Malcolm X, le leader musulman noir américain, est abattu par plusieurs tireurs lors d'un meeting à New-York en février 1965.

"Malcolm X, le leader nationaliste noir américain, a été l'objet, aujourd'hui, d'un attentat pendant qu'il parlait devant un groupe d'environ 500 personnes. Il a été touché de quatre balles. Malcolm X devait décéder peu après l'attentat." C'est en ces termes que la dépêche de l'agence de presse américaine U.P.I, datée du 21 février 1965, annonce la mort de Malcolm X.

Le drame s'est déroulé dans une salle de bal de Harlem (New York), l'Audubon, vers 15 heures (locales), lors d'un meeting de l'organisation nationaliste qu'il a fondée en 1964, après avoir quitté les "Black Muslims" (musulmans noirs).

Trois hommes sont jugés et condamnés en 1966 pour ce meurtre. Mais des zones d'ombres et des doutes subsistent concernant les faits, les coupables -jugés et non jugés-, l'enquête policière et ses conclusions et une probable trahison dans l'entourage de la victime. Règlement de compte entre factions rivales pour la police, assassinat politique pour certains militants, haine de ses anciens compagnons musulmans pour d'autres.

Toujours est-il qu'au moment de son assassinat, le dirigeant religieux et politique est considéré comme un démagogue raciste, qui est mort de la violence qu'il a lui-même prônée. C'est après sa mort et la parution de son autobiographie qu'il est "réhabilité". Il est devenu et reste une icône de la culture populaire afro-américaine et de la culture révolutionnaire.

Extrait paru dans Le Figaro du 23 février 1965.

Un assassinat violent mais prévisible

Malcolm X, qui vivait de violence et de haine, a succombé d'un acte de violence et de haine. Il faisait profession de haïr les Blancs. C'est un de ses frères de race qui l'a assassiné.

La police new-yorkaise à inculpé le 21 février 1965 un jeune Noir de 23 ans, Talmadge Hayer, accusé d'avoir tué le leader extrémiste avec un fusil à canon tronqué-la Lupana, répandue dans la mafia sicilienne. Hayer, lui-même blessé à la cuisse par un adepte de Malcolm X, avait été admis dans l'après-midi à l'hôpital; son agresseur, Reuben Francis, a été inculpé pour port illégal d'un revolver. Cinq suspects, peut-être davantage, seraient impliqués dans ce tragique règlement de comptes.

"Je vis comme un homme qui est déjà mort", déclarait Malcolm X jeudi 18 février 1965 au cours d'une interview au quartier général de son "Organisation pour l'unité afro-américaine", installé au cœur de Harlem, à l'hôtel Teresa (celui-là même où, en 1960, Nikita Khrouchtchev avait rendu visite à Fidel Castro).

Malcolm X se sentait menacé par les "Blacks Muslims"* (mahométans noirs) dont il était, jusqu'à l'année dernière, le dirigeant le plus en vue à côté d'Elijah Mohamed. Dimanche 14 février 1965, trois bombes incendiaires avaient été lancées sur sa maison: il en était sorti indemne, ainsi que sa femme et ses fillettes. Le 30 janvier 1965, il avait déclaré à un journaliste de Chicago -qu'il avait fait une liste des individus qu'il soupçonnait de vouloir le "supprimer".[...]

En apprenant la fin brutale de Malcolm X -brebis galeuse de leur cause-, les dirigeants d'organisations noires ont réagi avec dignité: "Cet assassinat devrait faire comprendre à notre société tout entière que la violence et la haine sont des forces mauvaises qui doivent être précipitées dans l'oubli... Je suis profondément attristé", a déclaré le pasteur Luther King, Prix Nobel de la paix et apôtre de l'intégration raciale par la non-violence. M. Roy Kenkins secrétaire général de la N.A.A.C.P. (Association nationale pour l'avènement des gens de couleur), a qualifié cet assassinat de "démonstration horrible et choquante de la futilité du recours à la violence pour régler les différends". Quant à M. James Lawson, président du Mouvement nationaliste de l'unité africaine (extrémiste), il a affirmé: "Le nationalisme est plus que du bavardage."[...]

Adversaire le plus farouche de l'égalité raciale, le Ku Klux Klan s'est manifesté, lui aussi, pour demander l'ouverture d'une enquête fédérale confiée à des professeurs et des avocats du Sud. M.E.L. Daniel, grand dragon du Klan dans le Mississippi, considère en effet que, quoique les chevaliers du K.K.K. n'y soient pour rien, "le Mississippi sera certainement blâmé pour ce terrible acte de violence".

Meurtre d'un fanatique par un fanatique. Fait divers à sensation que la presse new-yorkaise expose sur des pages entières. Mais il est à craindre que cette exécution dramatique déclenche une campagne de vengeance, et la police devra se tenir en alerte, exercer une particulière vigilance pour parer à toute éventualité, compte tenu de la facilité avec laquelle n'importe qui se procure ici des armes meurtrières.

Par Anne Thinesse.

Des coupables tout désigné et des hypothèses farfelues

Extrait paru dans Le Figaro du 25 février 1965.

[...] Quant aux hypothèses qui cherchent les assassins de Malcolm X ailleurs que chez les "musulmans noirs", elles demeurent fort incertaines. Si M. James Farmer, animateur du très important "Congrès pour l'égalité raciale", a parlé hier d' "implications internationales" en réclamant une enquête fédérale, il n'a pas dit ce qu'il entendait par là ni s'il visait quelque organisation -ou quelque pays- en particulier.

Des rumeurs officiellement reprises ce matin par le journal à grand tirage Daily News citent, d'autre part, une organisation secrète sino-castriste appelée "Ram", mot composé des initiales anglaises de "Mouvement d'action révolutionnaire", et qui signifie "Bélier." Mais comme ce même mouvement -qui serait dirigé de La Havane par un Noir américain nommé Robert Williams-se voit aussi attribuer la responsabilité du complot rocambolesque -et un peu oublié déjà- des "monuments nationaux", nous sommes évidemment, ici dans le domaine du roman-feuilleton.[...]

Par Léo Sauvage.

Et une part de mystère

Extrait paru dans Le Figaro du 24 février 1965.

Six vengeurs sont déjà en route pour Chicago, chacun utilisant un moyen de transport et un itinéraire différents. Ils auront tôt fait de dépister et d'abattre ceux qui ont exécuté le 21 février 1965 Malcolm X. Voilà du moins ce que chuchotent à Harlem "les gens qui savent", et ils paraissent en savoir plus que la police new-yorkaise dont les agents en civil n'ont pas réussi à empêcher l'assassinat ni à retrouver jusqu'ici les tueurs. Ils cherchent. La veuve leur reproche leur carence.

[...] Malcolm X était ainsi en conflit ouvert avec les héritiers présomptifs du prophète, et notamment avec un des gendres de celui-ci, Raymond Sharif, qui a formé à Chicago des équipes de tueurs de choc qui font penser aux commandos de Roehm et de Hitler.

La haine que ces gens avaient vouée à Malcolm était féroce, d'autant plus impitoyable que l'empire du prophète Elijah n'est pas uniquement du domaine de l'esprit. Le mouvement des "Black Muslims" est riche, il possède des entreprises commerciales, des banques, beaucoup d'argent.

VIDÉO INA: Retrouvez un reportage de Léon Zitrone sur les Black Muslims.

"Ils vont tenter de me tuer, ne cessait de répéter Malcolm X, ils sont obligés de le faire et ils essaieront de le faire en public". On affirme qu'à la réunion du dimanche 21 février 1965 il s'apprêtait à révéler les noms de ceux qui avaient, huit jours auparavant, placé une bombe dans sa maison. Il aurait écrit ces noms sur une feuille de papier que sa veuve aurait subtilisé de sa poche immédiatement après l'assassinat.

Mais saura-t-on jamais ce qui s'est passé ce soir-là à Harlem? Malcolm X est la victime mystérieuse d'un règlement de comptes entre possédés. Mais les blancs ignorent ce qui se passe chez les démons du super-racisme noir. C'est un domaine réservé, secret, auquel nous n'avons pas accès.

Par Nicolas Chatelain.

* Groupe sectaire musulman appelé la Nation de l'Islam.