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Houphouët-Boigny, qui était-il vraiment ?

  Politique, #

Alors qu'en Europe l'histoire dite des grands hommes (dite Big Men History) connaît une éclipse, en Afrique, l'histoire des grandes figures (notamment des mouvements d'indépendance) bat son plein. Comme si la biographie constituait une autre voie pour écrire l'histoire de l'État post-colonial.

Trois questions à Frédéric Grah Mal, maître-assistant en Lettres à l'École normale supérieure ( ENS) d'Abidjan et auteur d'une monumentale biographie d'Houphouët-Boigny en trois tomes.


(photo Jean-Pierre Bat 2012) L'historiographie africaine redécouvre l'histoire des Big Men depuis les années 2000 ? Qu'apporte cette histoire aujourd'hui et quelle réalité recouvre-t-elle ?




(photo Jean-Pierre Bat 2012) Pour vous qui en êtes le biographe, qui est Félix Houphouët-Boigny ? Carte des parentés à plaisanteries Effigie d'Houphouët-Boigny à la Fondation de Yamoussoukro

Que l'historiographie africaine redécouvre l'histoire des Big Men, c'est une impression que peuvent donner la récente biographie de Senghor par Romuald Fonkoua ou la biographie que j'ai moi-même consacrée à Félix Houphouët-Boigny en 2011. En fait, nous ne sommes qu'une demi-douzaine d'auteurs au plus, dans un immense désert. J'aurais voulu par exemple qu'il y ait déjà eu des travaux sur les premières grandes figures politiques africaines : François Tombalbaye au Tchad, Ouezzin Coulibaly au Burkina Faso, Léon Mba au Gabon, Modibo Kéita au Mali, Mamadou Dia au Sénégal. Sur les grands écrivains africains, on a publié des études critiques souvent savantes, des essais admirables, mais pas encore de biographies au sens propre du mot. Bernard Dadié, Cheikh Hamidou Kane, Mongo Béti sont des sujets de biographie qui attendent preneurs. Les Big Men africains restent donc un champ de travail encore inexploré.

 

Que représente Houphouët-Boigny dans la société ivoirienne aujourd'hui ?

Ce que nous apporte le peu de textes qui existent malgré tout, ce sont avant tout des précisions. L'Afrique noire, peut-être à cause de la tradition orale qui la caractérise, est le terreau par excellence de la rumeur. Elle a trouvé par exemple à Houphouët-Boigny six pères : un Gouro, un Malien, un Sénoufo, un Dioula, un Mossi et un Sarakollé. Il était venu de partout sauf de son pays baoulé natal. Donc la précision de l'information !

 

En tant que biographe, j'attache également du prix à travailler sur des personnes qui ont quelque chose à apprendre à mes lecteurs, des personnes qui peuvent nous aider à nous construire, à nous élever.

Si j'avais à définir Houphouët-Boigny d'un mot, je parlerais tout simplement d'un combattant. Pas un autre vocable ne me semble mieux définir un homme dont la vie avait eu l'adversité comme moteur de bout en bout. Deux faits pour illustrer mon propos.

Déjà au berceau, il lui avait fallu se battre pour échapper à une mort que la tradition de son pays natal autorisait son père à lui donner. Dans la tribu d'où venait ce dernier, lorsque les deux premiers enfants d'une même mère étaient du même sexe, le troisième enfant devait être également du même sexe pour parachever une harmonie introduite dans la famille par la nature elle-même. Quand il était d'un sexe différent, on le prenait pour un perturbateur, venu au monde pour déstabiliser sa famille et bouleverser l'ordre social. Et ce type d'enfant était étouffé dès ses premiers vagissements. C'était ce qui devait arriver au petit Houphouët. Il avait fallu que sa famille maternelle déploie des trésors de ruse pour lui éviter une rencontre avec son père, qui lui aurait été fatale.

Le deuxième fait que j'aimerais évoquer pour illustrer la figure du combattant se rattache à l'entrée d'Houphouët-Boigny au Palais Bourbon, en octobre 1945, comme député du deuxième collège de la Côte d'Ivoire. Sa candidature n'était pas celle qui avait le plus de chances de réussir. On comptait parmi ses adversaires Kouamé Binzème, un avocat stagiaire ivoirien venu de Paris, auprès de qui on raillait cruellement Houphouët en donnant le médecin qu'il était pour un simple petit " infirmier ". On comptait également le Baloum Naba, une des plus grandes autorités traditionnelles du pays Mossi. En même temps que lui, l'administration coloniale soutenait également Tidiane Dem, dans le but d'émietter les suffrages d'Houphouët. Mais rien de tout cela n'avait pu freiner son élan. Il avait réussi grâce à une détermination qui était remarquable, grâce à la rigueur de son organisation, à sa connaissance des problèmes de la colonie et à sa capacité à les faire comprendre aux foules, dans une langue simple, qui les touchait.

Il est courant d'attribuer à Houphouët-Boigny la responsabilité de la crise qui a balafré son pays depuis sa disparition en 1993. D'abord parce qu'il a pratiqué une politique d'ouverture qui a provoqué l'afflux d'une très importante population étrangère en Côte d'Ivoire. Ensuite à cause de la nomination, à la fin de sa vie, d'un Premier ministre inconnu dans le pays et qui, pour beaucoup d'Ivoiriens, ne devait pas exprimer d'ambition au-delà du poste où il avait été appelé à servir.

 


(photo Jean-Pierre Bat 2012) Symbole du bélier, totem d'Houphouët-Boigny à la Fondation de Yamoussoukro

Ceux qui ont cette position savent-ils ce que les choix politiques d'Houphouët doivent au contexte historique dans lequel il est arrivé sur la scène publique ? Il ne s'intéressait pas encore à la politique quand la société ivoirienne était déjà fracturée entre autochtones et allogènes.

 

Trois grandes confrontations avaient opposé ces deux entités à l'époque coloniale : en 1928, 1938 et 1958. Le conflit de 1928 s'était soldé par la création d'une association qui s'appelait significativement l'Union fraternelle des originaires de Côte d'Ivoire (UFOCI). Celui de 1938 était orchestré par une organisation dont le nom n'était nullement moins significatif : l'Association de défense des intérêts des autochtones de Côte d'Ivoire (ADIACI). Et celui de 1958 s'inscrivait dans le même esprit puisqu'il était animé par une organisation qui s'appelait la Ligue des originaires de Côte d'Ivoire (LOCI).

Lorsque, six ans après les émeutes de 1938, la Conférence de Brazzaville (janvier-février 1944) donne aux Africains la possibilité de créer des syndicats et que les planteurs africains de Côte d'Ivoire préparent la création du Syndicat agricole africain (SAA), le premier problème qui se pose à eux est de savoir qui, d'un autochtone ou d'un allogène, va diriger cet organe. C'est devant le ferme refus des autochtones de laisser un allogène diriger la première organisation publique jamais créée en Côte d'Ivoire, que les promoteurs du SAA sont allés chercher Houphouët à Yamoussoukro.

Celui-ci, en découvrant le conflit récurrent entre les deux entités, se fixe dès 1944 de toujours promouvoir l'entente entre elles et surtout d'amener chacune à donner le meilleur d'elle-même au profit d'un seul bénéficiaire, la Côte d'Ivoire. Non seulement il était parvenu ainsi, près de 50 ans après, à former un pays plus uni et plus apaisé, mais il lui semblait logique, à la fin de sa vie, de confier son héritage politique à la fois à un Ivoirien de la communauté autochtone et un Ivoirien de la communauté allogène. Son espoir était que les deux héritiers s'imposent comme devoir de mener leur action politique dans le sens que lui avait imposé à lui-même l'histoire du pays.

Je pense que, n'ayant pas compris cela, les deux héritiers s'étaient disposés eux-mêmes à exposer la Côte d'Ivoire à ses vieux démons de la division et de la violence. Ce à quoi nous invite justement la redécouverte de Félix Houphouët-Boigny, c'est de revenir aux valeurs (tant malmenées depuis vingt ans) de fraternité, de coexistence pacifique, de dialogue, d'unité et de rassemblement des Ivoiriens d'origine et des Ivoiriens d'adoption.



Source : libeafrica4.blogs.liberation.fr


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