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Français et noir de peau, je me fais contrôler au moins une fois par semaine par la police

  Société, #

LE PLUS. Français de 20 ans, Lucas subit le racisme au quotidien. Sa couleur de peau, noire, lui a valu 24 contrôles de police en seulement 6 mois. Pire, quand il ose faire valoir ses droits, il se retrouve au commissariat pour quelques heures. Déçu par cette France où il est né et qui l'a vu grandir, il témoigne.

Édité par Barbara Krief

J'ai 20 ans et je suis Français. Je suis né et j'ai grandi à La Rochelle et, depuis mes 18 ans, j'étudie à Lille. J'ai toujours évolué dans un milieu plutôt bourgeois, fréquenté des écoles privées et vécu dans des quartiers favorisés. J'ai 20 ans et je suis Français... de couleur. Cette dernière information à mon sujet devrait n'être qu'un détail physique, superficiel. En réalité, cela me pourrit la vie.

24 contrôles au faciès en 6 mois

Depuis le mois de février, je me suis déjà fait contrôler 24 fois par la police, soit à peu près une fois par semaine. Ce n'est pas tout, depuis un an environ, je vois aussi l'angoisse que suscite ma présence dans une rame de métro ou dans une gare bondée un jour de départ en vacances. Plus il y a d'attentats, plus les choses empirent.

Si la situation s'est aggravée, elle ne date pourtant pas d'hier. Le racisme, je le vis depuis l'école primaire. Je me souviens encore des autres enfants qui me frottaient la peau pour voir si "ça partait"... Puis plus tard, des lycéens de mon établissement hôtelier de La Rochelle, tous blancs (j'étais le seul noir sur 600 élèves), qui votaient Front national à l'unanimité et qui, clairement, se seraient bien passés de ma présence.

Je me rappelle aussi de cette professeure d'histoire qui, commentant une photo d'esclaves pieds nus, avait dit à la classe :

"Comme on peut le voir, les nègres sont pieds nus. Ils ont l'habitude"

J'avais vivement réagi en expliquant que non, on ne pouvait pas parler ainsi, et encore moins utiliser ces mots-là. L'enseignante avait alors jugé mon intervention suffisamment insolente et déplacée pour me mettre à la porte de son cours.

"Vous êtes de quelle religion ?"

Aujourd'hui jeune étudiant, j'ai les mêmes rapports avec les policiers qu'avec cette enseignante raciste.

Dès que je proteste, m'oppose à un contrôle au faciès, ou même simplement souligne le fait que sur un groupe de quatre jeunes, je suis le seul à devoir sortir ma carte d'identité, je finis par me retrouver au poste... Et encore, quand je n'ai à sortir que ma carte d'identité, je suis chanceux. Généralement, ils pensent qu'elle est fausse. Ce qui les amuse beaucoup : "Ce ne serait pas une fausse votre carte FRANCAISE là, monsieur ? Non parce que...". Et encore, le "Monsieur" c'est pour les bons jours.

La dernières fois que j'ai osé rétorquer à un policier que, non, je ne m'appelais pas "Bamboula", comme il semblait si naïvement le penser, je me suis retrouvé au poste de police pendant plus de deux heures.

Pire, lors de ces fréquents contrôles je me sens chanceux de pouvoir dire, sans mentir, que je suis athée. Généralement après la requête "Carte d'identité !", j'ai le droit à un "Vous êtes de quelle religion ?". Mais quel est le rapport ? Je vous le demande bien...

Partout, je lis qu'il ne faut "surtout pas faire d'amalgame" et pourtant, voilà qu'après m'avoir demandé ma carte d'identité - soupçonnée en plus d'être fausse puisque, voyons, comment peut-on être Noir et Français à la fois ? - les forces de l'ordre me demandent qui je prie. Je ne peux malheureusement pas leur répondre que ça ne les regarde pas.

La mort d'Adama Traoré est révélatrice

En fait, ce que je dois faire pour éviter de me faire trop embêter, voire même tuer (on dit bien souvent que la France a quelques années de retard sur les États-Unis...), c'est la fermer. Ma mère m'a d'ailleurs toujours dit d'avoir de quoi prouver mon identité sur moi, même si je n'ai pas l'ombre d'un accent et que j'ai vécu dans l'hexagone toute ma vie, et surtout, de ne pas trop la ramener. Parce que même si c'est moi qui ai raison, même s'ils m'agressent, je serai toujours le perdant dans l'histoire. Ils sont assermentés. Pas moi.

 

Seulement à force, je ne parviens plus à supporter l'insupportable. Je me suis retrouvé par deux fois au poste de police pour avoir remis en question un contrôle d'identité clairement raciste. À chaque fois, j'avais perdu patience. Il s'agissait du deuxième, voir troisième, contrôle de la journée... ce qui finit toujours par me faire craquer.

Je ne raconte pas à ma mère qu'il m'arrive de me retrouver au poste de police, face à des agents qui s'amusent à raconter des blagues racistes en ma présence. Je sais qu'elle n'en dormirait pas la nuit. Ce qu'il se passe aux États-Unis et même en France, avec la mort d'Adama Traoré par exemple, est extrêmement inquiétant pour nous tous.

Ce qui m'effraie, c'est de voir à quel point les contrôles au faciès sont courants. Il ne s'agit pas de un ou deux policiers racistes, mais d'un système tout entier. En seulement 20 ans d'existence, j'ai suffisamment d'exemples pour en écrire un livre. D'ailleurs, je note dans mon téléphone chaque contrôle raciste ou altercation avec des policiers. Je veux pouvoir m'en souvenir, mais aussi observer une tendance. Je veux savoir s'il y a un rapport entre attentat et fréquence des contrôles. Évidement, ça me semble être le cas.

Un policier a pris ma X-Box pour une bombe

Récemment, alors que je prenais le métro lillois avec ma copine, blanche aux yeux bleus, nous avons eu un contrôle de titre de transport. J'avais mon passe, mais elle avait fraudée. Les agents l'ont laissée partir sans rien, même pas un mot de réprimande, le sourire aux lèvres. Derrière nous, un Noir sans ticket...il a évidemment fini avec, au minimum, une amende. Il y a clairement un double standard et prétendre l'inverse serait mentir.

Autre anecdote édifiante : alors que j'attendais mon train à la Gare Montparnasse, à Paris, un autre voyageur a dénoncé mon comportement "suspect". Étudiant, je ramenais mes affaires de toute une année scolaire depuis Lille jusque chez mes parents, à La Rochelle. J'étais donc très chargé : j'avais un énorme sac Ikea, une valise conséquente et un sac à dos. Et c'est précisément le fait que j'avais "trop de bagages" qui m'aurait fait passer pour un terroriste potentiel auprès du citoyen alerte.

Cette dénonciation m'a permis de bénéficier d'un contrôle de plus. Le policier, quoique très poli pour une fois, m'a ordonné d'ouvrir mes sacs et de vider mes affaires, me disant au passage que l'état d'urgence m'y obligeait. Je me suis évidemment exécuté. Visiblement, l'agent n'avait jamais vu une X-Box de sa vie. Il crut donc à une bombe. Avant de finalement comprendre qu'il s'agissait d'une console de jeu. Une fois relâché, j'ai pu courir et rentrer dans mon train de justesse. Vis ma vie de Noir barbu en France en 2016...

Parce que oui, pour ne rien arranger vous me direz, je porte la barbe. Alors qu'elle ne devait être qu'une petite barbe de trois jours à tendance hipster, j'ai finalement décidé de la laisser pousser. Le style m'amusait autant que l'expérience sociale, je dois l'avouer. Voyant que barbu, je semais la peur dans le métro, je me suis dit que j'allais la laisser pousser. Après tout, s'il suffit de quelques poils pour hérisser les racistes...

Dans mon groupe d'amis, d'autres portent la barbe. Aucun pourtant ne s'est fait contrôlé sans avoir commis d'infraction. Lorsque l'on se promène tous ensemble, je suis le seul à qui l'on demande ses papiers d'identité. La seule exception, c'est pendant les manifestations. Là, même les Blancs ont le droit à un petit contrôle.

L'enfer ne s'arrête pas aux policiers

Je suis très engagé dans la vie associative et je milite régulièrement. J'ai fait partie des manifestants contre la loi travail à Lille et, à ce titre, j'ai eu le droit à des contrôles de police finalement assez anodins. Comme mes amis. À la différence près que j'avais évidemment toujours le droit à "la double dose". Mes camarades blancs se faisaient contrôler une fois toutes les quatre manifs. Moi, au moins une fois à chaque fois.

Les policiers me font peur. Autant que les fachos. Ce qui est assez inquiétant. La police est censée me protéger, en tant que citoyen, et non m'effrayer, parce que je suis Noir.

C'est pour ça que je me suis engagé politiquement assez jeune. Je suis encarté au PS et j'estime que la politique peut faire changer les choses. J'essaie de lutter comme je peux et les valeurs socialistes sont celles qui sont les plus proches de moi. Je me bats d'ailleurs pour mes idées. Ce qui se retourne souvent contre moi.

J'ai participé à une manifestation contre le harcèlement de rue, destinée à alerter l'opinion publique sur le nombre d'agressions verbales et physiques que subissent les femmes en France lorsqu'elles se promènent dans la rue. Là encore, alors que le sujet n'avait rien à voir avec ma couleur de peau, ma religion ou mon origine, je me suis fait agresser par des racistes. C'était des jeunes de Génération identitaire - mouvement politique situé à l'extrême droite - et ils m'ont balancé : "Toi, tu n'as rien à faire là. C'est à cause 'des gens comme toi' que les femmes se font agresser dans la rue"".

L'enfer ne s'arrête donc pas aux policiers. Entre extrémisme, racisme, délation et abus de l'état d'urgence, je me sens en danger en tant que Français de couleur. Je dois cette vie, faite en partie d'agressions, d'exclusion et d'angoisses au fait que ma mère soit Bretonne-Guyanaise et que mon père ait des origines maghrébines.

Aujourd'hui, je suis extrêmement inquiet pour mon avenir et celui de toutes les personnes de couleur en France. Rien que l'année prochaine, dans mon école de communication de Lille, il parait qu'un de mes professeur est un fier partisan du FN... Nous ne sommes que début août, mais j'en tremble déjà.

Propos recueillis par Barbara Krief



Source : leplus.nouvelobs.com


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