Dieu des platines depuis les années 1980, ce quinqua hyperactif joue aujourd'hui aussi bien dans les musées que dans les clubs.

À 51 ans, Jeff Mills est toujours DJ, mais il est aussi un artiste vidéaste reconnu. Il vient de réaliser un film dans le département des Antiquités égyptiennes du Louvre, dans le cadre de la carte blanche qu'il y anime jusqu'en juin.

Sur le lieu même du tournage, il nous a expliqué son projet. De la vie à la mort et retour est un film de danse, réalisé avec le chorégraphe Michel Abdoul. On y voit trois danseurs qui naissent dans la lumière, se transforment en individus, meurent et se réincarnent, à l'infini...

Un film qui symbolise le cycle de la vie et le processus de réincarnation, un des thèmes qui obsèdent Jeff Mills.

Le Point.fr : Êtes-vous bouddhiste ?

Non, pas du tout ! Je ne suis absolument pas religieux ! Mais je crois qu'après la mort, l'âme va quelque part. Toute cette énergie qui est créée pendant notre vie ne peut pas juste disparaître. Donc je crois en la réincarnation.

En quoi voudriez-vous vous réincarner ?

(Très sérieux) Je reviendrais en pop star. Oui, je reviendrais en Prince, le chanteur ! (rires) Sa vie doit être tellement intéressante ! Sinon, je me réincarnerais bien en chien. Parce qu'ils sont gardés comme un membre de la famille.

Ce n'est pas la première fois que vous travaillez avec des danseurs...

Oui, je travaille de plus en plus avec eux. Au début, ça ne m'intéressait pas tant que ça, mais ils ont une manière de traduire des concepts avec des mouvements du corps que je trouve très intéressante.

Pour ce projet, j'avais une idée très précise des chorégraphies. Je voulais qu'ils deviennent des objets de la collection qui prennent vie. Un peu comme dans le film Une nuit au musée ! L'architecture des galeries du Louvre m'a beaucoup inspiré aussi...

REGARDEZ les trois sculptures du Louvre qui ont inspiré Jeff Mills : D'ailleurs, vous avez étudié l'architecture !

Oui, j'ai commencé, mais après... ma carrière de DJ a décollé, j'ai vite arrêté en fait.

Vous alliez souvent au musée quand vous étiez enfant, à Detroit ?

J'étais un étudiant moyen donc je me souviens surtout des visites au musée comme d'un moyen pour ne pas être en classe !

Mais alors d'où vous vient cette passion pour les antiquités égyptiennes ?

En fait, c'est depuis que je viens dans cette aile du Louvre. Je vis depuis 20 ans à Paris, mais je n'avais visité qu'une fois le musée. Quand on m'a proposé cette carte blanche, j'ai redécouvert ce lieu. Maintenant, j'aime tellement ces objets que je veux être égyptien ! (rires) C'est une culture particulière...

Ils ont un dieu pour chaque jour de l'année, soit 365 dieux. Aujourd'hui par exemple, mercredi 11 février, c'est le jour de tel Dieu, donc on doit se comporter de telle manière... Ça rend la vie plutôt facile !

Mais vous connaissiez déjà l'histoire de l'Égypte ancienne ?

Pas vraiment. À Detroit, dans les écoles publiques (qui n'étaient pas géniales), on étudiait l'Égypte peut-être une semaine... C'est court !

Y êtes-vous allé ?

Jamais ! Mais si la situation politique se calme, j'aimerais beaucoup.

Vous regardez les infos ?

Je voyage beaucoup donc je suis obligé... J'aime connaître la situation d'un pays avant de m'y rendre.

Vous étiez à Paris pendant les attentats contre Charlie Hebdo ?

Non, j'étais aux États-Unis, mais j'étais collé aux chaînes d'info en continu !

Qu'en avez-vous pensé ?

Quand on se moque du Dieu de quelqu'un, on doit avoir en tête que cette personne passe toute sa vie à vénérer ce Dieu et que c'est très offensant. Je comprends que la liberté d'expression soit nécessaire, mais il y a une différence entre être libre et contrarier. Quand on offense quelqu'un, on ne peut pas s'attendre à ce que cette personne se fasse pousser encore et encore et encore, sans rien dire. Un jour, elle va résister. Est-ce que ça en vaut vraiment la peine ?

Avez-vous l'impression que les musulmans sont stigmatisés comme l'étaient les Noirs aux États-Unis dans le passé ?

Toute ma vie, j'ai été témoin d'actes de racisme envers les Afro-Américains. J'ai moi-même souffert du racisme. Cela m'attriste beaucoup quand je vois les musulmans vivre la même chose.

On voit de plus en plus de vidéos de bavures policières aux États-Unis... Pensez-vous qu'elle a trop de pouvoir ?

Absolument. Les policiers sont utilisés pour marginaliser les minorités. Les rappeurs dénoncent ça depuis les années 1980 et aujourd'hui, on commence à s'apercevoir que c'était vrai. Il y a toujours eu de la corruption à tous les niveaux de la police. Ils pensent qu'en repoussant les pauvres hors de la ville, ils ne viendront pas dans les quartiers riches. C'est ce que je ressentais en grandissant à Detroit, je sentais que je n'avais rien à faire dans les beaux quartiers. Et les bavures que nous avons vues récemment ne sont en fait qu'une petite partie de ce qu'ils font en réalité.

Barack Obama est très critiqué en ce moment aux États-Unis... Que pensez-vous de lui ?

Je ne suis peut-être pas religieux, mais je crois en Obama ! Et l'histoire montre que les mesures qu'il a prises pour le pays étaient les bonnes. La preuve : l'économie est en train de repartir, le chômage est en baisse... Quand il est arrivé au pouvoir, il a dû gérer deux guerres et une crise financière, mais il a quand même fait beaucoup. Regardez l'assurance maladie : tant d'Américains y avaient renoncé... Mais il l'a fait ! Maintenant, il s'attaque à l'éducation. J'aimerais qu'il ait le temps d'en faire plus, j'aimerais qu'il reste encore quatre ans.

Même s'il augmente les impôts ?

Je suis totalement pour. Il y a beaucoup de riches aux États-Unis... S'ils payaient plus d'impôts, le pays serait plus stable. Je pense qu'une classe moyenne forte est essentielle.

Vous êtes toujours amateur de belles voitures ?

Quand on vient de Detroit, on aime forcément les voitures. Je n'en ai jamais assez...