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La relation Afrique-Chine dans le nouveau contexte d'un monde multipolaire

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En ce début du mois de décembre 2015, se tiennent à Johannesburg conjointement la 6ème Conférence ministérielle du Forum de coopération Chine Afrique (Fcsa) et le deuxième Sommet Chine-Afrique qui succède à celui tenu à Beijing en 2006.

Ces rencontres charrient beaucoup d'espoir au niveau des deux parties. Le cours de l'histoire, rappelons-le, tel qu'il s'est déroulé depuis 500 ans, est en train de changer sous nos yeux, et comme d'habitude dans de pareilles circonstances, il faut beaucoup de perspicacité pour saisir la lame de fond qui est à l'œuvre et surtout éviter le décalage du moment subjectif qui amène à regarder le monde réel nouveau sous le prisme des schémas du passé, car à Johannesburg, se rencontrent le rêve chinois et le rêve africain.

Aussi, nous inspirant du "Responsabilisme", doctrine du Mouvement Tekki qui appelle à une mise en pratique permanente de la responsabilité des Africains vis-à-vis de l'Afrique (cf. Mamadou Lamine Diallo, Tekki, principes et méthodes du responsabilisme, L'Harmattan, 2010), nous croyons devoir proposer une offre de coopération structurée à nos amis chinois.

 

Le rêve chinois et le rêve africain
Les points communs des rêves des peuples chinois et africain sont l'aspiration au développement socio-économique, mais aussi la liberté, la dignité et le respect qui ne sont rien moins que des droits humains universels qui pourtant, dans le passé, ont été déniés à ces peuples par les puissances impérialistes occidentales. Ce n'est pas un hasard si le vocabulaire le plus partagé dans le champ de la coopération sino-africaine porte sur l'amitié, la solidarité, la sincérité et le bénéfice mutuel fondé sur le paradigme du gagnant-gagnant.

Il s'agit, pour ce dernier aspect, d'un renversement total de perspective par rapport à la conception entropique qui se résume en une évolution irréversible d'un état d'ordre vers un état de désordre, un équilibre de synthèse d'un cran en-dessous de l'optimum ou un jeu à somme nulle où il faut forcément un perdant pour qu'il y ait un gagnant.

Les valeurs et principes de la diplomatie chinoise ont été rappelés par le Président Xi Jinping dans son discours prononcé lors de la 70ème session de l'Assemblée générale des Nations Unies en septembre 2015, dans lequel il proclamait que le rêve du peuple chinois était étroitement lié à celui des autres peuples du monde.

L'on peut affirmer, pour notre part, qu'au rêve de grand renouveau de la nation chinoise, fait écho le rêve d'unité, d'indépendance et d'émergence d'une Afrique vibrante, palpitante et regardant l'avenir avec foi et optimisme. Qui a dit que l'avenir du monde est en Afrique ? Si c'est le cas, l'humanité sera alors simplement retournée vers son berceau originel pour y trouver la clé de son futur.


Une Histoire sans histoire



S'il y a de cela 2 500 ans, la civilisation africaine d'Egypte a, de l'aveu même des auteurs grecs, accouché loin de ses terres de ce qu'on a pu nommer le miracle hellénique, la civilisation chinoise s'est de son côté révélée techniquement la plus avancée du monde durant les 15 siècles qui ont précédé la Renaissance européenne.

On lui doit nombre d'inventions révolutionnaires qui vont de l'imprimerie à la poudre à canon et à la boussole, en passant par l'horlogerie mécanique, la navigation à voiles multiples, etc. La célèbre recommandation du Prophète Muhammad (Psl) enjoignant les musulmans de chercher la science partout, au besoin jusqu'en Chine, est révélatrice du niveau de développement scientifique atteint par l'Empire du Milieu à cette époque.


Au début du 15ème siècle, bien avant Christophe Colomb et Vasco de Gama, les navigateurs chinois longeaient les côtes Est de l'Afrique, mais sans jamais manifester des visées hostiles envers les habitants de ces territoires, ni développer des prétentions exploratrices à l'égard des contrées inconnues. Le fait que le désenclavement planétaire n'ait pas été l'œuvre de la Chine malgré sa toute-puissance technologique reste encore une énigme de l'Histoire. Dans son ouvrage intitulé La grande transformation, Karl Polanyi pointe l'institution du marché comme étant le facteur principal de différenciation entre l'Europe et la Chine en ce moment précis de l'histoire.


Retenons en tout cas que parmi les traits communs des cultures chinoises et africaines, il y a tout d'abord la notion d'harmonie cosmique qui constitue pour toutes les deux une valeur centrale. Ce sont des cultures qui ne sont pas non plus fondées sur un projet annexionniste ou assimilationniste. Est-ce lié à leur caractère continental, autrement dit, au fait que leur prospérité a reposé davantage sur le pays profond que sur le commerce international ? On sait a contrario, depuis Platon et son récit de l'île mythique de l'Atlantide, que les civilisations maritimes étaient par essence agressives et hégémoniques et que les signes annonciateurs de leur déclin apparaissaient paradoxalement lorsque leur arrogance atteignait son summum. Mais pour revenir au présent, où en sont les relations entre l'Afrique et la Chine, aujourd'hui en 2015 ?


L'état de la coopération entre l'Afrique et la Chine


J'emprunte ces chiffres à l'ambassadeur de la République populaire de Chine au Sénégal, M. Xun Zhang, qui rappelle dans une tribune publiée dans Le Soleil du 20 novembre 2015 que le volume du commerce entre la Chine et l'Afrique est passé de 10 milliards de dollars en 2000 à 220 milliards de dollars en 2014. La Chine est ainsi devenue de loin le plus grand partenaire commercial de l'Afrique. D'autres sources indiquent que sur la même période, les investissements chinois en Afrique explosaient de 500 millions de dollars à 30 milliards de dollars. Les projets d'infrastructures sont prioritairement ciblés, notamment les secteurs de l'électricité (33%), des transports (33%), en particulier les chemins de fer ainsi que les télécommunications (17%). Ces flux d'investissement sont aux trois quarts concentrés sur quatre pays que sont le Nigeria, l'Angola, l'Ethiopie et le Soudan. Certains ont alors soupçonné la Chine de mettre en place des infrastructures en Afrique dans l'unique but d'y remporter des contrats pétroliers.

La Banque mondiale indique pourtant qu'il n'y a de lien entre ces projets et l'exploitation du pétrole que pour 7% des contrats de construction. L'institution de Bretton Woods ajoute qu'au cours des dernières années, en moyenne 40% du pétrole africain est acheminé vers les Etats-Unis, 17% vers l'Europe et 14% seulement à destination de la Chine. Cette tendance devrait cependant s'inverser à court et moyen terme. Au demeurant, la China road and bridge corporation a démarré au Sénégal le projet "Ila Touba" d'autoroute à péage d'une longueur de plus de 100 km qui devrait relier Thiès au centre du pays pour un coût de 700 millions de dollars.


La stratégie chinoise de pénétration des marchés africains s'appuie sur un puissant instrument financier, la banque d'Etat EximBank qui supporte de grands groupes publics dans les secteurs du pétrole comme China national petroleum corporation, des Btp (China railway, China civil engineering construction company), de l'électricité (China hydraulic and hydroelectric construction group), des télécommunications (Zhong Xing telecommunication equipment), etc.


A notre avis, l'Afrique devrait faire preuve du même pragmatisme que celui affiché par nos partenaires chinois auxquels elle devrait soumettre des projets structurants visant à approfondir les marchés régionaux des différentes communautés économiques, tout en assurant une liaison en amont avec les projets nationaux et une interconnexion en aval des réseaux sous-régionaux d'infrastructures en vue d'un maillage du continent africain pour son industrialisation rationnelle et la modernisation de son agriculture.


Le plan d'action "Agenda 2063" de l'Union africaine, en particulier dans sa première phase décennale, constitue à cet égard une bonne plate-forme de discussion. Pour rappel, le déficit en infrastructures du continent est estimé par la Banque mondiale à 100 milliards de dollars.

Au même moment, nos partenaires chinois entretiennent des réserves extérieures en devises qui s'élèvent au minimum à 3 000 milliards de dollars et ne veulent point alimenter avec cette manne les marchés financiers spéculatifs occidentaux au détriment du financement de l'économie réelle.

Voilà un contexte favorable et une bonne base d'opportunités qu'il s'agit de manager dans le sens des intérêts mutuels des deux parties. Il convient également pour les Etats africains de tirer pleinement profit de la coopération économique avec la Chine, en demandant un transfert de technologies ainsi que nos amis chinois eux-mêmes l'exigent des investisseurs européens et américains.


Les relations sino-africaines, pour être pérennisées dans le sens de nos intérêts réciproques, mais aussi de la compréhension et de l'amitié sincère, doivent continuer à s'appuyer sur une solide coopération culturelle, scientifique et humaine. Un accent particulier devrait être mis sur les échanges universitaires, en particulier avec les éminentes institutions comme l'Académie chinoise des sciences.

Les intellectuels africains devraient être assidûment comptés parmi les invités à des événements comme le Forum culturel mondial dont la première édition s'est tenue les 18 et 19 octobre 2015 à Beijing. Toujours au plan culturel, nous autres Sénégalais avons eu le privilège de bénéficier de la construction par la Chine à Dakar d'un imposant théâtre, pendant qu'une autre infrastructure culturelle d'envergure, le Musée des civilisations noires, est en voie de finition. Déjà depuis plus de 25 ans, des infrastructures sportives sont érigées par la Chine un peu partout dans le pays.

Y compris dans le domaine des médias, la touche chinoise apparaît toujours originale pour qui suit les émissions de très haute facture de Radio Chine internationale sur la bande Fm et dont la ligne éditoriale est empreinte d'un respect constant pour la culture et l'identité des auditeurs, sans oublier la mise en place en son sein d'une équipe de journalistes nationaux particulièrement compétents. Par ailleurs, les Africains en sauront toujours gré à la Chine de l'impressionnant siège qu'elle leur a offert pour abriter l'Union africaine à Addis Abeba.


Au niveau multilatéral, il y aurait lieu de renforcer la coordination entre les pays africains et la Chine dans les affaires internationales, pour y apporter plus d'équité, notamment par la nécessaire réforme du système des Nations unies en faveur des pays en développement et par une prise en charge responsable des défis globaux sécuritaires et environnementaux. Lors de la 70ème session de l'Assemblée générale des Nations unies, évoquée plus haut, un fonds chinois pour la paix et le développement d'un montant d'un milliard de dollars a été proposé à l'Onu, de même qu'une enveloppe de 100 millions de dollars d'assistance militaire, permettant à l'Union africaine de mettre en place une force permanente et une capacité de réaction rapide aux crises.


Coopération versus géopolitique



En 2008, le journaliste américain Fareed Zakaria a publié The post american world, un ouvrage qui fait le constat d'un monde devenu multipolaire où des géants économiques comme la Chine émergent et contestent la suprématie américaine.

Ensemble avec la Russie, le Brésil, l'Afrique du Sud et l'Inde, la Chine a lancé le groupe des Brics qui rassemble 42% de la population mondiale, 26% de la superficie des pays du globe et 27% de la richesse mondiale. Les Brics ont créé en 2014 la Nouvelle banque de développement, d'un capital initial de 100 milliards de dollars. Dans le cadre de l'Organisation de coopération de Shanghai, la Banque asiatique pour l'investissement et les infrastructures a ouvert le projet de "route de la soie" de revitalisation de l'économie, sur un axe reliant le sud-est asiatique, la Chine, l'Asie mineure et l'Europe. Les plus grands pays européens dont l'Allemagne et la France ont adhéré à ce projet.

Comme on le voit, la politique internationale de la Chine est l'expression d'une option pour la paix et le développement alors que les forces de la domination impériale lui opposent une réponse géopolitique de containment qui installe un chaos organisé en Afrique, au Moyen-Orient, en Europe centrale et orientale et menace la Chine jusque sur ses frontières. Cette situation d'insécurité globale avec ses aspects de guerre asymétrique communément appelée terrorisme est de plus en plus identifiée comme signal de l'avènement de la 3ème guerre mondiale. La Chine et l'Afrique, ainsi que toutes les forces favorables à une civilisation humaine pacifique, devraient y répondre en développant davantage une pensée stratégique prospective commune.

 

Souleymane SALL
Synergie Tekki , le Mouvement des Cadres de Tekki

Source : www.lequotidien.sn


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