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Entre les Etats-Unis et Cuba, les secrets d'un dégel

  Politique, #

Barack Obama et Raul Castro échangeront, vendredi 10 avril à Panama, une poignée de main " historique ", symbole de la normalisation engagée le 17 décembre 2014 entre les Etats-Unis et Cuba après cinquante-quatre années d'une guerre froide tropicale et anachronique. Les deux chefs d'Etat se rencontreront à l'occasion du sommet des Amériques, qui devait s'ouvrir jeudi, scellant un processus qui sort les Etats-Unis de leur statut de " puissance impérialiste " en Amérique latine.

En fait, cette poignée de main Obama-Castro ne sera pas une première. Elle avait déjà eu lieu une première fois le 15 décembre 2013, en Afrique du Sud, à l'occasion d'un hommage à Nelson Mandela, mort quelques jours plus tôt. Les images, fruits de l'imprévu dans une cérémonie où tout était réglé d'avance, avaient fait le tour du monde. Les mânes de Nelson Mandela, symbole des réconciliations impossibles, avaient-ils illuminé les deux meilleurs ennemis du Golfe de Floride ? Le geste inédit avait été abondamment commenté, mais personne, même les observateurs les plus avisés, n'imaginait que ce salut de courtoisie dissimulait des négociations au plus haut niveau depuis au moins six mois.

Réticences

Un an après, presque jour pour jour, le 17 décembre 2014, Barack Obama et Raul Castro prenaient tout le monde de court en annonçant à la télévision, chacun de son côté mais exactement à la même heure, le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux Etats, rompues depuis le 3 janvier 1961. Le secret de dix-huit mois de tractations avait été gardé jusqu'à la dernière minute, y compris auprès des plus proches amis. Il suffisait de voir la mine du président vénézuélien Nicolas Maduro, pourtant l'homme des Cubains à Caracas, pour le comprendre.

Obama et Castro avaient de bonnes raisons pour prendre des précautions, car dans chaque camp, les réticences restaient fortes. A Washington et à Miami, dès les premiers assouplissements de l'embargo contre Cuba, en 2009, la colère des républicains, à commencer par les élus latinos, avait été immédiate. D'où la décision du président Obama de centraliser la négociation secrète avec La Havane à la Maison Blanche, volontairement à distance de l'énorme machine du département d'Etat. Comme d'autres avant lui, le président décide de tenir les réunions au Canada, partenaire privilégié et rassurant pour les deux parties, afin d'éviter les fuites.

 

La première rencontre remonte à juin 2013 : l'équipe américaine, très resserrée, est conduite par un proche du président, Ben Rhodes, son " speechwriter " devenu conseiller diplomatique au sein du Conseil de sécurité nationale (NSC). Rhodes a enrôlé dans cette aventure un ancien de la " section d'intérêts américains " (la représentation diplomatique à La Havane) entré au NSC en 2012, Ricardo Zuniga, dont la famille vient du Honduras.

" La propagande a utilisé l'existence d'un ennemi externe formidable, les Etats-Unis, pour dissimuler un régime autoritaire "

A Cuba, malgré l'opacité du pouvoir et l'interdiction absolue d'exposer les moindres différends au grand jour, il y a aussi des obstacles aux changements mis en œuvre par Raul Castro depuis 2006. Outre son frère aîné Fidel Castro, qui joue à 88 ans le rôle de statue du Commandeur, une partie de l'appareil d'Etat a tout à perdre avec l'ouverture aux capitaux privés d'une économie complètement étatisée. La Sécurité de l'Etat (la police politique) vit dans la hantise d'une revanche des victimes et de leurs proches. " La propagande a utilisé l'existence d'un ennemi externe formidable, les Etats-Unis, pour dissimuler un régime autoritaire ", explique l'historien et opposant social-démocrate cubain Manuel Cuesta Morua, joint au téléphone à La Havane.

Avant Obama, un autre démocrate, Bill Clinton, avait tenté une ouverture à l'égard de Cuba, isolée après la chute du mur de Berlin. En 1996, l'économie de l'île s'était effondrée, les Cubains vivaient dans le dénuement. La réponse de Fidel Castro fut cinglante : il ordonna d'abattre en vol un avion de l'association cubaine-américaine " Hermanos al Rescate ", chargée de porter secours aux " balseros ", les boat people cubains. Il en résulta la loi Helms-Burton, qui renforça l'embargo américain. Fin 2009, l'arrestation à La Havane de l'Américain Alan Gross, un contractuel de l'agence américaine de développement (USAID), suivie de sa condamnation à quinze ans de prison pour espionnage, relevait de la même logique consistant à freiner un rapprochement avec Washington.

 

Conflit anachronique

L'arrivée à la Maison Blanche du premier président afro-américain avait frappé les Cubains, car elle contredisait des décennies de propagande, et avait suscité des attentes. En effet, dès son investiture en janvier 2009, Barack Obama avait montré sa volonté de tourner la page d'un conflit anachronique, qui handicape considérablement les Etats-Unis en Amérique latine. Cependant, l'affaire Gross est un casus belli qui le force à renoncer provisoirement. Il lui faudra attendre son second mandat et un contexte plus favorable : les changements à Cuba suscitent l'appétit des hommes d'affaires américains, l'électorat de la Floride n'est plus farouchement hostile à une reprise des relations. Réélu, Obama a les mains plus libres. Quant à Raul Castro, affaibli par la crise économique qui frappe l'allié vénézuélien, il cherche des alternatives.

Malgré l'animosité entre les deux capitales, le contact n'avait jamais été rompu. Les diplomates américains et même des marines en uniforme continuaient à travailler dans l'imposant édifice de leur ambassade à La Havane, sur le front de mer, le fameux Malecon. Théoriquement, il s'agit d'une simple " section destinée à veiller sur les intérêts américains " auprès de l'ambassade suisse, mais on aurait du mal à y trouver le moindre fonctionnaire helvète. Même avec des mouvements limités et étroitement surveillés, les Américains y travaillaient d'arrache-pied, comme l'ont prouvé les télégrammes diplomatiques révélés par Le Monde et WikiLeaks en 2010. A Washington et au siège des Nations unies, à New York, les diplomates cubains en faisaient de même.

Régulièrement, des diplomates des deux pays se rencontraient pour faire le point sur leurs accords migratoires de 1995. En fait, aucun sujet n'a jamais été écarté. Dans l'est de l'île, à Guantanamo, des militaires cubains et des officiers américains postés sur la fameuse base des Etats-Unis avaient, eux aussi, des rendez-vous fréquents, pour s'assurer qu'aucun incident ne viendrait troubler leur coexistence pacifique. Comme souvent dans ces cas, les gradés de part et d'autre faisaient plus ample connaissance et parlaient aussi d'autres choses.

 

Diplomates et militaires cubains ont ainsi acquis au fil des ans une expérience de dialogue inestimable. " J'ai été étonné de constater, lors de mes entretiens à La Havane, à quel point les Cubains ont une connaissance approfondie des Etats-Unis ", confie Jean-Pierre Bel, ancien président du Sénat et nouveau conseiller Amérique latine de l'Elysée. Diplomates et militaires cubains figurent parmi les premiers partisans d'une normalisation. D'autant que des officiers de l'armée occupent les postes stratégiques de l'économie cubaine et sont conscients de l'inéluctabilité d'une insertion dans la mondialisation : l'élargissement du port de Mariel, projet stratégique du régime castriste, ne se justifie que par une relation normalisée avec les Etats-Unis. Faut-il rappeler que l'inamovible ministre des forces armées révolutionnaires pendant un demi-siècle n'était autre que Raul Castro ?

" A l'exception d'un cercle très restreint, personne n'était au courant "

Malgré cette convergence d'intérêt, ce dernier a centralisé au maximum la négociation secrète avec les Américains, car le sujet reste sensible. " A l'exception d'un cercle très restreint, personne n'était au courant ", assure l'écrivain brésilien Fernando Morais, qui dispose de ses entrées à La Havane depuis quarante ans.

La discrétion ne suffisait pas pour éviter un éventuel sabotage interne. Pour faire accepter ce changement de cap, Raul Castro n'a pas hésité à invoquer le prestige du pape François, premier pontife sud-américain. Le Vatican n'a jamais rompu avec le régime castriste. La visite de Fidel Castro à Rome en 1996, puis les voyages de Jean Paul II (1998) et Benoît XVI (2012) dans l'île en témoignent. Les bons connaisseurs de la situation cubaine ne manquent pas au Vatican. Le cardinal Pietro Parolin, diplomate, secrétaire d'Etat (numéro 2) à la Curie depuis l'automne 2013, a été nonce au Venezuela de 2009 à 2013. Son adjoint, Angelo Becciu, a été nonce à Cuba de 2009 à 2011. Il avait contribué à la libération, en 2011, des 75 opposants dont la condamnation à de lourdes peines de prison, en 2003, avait coûté à Fidel Castro un long isolement diplomatique. François lui-même a su trouver " la manière juste ", dira de lui le cardinal Parolin.

En 2012, des parlementaires américains avaient saisi le nonce apostolique à Washington du cas d'Alan Gross. Il était sans doute un détenu trop précieux pour être relâché sans contrepartie. L'affaire " est restée sur les radars du Vatican ", a déclaré Barbara Mikulski, sénatrice du Maryland - l'Etat d'origine de Gross -, très vite en contact direct avec François. Le 13 janvier 2014, le secrétaire d'Etat américain John Kerry s'entretient avec le pape au Vatican. Le 27 mars, le pape reçoit Barack Obama et aborde les tractations avec les Cubains. Au début de l'été, François adresse une lettre personnelle à chacun des deux présidents pour leur demander de procéder à un échange de prisonniers. Les deux parties s'emparent de cette injonction pour surmonter les dernières réticences. Le Vatican accueille même une des séances de négociations, en octobre. Le cardinal Parolin reçoit une dernière fois M. Kerry, le 15 décembre.

 

Le 17 décembre, Peter Kornbluh, chargé de Cuba à la National Security Archive, de la George Washington University, était à La Havane " avec la fine fleur des experts américains de Cuba " précise-t-il, convié à une table ronde organisée par le régime. C'est aux côtés d'un ancien du département d'Etat, Wayne Smith, en poste à La Havane sous les présidences Carter et Reagan, qu'il a vécu en direct la double allocution des présidents Obama et Castro.

" Bombe à retardement "

" C'est le facteur Alan Gross qui a joué, assure Peter Kornbluh, qui avait pu lui rendre visite en prison en décembre 2013. Il m'avait dit ce jour-là : " je suis une bombe à retardement". Compte tenu de son état de santé de plus en plus inquiétant, il a fallu faire vite. Les deux camps savaient que s'il lui arrivait quelque chose en prison, la voie serait à nouveau bloquée pour longtemps. Ce qui a permis d'aller aussi loin, c'est un ensemble de choses : le président Obama n'a pas avancé de préconditions sur la nature du régime cubain ; la formule d'un échange entre Gross et Rolando Sarraff, un agent de la CIA détenu par La Havane dont seul le Miami Herald avait évoqué le sort par le passé, contre trois espions cubains emprisonnés aux Etats-Unis, a servi de point de départ ; enfin, le président n'a pas hésité à parler de " failure"(" échec ") pour qualifier l'embargo ".

Les trois espions cubains appartenaient à un groupe de cinq agents cubains condamnés en 2001 pour espionnage en Floride. Fernando Morais en a tiré un livre intitulé Les derniers soldats de la guerre froide (non traduit, 2011), avec l'aide des autorités cubaines. Les trois derniers " héros " ont été libérés le 17 décembre 2014, permettant au régime castriste de faire de l'annonce conjointe Obama-Castro une " victoire cubaine ". " Gerardo, Tony et Ramon ont appris leur libération à peine quelques minutes avant d'être embarqués vers La Havane ", raconte Fernando Morais. La Maison Blanche a également obtenu la libération de 53 prisonniers politiques cubains.

 

Récemment, la diplomate américaine chargée du dossier cubain, Roberta Jacobson, a admis que " la normalisation prendra plusieurs années ". La négociation secrète a parfaitement fonctionné. Mais le chemin de la réconciliation reste quant à lui semé d'embûches.



Source : www.lemonde.fr


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