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La solitude des médecins africains face à la lutte contre le cancer

  Société, #

" Les difficultés, je ne vais pas toutes les énumérer, parce que je ne vois pas qui va essuyer mes larmes ", sourit le professeur Paul Ndom, chef de service oncologie au Centre hospitalier universitaire de Yaoundé, au Cameroun. Il a presque terminé sa présentation lorsqu'il s'exprime ainsi, le 3 février à l'hôpital américain de Neuilly (région parisienne), à l'occasion du second symposium de l'Association franco-africaine de cancérologie, créée en 2015.

Huit membres de cette association sont venus établir un état des lieux de la lutte contre le cancer dans leurs pays : le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, le Congo Brazzaville, la Côte d'Ivoire, le Gabon, le Mali et le Sénégal.

Dépistages tardifs

En Afrique subsaharienne, 847 000 nouveaux cas de cancers ont été recensés par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2012, mais c'est une estimation basse. Dans la plupart des pays, les registres nationaux du cancer ne se mettent difficilement en place que depuis trois à quatre ans. Or, avec des modes de vie en évolution ( tabac, obésité, sédentarité, allongement de la durée de vie) et une forte incidence des maladies infectieuses (hépatite, sida, papillomavirus...), le nombre de nouveaux cas pourrait atteindre 1,6 million de personnes par an en 2020.

 

Ce qui vaut au professeur Ndom de vouloir retenir des larmes, c'est que sur 16 000 nouveaux cas de cancer estimés chaque année au Cameroun, " 75 à 80 % nous parviennent à des stades tardifs ". Une caractéristique propre aux huit pays représentés. " Il peut se passer de 12 à 18 mois entre le constat d'une anomalie, l'automédication, voire la pratique de la médecine traditionnelle, et l'arrivée au CHU ", développe Innocent Adoubi, coordonnateur du Programme de lutte contre le cancer de Côte d'Ivoire, qui confirme la statistique. Dans ce pays, le registre du cancer, relancé en 2011, a permis de dénombrer 2 479 cas en 2013 à Abidjan.

Trois cancérologues pour dix millions d'habitants

Une fois arrivés au CHU de Cotonou, par exemple, les patients, dans un pays de dix millions d'habitants, peuvent compter sur les compétences de " seulement trois médecins formés en cancérologie : un chirurgien, un radiothérapeute et un oncologue médical ", indique le professeur Fabien Houngbe. " L'histoire de la lutte contre le cancer a commencé à s'écrire dans les années 2000 au Bénin, auparavant, rien de significatif ne se faisait ", ajoute le spécialiste.

D'autres pays disposent de davantage de spécialistes - anatomopathologistes, chimiothérapeutes, radiothérapeutes, oncologues chirurgicaux ou pédiatriques... - mais leur nombre dépasse rarement la vingtaine de personnes. Les opérations ne sont pas réalisées uniquement par des chirurgiens oncologues, " des collègues donnent un coup de main, on a des succès, des déchets, mais cela permet de soulager les malades ", précise Jean-Bernard Nkoua Ndom.

Tous les pays réalisent des opérations chirurgicales, mais peu disposent de chimiothérapie, encore moins d'appareils de radiothérapie. Jean-Bernard Nkoua Mbon, chef de service au CHU de Brazzaville, souligne l'exposition aux produits toxiques des infirmières chargées de préparer les chimiothérapies, une situation qui va s'améliorer une fois qu'une aide de la société pétrolière Total aura permis d'acquérir une hotte aspirante.

 

Le Cameroun, le Congo, le Mali, le Sénégal ou le Gabon disposent bien d'un appareil de cobaltothérapie, dont la technique n'est plus utilisée depuis plusieurs décennies dans les pays occidentaux, en raison de sa moins bonne précision que les accélérateurs de particules. Mais ils sont en panne à Libreville et Yaoundé, où le cobalt fait défaut.

Des traitements inabordables

Quand bien même les établissements, publics ou plus rarement privés, disposeraient-ils du mix de soins chirurgie-chimiothérapie-radiothérapie, seule une minorité de patients serait en mesure de se l'offrir, dans des pays où les couvertures maladies se mettent doucement en place. " Avec 98 dollars de revenus en moyenne, les patients parcourent 300 à 400 kilomètres, confirment leur diagnostic, cherchent de l'argent auprès de leurs proches et font des tontines, débutent un traitement puis l'abandonnent, faute de fonds suffisants, résume le professeur Ndom. Pour nous autres thérapeutes, ça fait très mal. Ils viennent s'achever à Douala ou Yaoundé. "

Doudou Diouf, chimiothérapeute à l'hôpital Aristide Le Dantec de Dakar, fait le compte : il en coûte 300 000 francs CFA (457 euros) pour une opération chirurgicale, de 200 000 à 1,5 million de francs CFA pour des séances de chimiothérapie et 150 000 francs CFA par séance de radiothérapie (cobalt). Il évoque l'existence d'une unité d'immunohistochimie à l'Institut Pasteur de Dakar, une méthode utilisée pour diagnostiquer et suivre les cancers en détectant des cellules anormales, mais le coût de son utilisation est élevé. Il ne le propose que lorsqu'il sait que le patient dispose de moyens. Sous d'autres cieux, des personnes sans ressources peuvent rentrer chez elles sans même savoir qu'elles sont atteintes : " Pourquoi ajouter à leurs tourments ? ", interroge ce médecin de Lubumbashi, en RDC, désarmé.

 

Tout comme le constat de diagnostics désespérés, il en est un autre qui fait l'unanimité : l'indigence de la lutte contre le cancer est d'abord due à un manque de volonté politique, pas à un déficit de moyens. Tous les gouvernements déclarent faire de ce mal un enjeu de santé publique, mais peu d'entre eux traduisent leurs discours dans les faits.

Le centre hospitalier régional de Gagnoa, en Côte d'Ivoire, en septembre 2015. Crédits : ISSOUF SANOGO / AFP

" J'envoie des malades se faire traiter au Maroc, au Cameroun, explique le professeur Nkoua Mbon, de Brazzaville. Pourtant, une unité de radiothérapie moderne coûte quatre milliards de francs CFA et je sais qu'à Brazza il y a des gens qui ont quatre milliards de francs CFA. Quand ils sont touchés dans leur chair, les patients qui ont des moyens sont toujours étonnés que nous ne soyons pas équipés alors que les coûts ne sont pas inabordables. "

Moins cher de s'équiper que d'évacuer à l'étranger

" 80 % du budget dédié aux évacuations sanitaires va au cancer, explique Augustin Bambara, oncologue au CHU Yalgado Ouédraogo de Ouagadougou. Nous avons signé une convention avec le Ghana pour y envoyer des patients, mais cette possibilité est réservée aux personnes qui ont des chances de rémission complètes. " Si son pays, ainsi que le Bénin et la Côte d'Ivoire, sont en train de s'équiper d'un accélérateur de particules, comme le Gabon, c'est parce que cela leur revient moins cher que d'envoyer leurs patients, essentiellement des fonctionnaires assurés, à l'étranger.

Le prix d'un appareil de radiothérapie moderne va de 700 000 à trois millions d'euros, indique M. Van Phuc Le, directeur commercial pour l'Afrique subsaharienne du fabricant suédois Elekta, leader du secteur avec l'américain Varian, qui scrutent le marché africain depuis deux ans. Le Bénin " va passer directement à la VMAT (Volumetric Modulated Arc Therapy), une technologie précise qui protège mieux les organes sains des organes à traiter. Le pays dépensait près de cinq millions d'euros par an pour envoyer 600 fonctionnaires se faire soigner à l'étranger, alors qu'avec une machine, vous pouvez traiter jusqu'à 1 500 personnes par an pour un investissement inférieur à trois millions d'euros ", assure-t-il.

Bientôt des centres cancer

Dans le cadre d'un programme national (2013-2017), la première pierre d'un centre anticancéreux de 108 lits, pour lequel trente milliards de francs CFA ont été alloués, a été posée en décembre 2015 à Ouagadougou. Les travaux de deux autres structures ont commencé la même année en Côte d'Ivoire et au Bénin, mais " on ne sait jamais quand la dernière pierre sera posée ", commentent les soignants. Cela est prévu en 2016 au Bénin, en 2018 en Côte d'Ivoire et en 2019 au Burkina Faso.

En attendant, à Cotonou, l'une des priorités a été d'envoyer cinq agents se former auprès de l'ONG Hospice Africa, à Kampala, à la fabrication de sirop de morphine, un produit incontournable dans l'accompagnement des malades en fin de vie. Le professeur Ndom insiste aussi sur la nécessité de former tous les soignants aux soins palliatifs et pas seulement les oncologues. À Libreville, La Maison d'Alice, un projet porté par la fondation de la première dame, Sylvia Bongo, doit bientôt recevoir des personnes atteintes de cancers qui sont dans l'impossibilité de se soigner faute d'hébergement dans la capitale.

Créer un marché de soins

Même si certains pays partent de loin, la plupart commence à créer des unités d'enseignement consacrées au cancer. Des avancées sont également rapportées en termes d'information des populations et même des soignants, qui ne savent pas toujours où envoyer leurs patients. " En cinq ans, nous avons relevé la prise de conscience de 15 % à 30 %, se réjouit le professeur Mbon, mais 70 % des gens ignorent toujours ce qu'est le cancer, quels réflexes adopter en cas de doute... " Plus de 10 000 jeunes filles ont été vaccinées contre le papillomavirus humain en Côte d'Ivoire, pour prévenir les cancers du col de l'utérus, et 10 000 vont l'être au Sénégal, où le vaccin contre l'hépatite B a déjà fait baisser l'incidence du cancer du foie.

Le professeur Redouane Semlali, directeur de la clinique Le Littoral, à Casablanca, rappelle que son pays partait de la même situation que ses voisins il y a vingt ans. C'était l'époque où il s'était entendu dire par un ministre de la santé : " De toute façon, un cancéreux, ça meurt seul. " Aujourd'hui, le royaume est l'un des pays les mieux équipés du continent avec l' Afrique du Sud.

Son compatriote Faouzi Habib relève le rôle des banques, qui lui ont permis d'investir près de soixante millions d'euros en vingt ans dans son établissement sans aide de l'Etat, précise-t-il. Mais M. Semlali rappelle l'apport des autorités dans la création d'un marché de soin. " Grâce à la couverture maladie, quasiment 100 % des soins anticancéreux sont pris en charge. " Ce à quoi il ajoute la suppression des droits de douanes sur l'importation d'appareils médicaux et l'accès facilité au foncier, " qui font baisser la note de 30 % ".



Source : Le Monde.fr


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Lilou
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