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Interview. Sitor Senghor : " Le marché de l'art africain se développera avec des collectionneurs africains "

  Culture & Loisirs, #

Les Dépêches de Brazzaville : En quoi consiste votre travail 

Sitor Senghor : Je travaille dans l'art contemporain avec une spécialité dans l'art contemporain africain. C'est une activité relativement récente pour moi puisque je n'exerce que depuis deux ans. J'ai toujours voulu travailler dans ce domaine afin de promouvoir les artistes, mettre en valeur des œuvres et des coups de coeur. Me spécialiser dans l'art africain est un moyen de continuer le travail de mon grand-oncle, le président-poète Léopold Sédar Senghor, en faveur des artistes sénégalais et africains. A un moment où l'art contemporain africain devient l'objet de spéculation internationale sur le marché de l'art, il est important d'avoir des agents, des galeristes, des personnes proches des artistes qui les aident à affirmer leur valeur sur le marché et qui les protègent de cette spéculation qu'ont déjà connue les autres marchés de l'art et qui commence également à toucher le marché de l'art africain. Concrètement, j'aide les artistes à exposer leur art, je participe à des foires qui leur sont dédiées comme 1:54 Contemporary African Art Fair qui se déroule à Londres, pivot du marché de l'art contemporain africain. Pivot parce que cette ville héberge une riche diaspora nigériane et ghanéenne qui achète son art et valorise ses artistes. Par capillarité, tous les autres artistes africains en ont bénéficié. Pour moi, le marché de l'art contemporain africain ne se développera mondialement que s'il remporte des succès à Londres.

 

LDB : Vous dites que vous vous engagez dans la promotion de l'art africain avec la certitude que le marché saura réagir avec ferveur à l'arrivée d'une grande variété de talents contemporains à découvrir. Quel est le sens de cette phrase ?

SS : Il existe dans l'art africain des qualités artistiques qui sont indubitables. On n'est pas forcément dans l'art conceptuel tel qu'on le voit aujourd'hui chez des artistes européens ou américains. Il existe dans l'art africain quelque chose de beaucoup plus " artistique ". On est dans une démarche où l'émotion et la beauté visuelle sont importantes. Il y a certes des artistes qui utilisent l'art comme un moyen de revendication. Mais même dans leur démarche, il n'y a pas qu'une démarche contestataire. Il y a, avant tout, une dimension esthétique trop souvent perdue dans l'art contemporain occidental qui ne se veut souvent plus que conceptuel ou dénonciateur. L'art africain a quelque chose de plus naturel, rempli d'émotions. C'est pourquoi j'estime que le marché sera beaucoup plus réactif à cette forme d'expression. Ce marché ne continuera à se développer que si un public de collectionneurs africains le soutient. On a constaté le même phénomène sur les marchés chinois et moyen-orientaux. Cela a déjà commencé avec des collectionneurs présents à Londres, mais ça se poursuit aujourd'hui avec d'autres initiatives en Afrique comme au Bénin avec la famille Zinsou et en Angola avec Sindika Dokolo. Ce sont toutes ces initiatives qui feront que l'art contemporain africain, qui pour moi est un art majeur, pourra pleinement se développer.

 

LDB : De quelle manière les artistes africains doivent-ils se comporter sur ce marché de l'art qui, selon vous, devient spéculatif ?

SS : Il faut vraiment guider les artistes sur ce marché. Beaucoup de galeries, par pur opportunisme, se jettent littéralement sur les artistes africains, sans nécessairement la connaissance de ce marché, juste pour avoir dans leur portefeuille un artiste et le sortir au bon moment. Il est donc important d'aider les artistes et les mettre en garde. Néanmoins, c'est aussi bien que ce soit les galeries occidentales qui les défendent car ce sont elles qui font le marché pour le moment. Cependant, les artistes doivent faire attention à comment est vendu leur travail, comment leur cote est établie. Il faut du temps pour établir cette cote. Donc, ce n'est pas en faisant des coups avec de grandes ventes aux enchères que tout d'un coup le public aura un engouement inconsidéré pour une œuvre. La cote d'un artiste se bâtit progressivement à force de patience et d'une grande discipline. Il ne faudrait pas que les artistes vendent leurs œuvres d'un côté à des " copains " et de l'autre côté à des galeries puisque vous aurez deux types de prix sur le marché. Lorsque les amis ou connaissances qui passent directement par l'atelier auront besoin d'argent, les œuvres se retrouveront sur le marché à un bon prix, supérieur à leur prix d'ami mais inférieur au prix galerie. D'où une distorsion du marché. On achètera de l'art africain que lorsque l'on sera sûr qu'un artiste a une cote. Il faut donc une véritable discipline sur le marché avec des prix clairs. Il faut comprendre le marché de l'art et respecter les règles de base qui ne sont finalement pas très compliquées. Cela permettra aux artistes africains d'asseoir leur notoriété.

 

LDB : Comment l'artiste africain peut-il vivre de son art ?

SS : Qu'un artiste vive de son art est quelque chose de compliqué et pas seulement en Afrique. En France, par exemple, les artistes vivent rarement de leur art. Ils vivent parce qu'ils ont un métier à côté ou encore grâce aux subventions de l'État. Il y a très peu d'artistes qui peuvent réellement vivre de leur art. Ils peuvent le faire une fois qu'ils ont vraiment décollé, sinon ils doivent bénéficier de soutiens de mécènes. Et aujourd'hui, en Afrique, ce sont ces mécènes qui pourront vraiment aider les artistes plus que des gouvernements qui gèrent le quotidien en opèrant trop souvent des coupes dans leurs budgets culturels.

 

LDB : Mais d'où viendront ces mécènes, en dehors des quelques-uns que vous avez cités ?

SS : Il n'en existe pas beaucoup encore. Mais il y a des collectionneurs privés qui achètent même si ce n'est pas encore suffisant pour les artistes. Mais ça se fera grâce à des initiatives comme la foire 1:54 à Londres qui aideront à élargir la base d'acheteurs.

 

LDB : Mais il n'existe pas encore ce genre d'initiative en Afrique ?

SS : En Afrique, c'est encore tôt. Il existe d'autres problèmes plus urgents sur le continent et plus essentiels pour développer les pays, même si c'est important de soutenir l'art. Le développement du marché de l'art africain commencera en Europe et reviendra en Afrique ensuite. Même les collectionneurs américains, par exemple, ont les yeux tournés vers Londres et ne s'intéresseront vraiment à l'art africain que lorsqu'il aura réussi à Londres. Il existe une base très importante d'acheteurs aux USA qui restent le premier marché mondial. A partir de ce succès, il faudra qu'en Afrique on puisse développer des initiatives pour aider les artistes sur place en créant à nouveau des musées, des fondations. Ce sont des structures qui avaient déjà été créées dans les années 60 avec le mouvement de décolonisation, mais qui sont tombés dans l'oubli progressivement. Il faudra récréer ces espaces et l'initiative des Zinsou via leur fondation est un exemple à suivre.

 

LDB : Vous avez dit qu'il est difficile pour un artiste de vivre de son art. Qu'en est-il alors pour un collectionneur ou un galeriste ?

SS : Le métier de galeriste est difficile. On se demande toujours comment être galeriste et millionnaire et on répond qu'il faut commencer par être milliardaire. C'est souvent vrai ! Sans vouloir être dur, il faut quand même avouer que le métier de galeriste ressemble aujourd'hui à celui d'un marchand ordinaire qui vend ce qui marche et pas forcément ce qu'il aime. En même temps, le marché de l'art n'a jamais brassé autant de sommes d'argent, grâce notamment à la création d'innombralbles musées, à tous ces nouveaux millionnaires et milliardaires achetant de l'art comme reconnaissance sociale, aux grandes maisons de vente aux enchères qui brassent et recyclent énormément d'argent. Ce sera un parcours que l'art africain devra également emprunter.

 

LDB : qui sont les artistes africains les mieux cotés sur le plan international, ceux qui travaillent en Afrique ou ceux qui ont choisi de s'expatrier en Occident ?

SS : il faudrait d'abord mieux définir l'artiste africain. Est-ce celui qui travaille en Afrique ou encore celui qui fait la navette entre l'Afrique et l'Occident ? C'est vrai que les artistes qui ont percé étaient surtout ceux qui étaient présents en Europe et qui se sont très vite fait connaître par des galeries européennes. Toutefois avec les nouvelles technologies, la question du lieu de travail n'a plus de sens et les artistes multiplient leurs lieux de résidence.

LDB : Comment appréciez-vous l'exposition Beauté Congo actuellement en cours à la fondation Cartier ?

SS : L'exposition est particulièrement intéressante parce qu'elle replace l'art congolais dans l'histoire, ce qui est essentiel pour moi. C'est intéressant de découvrir que dans les années 30-40 existaient des artistes absolument exceptionnels avec une vision naturelle et réelle des choses et parralèle aux mouvements européens, les mêmes élans, le même travail des formes, des couleurs et des médias utilisés... Des œuvres universelles qui montrent qu'aujourd'hui, définir l'art à travers une région n'a plus de sens. Une grande reconnaissance au travail d'André Magnin.

 



Source : adiac-congo.com


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