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La Tunisie malade du racisme

  Société, #

De nombreux faits et propos, ancrés dans la culture tunisienne, témoignent d'une véritable discrimination à l'encontre des Africains subsahariens. Ces agissements proviennent le plus souvent d'une forte méconnaissance et de préjugés véhiculés par les médias.

" Guira guira ", " Guerd ", " kahlouch "... Autrement dit : " Nègre ", " Singe ", " Noir " (dans un sens péjoratif)... En Tunisie, ces mots, devenus coutumiers à force de pratique, retentissent fréquemment lorsqu'un Tunisien croise un Africain subsaharien. Petits, grands, femmes ou hommes. Cette tentation n'épargne personne. " De nombreux enfants, quand ils me croisent, crient "Abid" (esclave) et leurs parents ne les reprennent absolument pas. ", déplore Raoul Fone, ancien étudiant en économie d'origine camerounaise résidant en Tunisie depuis 2003.

 

Tout y passe. Changements de place de métro lorsqu'un Africain subsaharien s'assoit à côté d'eux, refus de tenir la même barre qu'un noir dans le bus, versement d'un seau d'eau depuis un immeuble lorsque l'un d'eux passe dans la rue, refus de les servir dans les supermarchés, jets de pierres... Tous les noirs-Africains décrivent les mêmes faits, telles des mœurs, apprises par les Tunisiens dès le plus jeune âge et reproduites à l'infini dans le pays.

" Ils se mettent à me caresser dans la rue "

Ce racisme a, selon certains, une explication historique. " Pour eux, le noir reste l'esclave. Certaines traditions sont tenaces ici ", explique Zouhour Harbaoui, journaliste à Tunis Hebdo. Bien qu'étant un des premiers pays à avoir aboli l'esclavage, en 1842, le passé ne passe pas en Tunisie. L'Africain subsaharien reste associé à des tâches subalternes. " Ils leur proposent encore majoritairement des emplois de bonnes ou de plonge au restaurant. Des emplois que les Tunisiens ne veulent pas ", pointe Zouhour Harbaoui. A cet atavisme historique s'ajoute un motif plus actuel. La Tunisie regarde du côté de l'Europe et ne se considère pas comme faisant partie du même ensemble que les pays d'Afrique subsaharienne. " La Tunisie contemple l'Occident et, du coup, tourne le dos à l'Afrique ", constate Raoul Fone.

 

Lorsqu'il touche les femmes subsahariennes, ce racisme peut être extrêmement virulent et empreint d'un fort relent machiste : " Les filles se font agresser au vu et au su de tout le monde, sans que personne n'intervienne. Si elles portent une jupe, cette dernière peut être soulevée... ", raconte Ahmed Mamourou, ancien étudiant en informatique. D'origine ivoirienne, il s'apprête à lancer sa marque de vêtements. Les Tunisiens se permettent un comportement dérangeant avec les Africaines subsahariennes : " Ils se mettent à me caresser dans la rue, ils me proposent souvent d'aller avec eux dans un hôtel de passes... ", affirme Carole Diagana, jeune Guinéenne. Arrivée en 2004 en Tunisie, elle est aujourd'hui consultante dans une société de conseil. Cette situation conduit ces femmes à avoir une opinion déplorable de l'homme tunisien et à généraliser les cas particuliers qu'elles ont rencontrés. " Lorsque je vois une fille subsaharienne parler avec un Tunisien, ça me choque ", lance, avec un léger sourire de gène aux lèvres, Mariétou Zida, étudiante sénégalaise en première année de mode, à Tunis.

Un racisme fortement présent à l'université

Loin d'être le fait de la seule partie la moins éduquée de la population, ces faits de racisme se retrouvent dans les classes sociales censées être les plus éduquées, notamment à l'université. " Les profs n'hésitent pas à parler arabe alors qu'ils savent pertinemment que nous ne comprenons pas, déplore Mariétou Zida. Il a ainsi annoncé en arabe, en début de semaine, qu'il n'y aurait pas cours le lendemain. Et aucune de mes prétendues amies ne me l'a dit. " Dans l'attribution de notes également, une discrimination existe entre Africains subsahariens et Tunisiens. " Un de mes professeurs m'a mis 11 à un exercice que j'avais parfaitement réussi. Même mes camardes reconnaissaient, à voix basse, que j'avais fait la meilleure jupe ", explique l'étudiante en mode. Face à cette attitude, la colère a laissé place à la désolation chez la jeune femme. " La seule chose qui m'intéresse maintenant, c'est d'avoir au moins 10. "

 

La Tunisie, face à tous ces faits, tente de nier l'évidence. Parler de racisme apparaît même incongru à de nombreuses personnes dans le pays. " À Tunis Hebdo, le rédacteur en chef m'a assuré : "Non, nous ne sommes pas racistes en Tunisie." ", annonce Zouhour Harbaoui. La journaliste a donc été contrainte de jouer sur les mots et de nier ce qui est évident pour elle : " J'ai dû remplacer le terme "racisme" par "discrimination raciale". " Son article sur le comportement de certains Tunisiens contre les noirs-Africains serait valable, mais le terme " racisme " ne le serait donc pas.

Des préjugés basés sur la télévision

Quelque soit l'appellation qu'on donne à ces agissements, ces préjugés sont souvent construits par la télévision. " On ne montre jamais des images positives sur ce sujet en Tunisie. On ne voit que la faim, la misère et la maladie dont souffrent les Soudanais ", affirme Raoul Fone. Montrer une autre image de l'Afrique subsaharienne aux Tunisiens, que ce soit à l'école ou dans les médias, permettrait d'ouvrir les esprits sur la situation des noirs-Africains. " Pourquoi est-ce qu'on ne montre jamais l'Afrique qui s'amuse, danse et fait la fête malgré la guerre ", s'interroge Ahmed Mamourou.

 

Les Tunisiens voient donc souvent les noirs-Africains débarqués dans leur pays, comme des personnes cherchant tout ce qu'ils ne peuvent pas avoir dans leur pays. " On m'a demandé, quand je suis arrivé en Tunisie, s'il y avait du goudron, des pommes, des oranges... dans mon pays ", s'amuse Ahmed Mamourou. La méconnaissance de l'autre donne lieu à des situations risibles par l'extrémisme du propos. " Alors que j'allais au Mali avec une amie, elle a été prise d'une crise de panique dans l'avion. Elle m'a alors dit "J'ai peur. Comment ils sont ? Je suis sûr qu'ils vont essayer de me manger !" ", confie Zouhour Harbaoui.

Inquiétudes depuis la chute de Ben Ali

Certains faits peuvent toutefois donner espoir en une possible amélioration de la situation. " Lorsque les Tunisiens partent dans un pays d'Afrique noire, ils découvrent que tous les stéréotypes sont faux ", affirme Ahmed Mamourou. On constate ainsi que dans les universités privées, fréquentées par de nombreux Africains subsahariens et des enfants de riches tunisiens ayant souvent voyagé dans des pays d'Afrique noire, le racisme est moins développé que dans les universités publiques.

 

D'autres sont plus inquiets et voient dans la chute de Ben Ali, une possible dégradation de leur situation, déjà difficile : " Dans tous les systèmes, certaines choses sont bonnes, d'autres mauvaises ", constate le frère de Mariétou, Abdoulaye Zida. Sous le régime de l'ancien Président de la République, les Tunisiens qui frappaient les Africains subsahariens étaient systématiquement arrêtés, voire forcés à effectuer leur service militaire selon leur situation. " Ben Ali savait qu'il n'était pas dans son intérêt qu'un étranger soit agressé en Tunisie. Aujourd'hui, la police regarde les Tunisiens nous agresser, en rigolant ", déplore l'autre frère de Mariétou, Souleiman Zida, évoquant, entre autres, le cas de son ami Jérémie agressé par une dizaine de personnes dans les rues de Tunis. Certains Africains subsahariens en viennent à redouter la nouvelle liberté offerte aux Tunisiens.

Yohan VAMUR



Source : Medinapart


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