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Jeux africains : le coureur révolté du peuple sahraoui

  Sport, #

Trois petits mots en français et une icône au visage mécontent. Sur sa page Facebook, Salah Amaidan (Hmatou, de son nom marocain) se dit "?très en colère?". Samedi 5 septembre, à Brazzaville (Congo), l'athlète espérait porter haut les ­couleurs du Sahara occidental pendant la cérémonie d'ouverture des 11esJeux africains. Présenté par ses défenseurs comme la dernière colonie d'Afrique, ce territoire encore sous contrôle marocain - et qui n'est membre à part entière ni de l'ONU ni du Comité international olympique - devait participer pour la première fois de son histoire à la compétition.

Mais une fois sur place, fini de rêver. Malgré l'invitation de l' Union africaine, responsable des Jeux depuis deux ans, le comité d'organisation congolais a invoqué un vice de forme pour les treize sportifs sahraouis ?: " ?Le Sahara occidental ne pourra pas participer, nous explique-t-on, car il n'est pas encore affilié aux ­fédérations internationales des sports auxquels il avait prévu de participer.? " A savoir? : l' athlétisme, mais aussi le taekwondo, le ­karaté, la boxe et le cyclisme.

Salah Amaidan s'était préparé pour disputer le semi-marathon, jeudi 17 septembre, à l'avant-veille de la journée de clôture. Derrière cette interdiction, il voit la main du ­ Maroc ?: " ?Le Maroc a de bonnes relations avec le Congo, je crois...?" Sous-entendu ?: absent de l'événement pour protester contre l'Union africaine (dont est membre le Sahara occidental, contrairement au Maroc), le royaume chérifien aurait pu faire pression pour empêcher les ­Sahraouis de concourir. Version que dément fermement un responsable du Comité national olympique marocain ?: " ?Tout ce qui est en dehors du niveau sportif et olympique ne nous concerne pas et nous ne voulons même pas interpréter ou dire quoi que ce soit. Je ne suis pas habilité pour parler, au nom du Maroc, de cette affaire-là. ?" De son côté, contactée par Le Monde, la Fédération royale marocaine d'athlétisme n'a pas donné suite à nos sollicitations.

Ambassadeur du sport sahraoui­

Salah Amaidan s'apprête à retourner en France où il vit depuis 2004 avec le statut de réfugié politique. Il habite à Biarritz dans une pièce de 11 m 2, au rez-de-chaussée d'une résidence soignée. Accroché au mur, le drapeau de la République arabe sahraouie démocratique ?: des bandes noire, blanche et verte, accompagnées d'un triangle, d'un croissant et d'une étoile rouges.

Ses sources de revenus? ? Une aide de quelque 500 euros par mois en vertu de son statut de réfugié, assure-t-il, auxquels s'ajoutent d'éventuelles primes lors de courses gagnées. Depuis décembre 2014, l'ambassadeur du sport sahraoui a offert plusieurs succès régionaux à la section athlétisme du Biarritz olympique plus connu, il est vrai, pour son équipe de rugby.

En avril, Salah Amaidan bouclait par exemple les 10 kilomètres d'Anglet en 30? min 42. Très loin du record du monde du Kényan Leonard Komon (26 min 44). Mais déjà bien assez pour attirer les regards des participants sur le maillot aux couleurs sahraouies que le fondeur s'est fait "? spécialement fabriquer ?" en Espagne, où il a rencontré sa petite amie, une indépendantiste basque.

Près de l'évier, le trentenaire a entreposé sa meilleure arme?: un tas de chaussures de course. "?Mon message consiste à faire reconnaître la cause du peuple sahraoui par le sport. Quand je cours, je suis comme en guerre, je combats, je représente le Sahara occidental.?" Il faut dire que Salah Amaidan est un cas à part?: adolescent, il courait pour les équipes de ­jeunes du Maroc, l'"?ennemi?" qui administre le Sahara occidental depuis le départ des ­Espagnols à partir de 1975.

Résultats prometteurs

Amaidan a grandi à Laayoune, principale cité de cette étendue désertique. A l'âge de 13 ans, ses résultats prometteurs lui valent d'intégrer l'école marocaine d'athlétisme de Rabat, un millier de kilomètres plus au nord. "?Les responsables du centre voulaient me former pour que je représente le Maroc et qu'ils disent ensuite que les Sahraouis sont bien intégrés dans la société marocaine.?"

Peu à peu, l'adolescent se politise. A 17 ans, en repos, il se joint aux manifestations pour l'indépendance du Sahara occidental?: "?Alors que je finissais un entraînement à la sortie de Laayoune, au moment de rentrer chez moi, je tombe sur des enfants qui commencent à jeter des cailloux contre la police marocaine. Je portais sur moi un survêtement du Maroc. J'ai enlevé ma veste et je les ai rejoints.?" L'épisode lui coûtera, dit-il, une interpellation, puis la visite d'une caserne de gendarmerie.

Dans la capitale marocaine, le jeune athlète se sent de plus en plus à l'étroit?: "?Si vous allez là-bas, vous remarquerez tout de suite la différence entre un Marocain et un Sahraoui?: on ne parle pas la même langue, on n'a pas la même culture, on ne vit pas pareil. Et chez nous, au ­Sahara occidental, il y a plus de respect entre les enfants et les parents. Même devant sa famille, on ne dit pas de gros mots.?" Pour parler poliment à ses parents, Salah Amaidan s'exprime dans le dialecte sahraoui?: le hassanya. Mais il sait aussi parler l'arabe classique.

Et donc, désormais, le français?: le coureur a demandé l'asile à l'issue des 10 km de Belleu, en Picardie, le 18 avril 2004. Il venait de franchir la ligne d'arrivée avec un drapeau ­sahraoui que lui avait remis un complice quelques mètres plus tôt. Crime de lèse-majesté pour un coureur marocain. "?Le fait de porter le drapeau sahraoui passe, aux yeux du Maroc, pour un acte de traîtrise. Je suis le seul sportif sahraoui qui ait cassé le mur de la peur, le premier qui ait dit?: "Non, je ne représente plus le Maroc, je représente le Sahara occidental, je cours pour mon peuple"?", assène-t-il.

Agressions physiques

Même en France, pendant des années, le transfuge - dont l'excès de prudence confine à la paranoïa - préférera vivre avec les stores baissés.Il lui aura fallu quitter Avignon, en décembre 2014, pour enfin oser vivre avec la ­lumière du jour : "?Dès mon arrivée, d'abord à Mantes-la-Jolie [Yvelines], chez de la famille, j'ai reçu des insultes au téléphone..., avance-t-il. Mais à Biarritz, je n'ai jamais eu de problèmes, il y a moins de Marocains.?"

Le sportif dit avoir déjà été l'objet de "?deux agressions physiques?" lors de compétitions?: l'une près de Nîmes, l'autre près de Pézenas (Hérault). Pour attester de sa bonne foi, il nous présente un procès-verbal de 2009 évoquant un homme qui le projette "?violemment contre le mur?", puis qui lui assène "?des coups de pied?" au visage. "?A la fin de la première course, un spectateur marocain m'a frappé dans le dos. Je lui ai demandé pourquoi. Il m'a répondu?: "Vous, les Sahraouis, vous êtes des esclaves, ­l'Algérie et Cuba vous dirigent."?" A l'inverse de la France, ces deux pays figurent parmi les Etats, encore minoritaires, qui ont reconnu la ­République sahraouie.

Le Front Polisario, structure politique qui milite pour l'indépendance du Sahara occidental, l'a investi d'un rôle bien particulier?: ­représenter la jeunesse sahraouie en Europe. Pour faire connaître sa cause, Salah Amaidan parcourt les villes du continent, de conférence en conférence.

Issu d'une fratrie de neuf enfants, le trentenaire est autrement plus militant que sa sœur aînée, Laila Traby. Médaillée de bronze aux championnats d'Europe 2014 sur 10 000 m, et récemment suspendue trois saisons pour ­dopage, la coureuse naturalisée française se ­garderait bien d'afficher comme lui un parti pris pour le Polisario.

"?Le gouvernement français a des intérêts avec le roi du Maroc, il le soutient pour les ­richesses du Sahara [gisements de phosphates], veut croire Salah Amaidan. Mais en réalité, le problème, c'est surtout que la question du Sahara occidental n'est pas médiatisée en France. Quand tu parles du Sahara, ici, les gens n'en connaissent que les aspects touristiques...?"



Source : www.lemonde.fr


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