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Joaquim Chissano : " Investir au Mozambique, c'est se sentir responsable du pays "

  Politique, #

L'ancien président Joaquim Chissano est probablement le plus grand témoin vivant de l'indépendance du Mozambique, proclamée il y a exactement quarante ans, le 25 juin 1975. Premier ministre du gouvernement de transition en 1974, puis ministre des affaires étrangères du premier gouvernement, il a succédé en 1986 à Samora Machel - le libérateur du pays, qui garde une statue à son effigie dans la plupart des villes - à la suite de son décès dans un crash d'avion survenu dans des circonstances pas vrai.

Après avoir sorti son parti, le Frelimo, du marxisme, puis son pays hors de la guerre civile, Joaquim Chissano a remporté en 1994 les premières élections démocratiques et multipartites. Il quitte le pouvoir en 2005 sans que la Constitution ne l'y oblige, comme trop peu de ses pairs de l'Union africaine, ce qui lui vaut en 2007 d'être le premier lauréat du prix Mo Ibrahim pour la bonne gouvernance.

Principal artisan de la réconciliation nationale mozambicaine et de l'ouverture à l'économie de marché, son passage au pouvoir est également marqué par l'envol des indices de corruption et l'implication de hauts responsables du Frelimo dans des affaires retentissantes, dont l'assassinat en 2000 du journaliste Carlos Cardoso, dans laquelle son propre fils, Nyimpine Chissano, depuis décédé, aurait été impliqué.

Quel bilan faites-vous de ces quarante ans d'indépendance ?

Il y a peu de pays qui ont été capables de faire ce que le Mozambique a accompli en quarante ans. Car si on regarde clairement, il faut retrancher les seize années de destructions liées à la guerre civile [1976-1992]. Un pays qui commence avec 90 % d'analphabétisme, et qui possède aujourd'hui plus de 47 établissements d'enseignement supérieur, cela fait une différence. Un pays qui, il y a quarante ans, avait dans certaines zones un seul médecin pour des dizaines de milliers d'habitants, aujourd'hui, en a plusieurs par districts, ainsi qu'une faculté de médecine. Certes, il reste beaucoup à faire, notamment dans le domaine de l'éducation.

Lors de votre arrivée au pouvoir en 1986, le marxisme a été abjuré par le Frelimo, le parti au pouvoir. Quelles en furent les raisons ?

Nous avons dû ouvrir le pays aux investissements étrangers, et il fallait développer les forces entrepreneuriales. Nous avions également besoin de coopérer avec les pays qui étaient déjà ouverts à l'économie de marché. L'Occident a refusé pendant longtemps l'établissement de relations avec les pays du bloc de l'Est, alors qu'ils ont désormais une bonne coopération avec la Chine ou la Russie. Aujourd'hui, que l'on soit marxiste ou non, ce n'est plus une entrave, là où il y a des intérêts, ils y vont.

Mais notre projet social n'a pas été abandonné en dépit de notre ouverture à l'économie de marché. Tous ceux qui investissent au Mozambique doivent se sentir responsable du développement social de notre pays.

La presse mozambicaine est très critique contre l'enrichissement de l'élite du Frelimo, ces dix dernières années...

Je pense que dans la vie des nations, il y a des parcours différenciés et c'est le signe d'une évolution. A l'indépendance, nous n'avions pas un vendeur d'aiguilles, pas un entrepreneur. Tout le monde était pauvre, et presque 90 % de la population vivait alors dans les champs. Il y a des inégalités entre ceux qui émergent et les autres qui restent derrière. Et ces premiers qui ont accumulé des richesses poussent les autres et démultiplient leurs gains. Mais si personne n'a rien, alors il n'y a rien à démultiplier. Cette préoccupation que les pays étrangers ont avec le Mozambique et d'autres pays africains n'est peut-être pas si légitime, car eux-mêmes ferment les yeux sur ce qu'il se passe dans leurs propres pays !

Le Mozambique est souvent pointé du doigt par rapport à la corruption...

C'est un cancer qu'il faut combattre. Et l'une des meilleures manières de le faire, c'est d'expliquer à notre population ce concept de corruption qui, d'une certaine manière, est liée à notre culture. Au temps colonial également, dans l'administration portugaise, il était nécessaire de " connaître quelqu'un " pour résoudre n'importe quel problème. Cela ne vient donc pas d'aujourd'hui. Nous avons donc deux combats primordiaux aujourd'hui au Mozambique : éduquer pour la paix, éduquer contre la corruption.

La situation politique est incertaine depuis plusieurs mois. Etes-vous préoccupé par les récentes déclarations du leader de l'opposition, Afonso Dhlakama (Renamo), qui s'est déclaré prêt à imposer par la force son projet de provinces autonomes ?

C'est une situation préoccupante, mais nous ne devons pas pour autant nous alarmer, car la Renamo poursuit une stratégie de déstabilisation psychologique de la population afin de forcer le gouvernement à un partage du pouvoir. Car ils veulent le pouvoir, non par voie démocratique, mais bien en l'imposant. Ils ne comptent peut-être pas utiliser leurs armes pour faire la guerre, juste pour mettre la pression. Mais cela contribue à diviser la population.

Il s'agit également d'une tactique de survie, pour un parti qui n'était pas loin de se désagréger, en montrait les signes, et qui n'a pas de fonctionnement démocratique. Ils parlent de démocratie mais eux-mêmes n'en ont aucune, c'est un parti plein de contradictions. Ce n'est pas grave d'avoir des contradictions, mais celles qui créent le chaos dans la population sont dangereuses.

Propos recueillis à Maputo par Adrien Barbier



Source : www.lemonde.fr


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Alain
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