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Le mystérieux réseau de l'élite de demain

  Politique, #

Dites " 21 " au secrétariat de Fleur Pellerin et il y a de bonnes chances pour que la jeune, prometteuse et très affairée ministre déléguée à l'économie numérique libère quelques instants pour vous dans un emploi du temps pourtant saturé d'obligations. Le même nombre peut servir de sésame pour approcher quelques avocats inabordables, décrocher un rendez-vous avec certains pontes de la médecine, ouvrir des portes dans le gotha de la politique, de l'administration ou de la finance. Non qu'il s'agisse d'un code secret ou d'un signe cabalistique?; pas même d'un numéro d'urgence. Juste le signe de ralliement à une cause qui n'a rien d'occulte. On dit 21 pour XXIe siècle?: le nom d'un club déjà influent, bien qu'encore méconnu. Créé en 2003, il réunit des représentants des minorités devenues visibles au sein des élites françaises et milite pour l'égalité des chances.

Fleur Pellerin en était la présidente jusqu'à son entrée au gouvernement. Avant elle, Rachida Dati, Rama Yade et Jeannette Bougrab, toutes ministres sous l'ère Sarkozy, y ont aussi appartenu - ainsi que nombre de chefs d'entreprise, de juristes, de banquiers et de hauts fonctionnaires, la plupart d'origine immigrée. Le pouvoir version Benetton. Tous incarnent, dans leur carrière respective, l'ambition et le succès de ce que les commissaires du politiquement correct ont baptisé " diversité ". Pour le dire sans fioriture?: ce sont des hommes et des femmes que leur couleur de peau n'a pas empêché d'atteindre les sommets mais qui ne se contentent pas d'être des exceptions?; ils veulent aussi servir d'exemples. Compter.

De son vaste bureau de Bercy, d'où l'on descend la Seine d'un regard jusqu'à Notre-Dame, Fleur Pellerin admet sans peine avoir longtemps " ignoré " que l'origine ethnique pouvait être un facteur de discrimination. Son parcours personnel n'en est-il pas un démenti éclatant?? Née en Corée du Sud, adoptée à l'âge de 6 mois, elle dit avoir mené ses études sans se poser la question?: " L'éducation de mes parents était monoculturelle. Je me suis toujours sentie française et rien d'autre. J'ai passé beaucoup de concours. Présenter des concours, c'est le meilleur moyen d'échapper à la discrimination. "

" Moyenne-bonne " jusqu'au bac, elle n'a rien raté depuis (sauf le permis de conduire, deux fois). Diplômée de l'Essec, de Sciences Po et de l'ENA, c'est à la Cour des comptes, où elle entre à 26 ans, qu'elle mesure pour la première fois les ratés de l'intégration, lorsqu'elle est chargée d'une évaluation des zones d'éducation prioritaires. " J'ai entendu parler du club par des amis, raconte-t-elle. J'avais participé à la campagne de Ségolène Royal et j'en avais la vision d'un groupe plutôt marqué à droite. Mais j'ai été attirée par leurs actions concrètes auprès des jeunes. C'est ce qui m'a convaincue de les rejoindre. "

" On n'était là ni pour pleunicher sur les ratés de l'intégration ni pour faire des affaires. On voulait prendre le pouvoir. " Chenva Tieu.

L'enthousiasme de ses fondateurs est la meilleure arme du club 21. Sa capacité à attirer les figures les plus talentueuses en découle. " Nos parcours démontrent mieux que tous les discours que l'intégration ne marche pas si mal. Nous utilisons nos positions pour en convaincre la France d'en haut mais aussi la France d'en bas ", résume le créateur du club, Hakim El Karoui, normalien d'origine tunisienne qui fut conseiller de Jean-Pierre Raffarin à Matignon (2002-2005), aujourd'hui associé dans un cabinet international de conseil en stratégie. Les statuts disposent que chaque nouvel adhérent doit être parrainé par un membre et adoubé par deux autres. Dans la pratique, la cooptation s'impose. Ne s'inscrit pas qui veut. Une " cellule de sélection " trie les demandes spontanées et " on refuse des candidatures ", assure Pap'Amadou Ngom, PDG d'une florissante société de conseil en informatique, S & H, et successeur de Fleur Pellerin à la présidence. Dix ans après sa création, le XXIe siècle revendique 280 membres à jour de leur cotisation (150 euros par an) et une batterie de programmes d'aides à l'orientation des lycéens, la formation des jeunes gestionnaires et la création d'entreprises dans les quartiers difficiles.

Il peut aussi se flatter d'une notoriété grandissante dans les allées du pouvoir. Ses dîners-débats comptent parmi les rendez-vous les plus prisés de la capitale. La liste de leurs invités mentionne de très grands patrons?: Louis Schweitzer (ex-Renault), Jean-Martin Folz (ex-Peugeot-Citroën), Serge Weinberg (Sanofi Aventis), Louis Gallois (ex-EADS), Gérard Mestrallet (GDF-Suez)... Des politiques de premier plan?: François Hollande et Nicolas Sarkozy (avant leur entrée à l'Élysée), Laurent Fabius, Jean-Marc Ayrault, Alain Juppé, Ségolène Royal... Et des figures de la presse?: Patrick Poivre d'Arvor, Jean-Pierre Elkabbach, Franz-Olivier Giesbert, Edwy Plenel... Face à eux, les membres du club ne manient pas la périphrase. Les anciens se souviennent d'un échange vigoureux avec Henri Proglio, dont le ton condescendant avait fait réagir l'un d'eux?: " Monsieur, dans cette salle, vous êtes sans doute l'un des moins diplômés. L'intégration n'est pas un problème pour nous. Pour vous, peut-être... " Le PDG d'EDF, beau joueur, avait promis des avancées concrètes. Il s'y est attelé. Moins compréhensif, Ernest-Antoine Seillière, ancien leader du Medef et alors président de Wendel, avait défendu bec et ongles la composition monochrome de son conseil d'administration?: " Que voulez-vous que j'y fasse?? Je ne peux pas faire en sorte que mes neveux ou ma cousine soient noirs?! "

Les hommes et les femmes du 21 ont des parcours dissemblables. Tous ne sortent pas d'un roman de Zola. Le père de Rama Yade - comme celui de Pap'Amadou Ngom - est un diplomate sénégalais et Hakim El Karoui, né dans une tour du XIIIe arrondissement, est issu d'une grande famille tunisienne. Jeannette Bougrab, docteur en droit et membre du Conseil d'État, est la fille d'un métallo harki et d'une femme de ménage. Fils d'un armateur chinois établi au Cambodge, Chenva Tieu a émigré en France à l'âge de 12 ans avec ses parents pour échapper à la répression des Khmers rouges. Il dirige aujourd'hui plusieurs sociétés financières. Mehdi Houas, ingénieur et fondateur d'une entreprise de services spécialisée dans les nouvelles technologies, dont le siège est un immeuble cossu proche des Champs-Élysées, raconte avec fierté son enfance d'" étranger en France ", entre un père marin et ancien activiste pour l'indépendance tunisienne et une mère illettrée - " Ils ont eu six enfants, tous bac +5?! " Après la révolution de Jasmin en Tunisie, il a siégé comme ministre du tourisme dans le gouvernement de transition.

La France des Castes

Sans le savoir, certains guettaient une cause à soutenir. Bariza Khiari, sénatrice (PS) de Paris?: " Mon père et ma mère militaient pour l'indépendance algérienne, ils ont fait de la prison tous les deux. Moi, j'ai cherché les combats de mon époque. L'antiracisme était le plus évident. " Rama Yade?: " J'étais administratrice au Sénat. Je m'ennuyais. Je n'avais pas vraiment de convictions politiques mais j'avais envie de m'engager. J'ai contacté l'association Droit au logement. Ils n'ont jamais répondu. Un ami m'a invitée à un dîner du club 21. Au début, j'ai trouvé bizarre que tous ces gens qui avaient si bien réussi militent pour la diversité. Je me demandais?: "De quoi souffrent-ils??" Mais il n'a pas fallu longtemps pour éveiller en moi le goût de l'action - d'abord associative, puis politique. "

Dès l'origine, le club a été conçu comme un instrument de pouvoir. C'est à Matignon, où il écrit les discours de Jean-Pierre Raffarin, qu'Hakim El Karoui en fait germer l'idée. " On était encore sous le choc?: il y avait eu le 21 avril (2002), puis l'affaire du voile islamique (2003), sur fond de crise des banlieues. On ne voulait pas laisser le Front national gagner du terrain. Il fallait montrer que la diversité était une force. Pas seulement des gamins au chômage et des voitures qui brûlent. " Il en parle à Arnaud Dupui-Casterès, patron de Vae Solis, une agence de communication qui conseille à ses heures le premier ministre. Puis à Béchir Mana, collaborateur de Jacques Chirac à l'Élysée, et à une magistrate remarquée auprès de Nicolas Sarkozy au ministère de l'intérieur, Rachida Dati, qui peste volontiers contre " la France des castes, qui rejettera toujours la différence, même si vous êtes bac +25 ".

À leurs yeux, le symbole de l'oligarchie nationale et de ses pesanteurs est Le Siècle, vénérable club fondé à la Libération et où voisinent aimablement politiques, intellectuels et chefs d'entreprise, lors de très chics dîners mensuels. C'est en référence ironique à ce cénacle très parisien qu'ils baptisent leur association XXIe siècle. Un premier dîner est organisé le 10 février 2004, au sous-sol d'un restaurant libanais du quartier latin. Ils sont une quinzaine. Puis, en juillet, un dîner-débat avec Claude Bébéar, le président d'Axa.

Les premiers documents internes définissent le club comme un " réseau ". Chenva Tieu se souvient de débuts exaltants?: " Plusieurs d'entre nous étaient dans les cabinets, l'info nous remontait, on avait l'impression d'être au cœur du système. On était des apprentis manipulateurs et en même temps des idéalistes?: on n'était là ni pour pleurnicher sur les ratés de l'intégration ni pour faire des affaires. On voulait prendre le pouvoir. " Ils s'y essayent. À les en croire, c'est la bande du 21 qui monte, entre Matignon et l'Élysée, l'opération qui conduit à la nomination du premier préfet d'origine immigrée, Aïssa Dermouche. Ils rédigent aussi une " charte de la diversité " destinée aux partis politiques. Mehdi Houas se souvient?: " Les dirigeants de l'UMP s'étaient engagés à la signer si ceux du PS en faisaient autant - et réciproquement. À l'arrivée, ils ne l'ont signée ni les uns ni les autres. " La sénatrice socialiste Bariza Khiari renchérit?: " De tout mon parcours, le combat à l'intérieur du PS a été le plus difficile. Les partis sont les institutions les plus conservatrices. Bien plus que la société. Mais j'ai dû, moi aussi, apprendre les codes. Et passer par l'élection. " Elle n'a pas oublié, pourtant, les remarques qui accueillirent ses premières velléités?: " Avec ton nom, tu vas nous plomber la liste?! " Plus chic encore?: " Bariza, c'est la gauche tajine. " En 2011, un raz-de-marée l'a portée à la vice-présidence du Sénat.

Au printemps 2005, victime de son succès, le club traverse une crise existentielle qui se traduit par une lutte de pouvoir. Raffarin quitte Matignon, Sarkozy est en marche vers la présidentielle?: Rachida Dati veut en profiter pour prendre les commandes du XXIe siècle. " Elle voulait montrer à Sarko qu'elle disposait de ses propres réseaux et les mettre à son service ", assure Hakim El Karoui. " Je voulais réorienter le club vers la lutte contre toutes les discriminations?: pas seulement ethniques mais aussi sociales ", objecte l'intéressée. Elle ne nie pas la tentative mais plaide le malentendu. La bande du 21, en tout cas, lui tourne le dos. Et en tire une leçon?: jamais le club ne sera une officine politique. Pas même le satellite d'un parti.

Depuis lors, les fondateurs pratiquent l'œcuménisme des idées et la variété des couleurs. Ils ont invité des proches de la gauche à les rallier. Ulcérés par un article du Monde qui les assimilait, en 2005, à l'élite de la " beurgeoisie ", ils ont aussi cherché à renforcer la diversité dans la diversité. " Il nous fallait plus de Noirs et de Jaunes?! ", résume, hilare, Chenva Tieu. Rama Yade et Fleur Pellerin sont arrivées au 21 portées par ce courant. Le club leur a donné une visibilité. Leur tempérament a fait le reste. La première a été repérée par Emmanuelle Mignon, tête chercheuse des équipes Sarkozy pour la campagne présidentielle de 2007. La seconde, déjà membre des cercles d'experts du PS, a invité François Hollande au club avant la dernière présidentielle. " Je pense que cet engagement lui a plu ", dit-elle.

Après l'élection, elle est devenue la sixième personnalité du club à siéger dans un gouvernement - quatre en France, deux en Tunisie. Si Sarkozy avait été réélu, Chenva Tieu, membre du bureau politique de l'UMP et candidat aux législatives dans le XVIIIe arrondissement, pouvait nourrir une ambition similaire. Au printemps, il a tenté d'entrer en lice à la primaire de son parti pour les municipales à Paris. Déclaré inéligible par le Conseil constitutionnel, il a dû renoncer à la bataille - mais non à l'ambition. " C'est la différence entre le 21 et Le Siècle, s'amuse Arnaud Dupui-Casterès. Chez eux, les ministres veulent devenir membres?; chez nous, ce sont les membres qui deviennent ministres. "

Opérations de sensibilisation

Fondateurs et dirigeants assument sans hypocrisie que le club soit resté un réseau et tout à la fois un think-tank et un tremplin, un lobby et - par-dessus tout, jurent-ils - un groupe d'amis. " On nous demande souvent si notre idée de départ était de pousser des individus ou de faire avancer une cause, confie Hakim El Karoui. Je réponds que nous avons toujours fait les deux?: pousser des gens qui ont des qualités, ce n'est pas la moins bonne façon de servir notre cause... "

Loin des ors du pouvoir et des méandres de l'influence, les hommes et les femmes du 21 ont lancé des opérations de sensibilisation et de formation auprès des lycéens, des grandes écoles et des entreprises. Ils parrainent à l'université Paris IX-Dauphine une chaire intitulée " management et diversité ". Tiennent un séminaire annuel à Bordeaux pour réunir des patrons français et chinois. Ont ouvert une succursale du club à Berlin. Et pour " changer d'échelle ", réfléchissent aux développements possibles sur les réseaux sociaux. " La France est le pays le plus ouvert du monde, assure Hakim El Karoui. Tout le monde peut y avoir sa chance. Il faut juste le faire savoir. " S'il dit vrai, personne n'aura jamais besoin d'un club XXIIe siècle.

Cet article est paru dans le numéro 2 (août 2013) de Vanity Fair.



Source : m.vanityfair.fr


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