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L'amitié brisée de la star Miquel Barcelo avec un artiste malien qui se dit " pillé "

  Culture & Loisirs, #

C'est l'histoire d'une amitié nouée sur les rives du fleuve Niger et rompue à Paris. Celle d'un artiste espagnol en vogue et d'un sculpteur malien qui se sont rencontrés à la fin des années 1980. Le voyageur européen se nomme Miquel Barcelo, peintre, dessinateur et sculpteur, adepte de Joan Miro. Après avoir sillonné le Maroc, il musarde en Algérie, croise le consul du Mali à Tamanrasset. Cheikh Salah Dolo lui assure le gîte et le couvert de l'autre côté de la frontière, à Gao, l'ancienne capitale de l'empire songhaï. Le cousin du consul est prévenu et l'y attend. Il s'appelle Amahiguere Dolo, il a 33 ans et travaille au gouvernement malien, département du patrimoine culturel. Lui aussi est artiste. Autre personnage présent, le marchand d'art suisse Bruno Bischofberger, vendeur exclusif de l'œuvre de Jean-Michel Basquiat, qui se prend de passion pour Miquel Barcelo et le Mali.

Découverte du pays dogon

En ce mois de mai 1988, Alger et Rabat renouent leurs relations diplomatiques, l' Afrique du Sud et l' Angola négocient la paix à Brazzaville alors que la France s'apprête à réélire le président François Mitterrand. A Gao, Barcelo et Dolo apprennent à se connaître. Ils s'apprécient. En France comme en Espagne, le peintre est une figure montante de l'art contemporain courtisée par les musées et les meilleures galeries. L' Afrique fascine et inspire cet admirateur d'Arthur Rimbaud. Il repart puis revient quelques mois plus tard.

 

Cette fois, il s'aventure en pays dogon, la terre d'origine de son nouvel ami. " Amahiguere Dolo a revu [avec moi] sa famille, qu'il n'avait pas vue depuis longtemps ", se souvient l'Espagnol, qui découvre la spiritualité mystique du musulman Tierno Bokar, le " sage de Bandiagara " et la beauté simple des textes de son disciple, Amadou Hampâté Bâ. " Je l'ai accompagné sur la falaise de Bandidagara puis sur les plateaux, se remémore son hôte malien. C'était le sacrifice du Nouvel An dogon. Il a été impressionné par les rituels et le sang des animaux. " Miquel Barcelo se ressource, médite et dessine beaucoup. " J'ai toujours fait beaucoup de dessins, mais c'est en Afrique que j'ai vraiment établi un lien direct avec ce qui m'entoure, un branchement avec la vie (...). L'Afrique a été l'unique endroit où j'ai repris goût à la vie ", confiera-t-il dans un entretien à Libération en mars 1996.

" C'est un artiste de génie qui allait se magnifier avec la poussière du pays dogon, explique l'un de ses anciens collaborateurs, qui préfère garder l'anonymat. L'Afrique a du sens pour lui par ce qu'il peut en saisir comme inspiration. Mais il est un peu détaché de l'humain, il est froid avec les êtres. Finalement, il prend en Afrique, mais ne donne pas. "

Une page issue des centaines de carnets d'artiste de Miquel Barcelo (carnet n° 4, page 4, 1995). Crédits : DR

Miquel Barcelo donne pourtant à Amahiguere Dolo l'opportunité de lui rendre visite en Espagne, à Barcelone puis chez lui à Majorque, l'île de son enfance. Là, durant trois mois, le Malien et l'Espagnol se découvrent un peu plus, goûtent leurs discussions et leurs silences. Amahiguere Dolo restaure quelques murs pulvérulents de sa propriété, pour passer le temps. Tous deux observent la mer en pensant au désert. L'un repart à Gao. L'autre rêve de le suivre. Ils s'envoient des lettres.

Aventurier et esthète africain

Trois années s'écoulent. En ce mois de mars 1991, le Mali est en ébullition. Un coup d'Etat du lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré renverse le président Moussa Traoré. Miquel Barcelo n'en a cure, lui qui vogue sur le fleuve Niger à bord d'une pirogue-atelier qu'il a fait construire. Au gré des étapes, il envoie à Madrid ses carnets de voyage, des textes et des croquis, et nourrit une correspondance passionnante avec son ami Paul Bowles, l'écrivain américain établi à Tanger, qui s'en inspirera pour un roman. L'artiste se fait aventurier, esthète africain. Il se sent bien en pays dogon, se ressource à Sangha Bougouli, le village d'Amahiguere Dolo, qui a d'ailleurs prénommé son dernier-né Miquel. C'est là que l'artiste espagnol veut établir son nouvel atelier. Son ami malien, issu d'une famille de notables, lui dégote un terrain où Miquel Barcelo érige une bâtisse pour vivre et peindre. " Ses plus belles créations ont, je trouve, été réalisées là-bas ", dira un galeriste français proche de lui. Parfois, Miquel Barcelo reçoit des visiteurs, au premier rang desquels Bruno Bischofberger.

Les années passent. L'Espagnol continue d'accoucher d'œuvres qui trouvent preneur. Le Malien, lui, fait " fonction d'assistant ", dit-il, sert de chauffeur, expédie certaines des toiles en Europe, s'occupe des formalités douanières. " Il m'a assisté occasionnellement dans ces diverses activités, comme d'autres personnes d'ailleurs ", précise M. Barcelo. Mais le Malien a aussi sa propre production. Dans le même atelier, il affirme aujourd'hui avoir travaillé la terre, selon une technique qui lui était propre. Faux, dit Miquel Barcelo. " Amahiguere Dolo sculptait le bois de temps en temps (...). Il ne connaissait pas la céramique alors que j'avais commencé à apprendre cette technique avec la potière Yani Anaï Guirou en 1993. "

Trois œuvres " maliennes " de Miquel Barcelo. De gauche à droite " Fala muso 2 " ( 1991, technique mixte sur toile), " Tchii 2 " (1991, technique mixte sur toile), " Tchii 7 " (1991, technique mixte sur toile). Crédits : DR

Miquel Barcelo encourage néanmoins son ami, qui avait déjà quelques expositions de ses œuvres en bois au Musée national du Mali mais aussi dans des lieux mineurs en France et en Espagne. Amahiguere Dolo maintient : " Barcelo me regardait modeler la terre et je lui ai enseigné quelques rudiments. Mais je ne lui parlais pas de la composition de la matière, dit-il. Ma technique, ni les potières ni les artistes ne l'utilisent. Après une préparation de la terre sélectionnée en brousse, il faut prendre l'argile frais, morceau par morceau, pour les joindre sans utiliser aucun outil. Ce qui fait que l'intérieur de mes terres cuites, confectionnées directement avec les doigts, sont creuses. " Puis il ajoute un détail sans doute appelé à jouer un rôle dans le conflit à venir : " On trouve donc mes empreintes digitales à l'intérieur. "

Empreintes digitales

Aujourd'hui, Amahiguere Dolo a 61 ans et vit avec son épouse et ses cinq enfants à Ségou, 200 km de Bamako le long du fleuve Niger, sans le sou. Les terroristes du nord du Mali ont anéanti une fragile économie du tourisme et les acheteurs d'œuvres d'art se font rares. Le musée national du Mali a récemment acquis quelques-unes de ses sculptures. Pas de quoi régler les factures qui s'accumulent dans son atelier. L'Etat vient de lui couper l'eau et l'électricité. " J'attends le ciel ", soupire-t-il.

Le génie espagnol Miquel Barcelo, lui, 59 ans aujourd'hui, a reçu en 2003 le prix Prince des Asturies pour les Arts. Il a installé son atelier dans le quartier du Marais, à Paris. Il est devenu une figure incontournable de la scène contemporaine et certaines de ses œuvres, dont une fresque de 190 m de long, sont actuellement expos ées à la BNF et au musée Picasso. Les deux hommes ne se parlent plus. L'amitié s'est rompue brutalement, il y a seize ans, sur les bords de la Seine.

 

En septembre 2000, l'artiste dogon, invité en France pour une exposition de ses œuvres à Lille, aperçoit dans le métro parisien une affiche annonçant une importante exposition de Miquel Barcelo. Elle a lieu au Musée des arts décoratifs et présente des sculptures en terre cuite de l'artiste. Le Malien se rend au vernissage. Il serre son ami dans ses bras. Une dernière fois. Car juste après, lorsqu'il parcourt l'exposition, il croit reconnaître plusieurs de ses œuvres parmi les 127 exposées. Il scrute d'abord une sculpture intitulée Pinocchio mort. Il tourne autour, la dissèque du regard, puis se dirige vers les créations Two Torsos et Tête d'Amo. Selon l'inventaire de l'exposition, ces trois pièces ont été réalisées en 1995, au Mali. Amahiguere Dolo se remémore la période durant laquelle il est convaincu d'avoir réalisé ces sculptures, croit percevoir les traces de ses doigts sur l'argile et reconnaître les techniques de confection qui lui sont propres. Il croit alors se souvenir de sculptures qu'il aurait confiées à Miquel Barcelo. Ce dernier lui aurait promis de les montrer, de les vendre à bon prix et de lui envoyer l'argent. Il en est désormais convaincu : Amahiguere Dolo est exposé à Paris sous le nom de Miquel Barcelo.

" Tête d'Amoi, sculpture en terre de Miquel Barcelo (1995). Crédits : DR

La soirée se poursuit au restaurant. " J'ai pris place à table. Puis Barcelo est arrivé et m'a demandé de le suivre à l'extérieur. Là, il s'excuse, disant que le dîner est complet et m'indique un restaurant juste à côté, qu'il paiera pour moi, se souvient Amahiguere Dolo. Je lui demande pourquoi d'autres peuvent rester dîner et pas moi, alors que j'ai pourtant des œuvres exposées. Il m'a répondu qu'il n'y avait rien de moi et m'a laissé là. " Choqué, le Malien retrouve sa chambre puis retourne à Lille, pour sa propre exposition.

" C'est le pillage de l'Afrique qui continue "

Quelques mois après l'exposition de septembre 2000 au Musée des arts décoratifs de Paris, Miquel Barcelo retourne au Mali. Amahiguere Dolo le rejoint à Bamako à bord du 4X4 que l'Espagnol avait laissé sur place. Les retrouvailles sont froides. En route vers Sangha Bougouli, le village natal de Dolo où Barcelo a construit son atelier, les deux anciens amis restent silencieux. A l'entrée du village, selon Dolo, Barcelo brise enfin la glace :

" J'ai appris que tu as dit à des gens que les terres cuites exposées à Paris étaient de toi. - Oui, c'est vrai, je le crois et je te l'ai dit. - Certains le pensent, mais je m'en fiche que tu l'aies dit. - Si tu t'en fiches alors... Je m'en remets à Dieu. "

Un vent sec et brûlant souffle sur le pays dogon, qui pulvérise l'amitié entre les deux artistes. Depuis, Miquel Barcelo continue de parcourir le Mali, il y a même tourné un film, mais séjourne désormais à l'hôtel, plus chez son " frère ". " J'avais confiance, dit aujourd'hui Amahiguere Dolo. Ce qui m'intéressait, ce n'était pas l'argent mais la reconnaissance. Les terres cuites qui ont quitté l'Afrique, il les a pillées. Il s'est accaparé mon travail et je demande réparation. "

 

Mais que pèse la voix d'un artiste malien, certes réputé dans son pays, face à celle d'un artiste espagnol de renommée internationale ? Le scénariste suisse Serge Ellenstein l' aide vaille que vaille. L'auteur du film Le Monde selon Stiglitz connaît bien le Mali et il est resté fidèle en amitié. " Dolo raconte cette histoire depuis longtemps, dit-il, un peu comme un conte que j'ai longuement questionné et que j'ai fini par croire. Pour moi, c'est le pillage de l'Afrique qui continue. Jamais Barcelo n'aurait fait cela à un artiste européen. Il a tout de même signé les terres cuites de Dolo ! "

Pour tenter de faire entendre la voix de l'artiste malien, Serge Ellenstein a sollicité l'avocat parisien William Bourdon. " Tout porte à croire que M. Dolo est victime d'un abus de confiance ", explique l'avocat, qui a " l'impression d'un certain mépris à l'égard de M. Dolo ". Reste à expliquer pourquoi le Malien a attendu si longtemps, et surtout démontrer que les œuvres dont Amahiguere Dolo revendique la paternité ne sont pas le fruit d'une collaboration, qu'elles n'ont pas été réalisées sous la direction de Miquel Barcelo, qu'elles sont la concrétisation d'une idée originale de l'artiste malien selon des techniques que lui seul possède et qu'il peut le démontrer. " M. Dolo était assistant, il préparait la terre, donc les empreintes digitales, c'est normal ! ", affirme Hélène Dupin, l'avocate à Paris de Miquel Barcelo. Elle estime que ce sont les " empreintes de la personnalité " qui comptent, pas les empreintes digitales. " Mon client a une créativité débordante, défend-elle, il n'a pas besoin de voler le travail des autres. "

Les deux camps face à face

Désormais, les deux camps se font face. Côté malien, on dénonce en Miquel Barcelo un homme insensible à un ami dans le besoin. " Derrière le brillant artiste, il y a un homme d'affaires, sans égard pour l'Afrique, qui a toujours refusé d'exposer au Mali par exemple ", déplore un ancien collaborateur de M. Barcelo.

Côté espagnol, l'histoire est différente. " Les raisons pour lesquelles Amahiguere Dolo et Miquel Barcelo se sont fâchés n'ont rien à voir avec leurs pratiques artistiques respectives, fait savoir Hélène Dupin. Cette mésentente trouve plus prosaïquement son origine dans une histoire de terrain à Ségou que Miquel Barcelo a voulu acquérir par l'intermédiaire d'Amahiguere Dolo, alors que ce dernier en a profité pour le revendre à un tiers. "

 

Même s'il reconnaît avoir été " un peu maladroit " dans cette affaire, le Malien se défend d'avoir voulu tromper Miquel Barcelo. " Il m'a dit en 1999 que finalement, le terrain ne lui plaisait pas, qu'il y avait trop de trous, trop boulot pour l'aménager ! ", explique Amahiguere Dolo. Le terrain, au bord du fleuve, serait ainsi resté en friche pendant près de dix ans. La situation se compliquait en l'absence de l'artiste espagnol, ajoute le Malien, parce que les villageois demandaient à le récupérer pour le cultiver. " J'ai fini par le vendre en 2002 à un Blanc qui voulait y construire un hôtel et qui a disparu depuis. "

A la même période, le 26 juin 2002, une petite toile de Miquel Barcelo, Autour du Lac noir, a été adjugée 850 000 livres sterling (1,3 million d'euros) chez Sotheby's à Londres. Le terrain de Ségou, lui, ne valait que 1 500 euros. Une broutille, rapportée aux honoraires des avocats qui vont désormais s'affronter à Paris pour départager les deux anciens amis.



Source : Le Monde.fr


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