y entre!" J'ai dit oui tout de suite. J'étais ravie. En plus l'exercice de la nouvelle me convenait parfaitement.

 

E.A: Comment en arrive-t-on à construire une nouvelle comme la vôtre?

E.T : Je savais que cela procédait d'une démarche féministe parce que dans la littérature africaine, on a l'impression que l'intime, longtemps, n'a pas existé. On a longtemps été biberonné à une génération d'auteurs qui étaient dans la lutte postcoloniale, dans la littérature de dénonciation mais jamais dans l'intime ou très peu et encore moins dans la sexualité. Il y a également une démarche un peu provoc' car je savais que, forcément, cela allait jeter un pavé dans la mare, parce qu'il n'y a pas de précédent.

 

E.A : Avec le recul, comment décririez-vous ce travail?

E.T: Léonora a expliqué qu'elle avait sollicité des auteures qui ont refusé, soit parce qu'elles ne voulaient pas être cataloguées dans un livre ne rassemblant que des auteures du monde noir, soit parce qu'elles avaient peur du sujet. Certaines personnes m'avaient effectivement dit de ne pas me lancer dans cette aventure pour préserver mon image, mais je fais ce que je veux de mon image et surtout j'assume donc je n'ai pas hésité du tout.

 

EA: Comment avez-vous vécu l'accueil qui a été fait à ce recueil tant par la critique que par le public?

E.T: Ma nouvelle se passe à Yaoundé et mon héroïne est une jeune fille, car je voulais décrire la pression sexuelle sur les jeunes femmes aujourd'hui en Afrique, car je la trouve plus forte qu'ailleurs, et je voulais aussi dénoncer cela. Du coup, comment trouve-t-on ses chemins vers le plaisir malgré ce contexte qui n'est pas simple ? Pour aller encore plus loin dans la démarche féministe, humaniste et profondément militante, j'ai imaginé une histoire homosexuelle entre deux femmes qui vont se rencontrer. Je ne dis pas deux lesbiennes car elles ne le sont pas forcément, elles pensent ne pas l'être, c'est une rencontre amoureuse. Il se trouve que c'est entre deux femmes et c'est une rencontre amoureuse. Je me suis dit que quitte à choquer en Afrique, autant le faire doublement. Au Cameroun les homosexuels sont tabassés, jetés en prison, le rejet est très très fort.

 

EA : Cet enthousiasme, s'est-il étendu à l'Afrique où l'on est généralement prude sur ces questions ?

E.T: Douze musiques complètement différentes. Il y avait des auteures africaines, de la diaspora noire américaine et c'était vraiment la démarche de Léonora Miano de rassembler des femmes du monde noir. Les horizons étaient tous très différents et ce qui était magnifique, c'est qu'on était toutes dans la célébration du plaisir, la jubilation et pas dans les histoires d'excision qui sont les vraies réalités qui empêchent la jouissance féminine, mais nous voulions justement célébrer la jubilation et chacune, à notre manière, on a réussi à le faire. Ce sont donc les nouvelles de douze auteures du monde noir mais cela peut être totalement universel. On a, toutes, une manière de dire dans ce livre "Hé ! Les filles ! Le droit au plaisir est un droit comme un autre, redécouvrez votre corps !" " Hé ! Les mecs ! Ce n'est pas parce qu'une femme se met à jouir que la terre va s'arrêter de tourner "

 

EA: Quel impact espérez-vous d'un recueil comme celui-là?

E.T: On a fait le lancement du livre au musée Dapper, dans une salle comble, malgré le grand soleil dehors. Quand on a présenté le recueil au Salon du livre de Paris, au stand du Bassin du Congo, la salle était à nouveau pleine à craquer; en quatre éditions auxquelles j'avais participé, je n'avais jamais vu autant de monde. Les témoignages des lecteurs étaient bouleversants et magnifiques. Mon préféré est un jeune gabonais qui était venu avec sa copine après avoir acheté le livre au musée Dapper et qui me dit " je me demandais pourquoi ma copine n'avait toujours pas terminé de lire le livre après quinze jours, alors qu'elle dévore les livres d'habitude et quand je lui ai demandé, elle m'a dit que cela lui donnait trop envie de se masturber." Ce jeune homme a dit cela en pleine assemblée, au micro devant tout le monde. J'ai trouvé génial que la parole soit si libérée.

 

J'ai profité de mes vacances pour ramener une quarantaine de livres au Cameroun où une amie avait organisé une rencontre dédicace. On a fait une lecture avec des étudiants en lettres de l'Université de Yaoundé 1, modérée par leur professeur de lettres. Ils ont lu des extraits; ils étaient gênés à la lecture et j'avais en effet choisi des passages un peu hot. Je les sentais choqués et ils m'ont dit : "Ce n'est pas dans notre culture de parler de ces choses-là" et je leur ai répondu : "Toutes les chanteuses actuelles qui cartonnent en boîte et dont vous connaissez les paroles par cœur, de quoi parlent elles ? Quand on parle de sexe de manière littéraire, de façon jolie car on écrit globalement, toutes, un peu mieux que les paroles des chansons, pourquoi est-ce que cela vous gêne ? " Personne n'a été capable de répondre, c'était un échange intéressant. Pour l'anecdote, j'ai beaucoup ri en passant la douane car je me suis dit que s'ils ouvraient ma valise, j'allais me faire coffrer pour transport de littérature licencieuse...

E.T: Si ce livre peut libérer un peu la parole, c'est comme ça que j'essaie, modestement, de faire avancer les choses. Les réseaux sociaux commencent également à faire émerger des groupes de filles qui se lâchent un peu et parlent ouvertement des questions de plaisir, c'est rassurant. Ce livre se veut une célébration des corps, du plaisir, dans un contexte qui n'est pas simple. Le plaisir est un droit comme un autre et il est temps de s'en rendre compte.



Source : ecceafrica.com


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