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Les amazones du Dahomey : elles ont dit non à la colonisation française

  Culture & Loisirs, #

L'image est restée à jamais gravée dans la mémoire des 3 000 soldats français qui, basés à Cotonou sur la côte de l'actuel Bénin, s'étaient engagés dans une mission à l'intérieur du territoire en 1892. L'objectif de cette opération militaire était de déloger le roi Béhanzin qui s'accrochait à l'indépendance de son fief, le Dahomey, et contrariait les ambitions des autorités coloniales depuis deux ans. Au mois de mai de cette année-là, le colonel Alfred Dodds, chef de l'expédition, et ses troupes se mettent en marche en direction d'Abomey, capitale du royaume. Ce qui devait être une campagne facile se transforme très vite en calvaire. La progression est lente. Les troupes sont quotidiennement harcelées par des attaques de guérilla. Mais ce 26 octobre 1892 - "la journée la plus meurtrière de cette guerre", selon les mots de Dodds lui- même - alors que les soldats sont à une cinquantaine de kilomètres d'Abomey, leur route est soudain bloquée par une immense armée équipée de carabines Winchester et d'armes blanches, et au grand effarement des Français, elle est composée de femmes.

Ces stupéfiantes guerrières sont les "minos" ("nos mères" en langue fon, parlée alors au Dahomey et toujours en usage au Bénin, au Togo et dans une partie du Nigeria), l'avant-garde et l'élite de l'armée de Béhanzin. Frappés par leur allure et leur combativité, les militaires les nommeront "amazones", en référence aux guerrières antiques. Si le fait est étonnant pour les Français, la tradition des femmes combattantes est ancienne au Dahomey. L'origine de ces bataillons pourrait remonter au tout début du XVIII e siècle. La tradition orale raconte que le roi Agadja (1673-1740), qui menait des guerres de conquête sur plusieurs fronts, avait recruté des femmes dans son armée pour pallier le manque d'effectifs masculins. Mais c'est surtout à partir de 1818 que le corps des amazones du Dahomey fut développé et structuré. A cette époque, le roi Ghézo, qui venait de monter sur le trône, constitua en effet une troupe d'élite entièrement dévouée à sa sécurité. Il recruta les membres de ces futurs bataillons parmi les esclaves. Les femmes valant moins cher sur le marché de la traite, il choisit les plus vigoureuses d'entre elles pour les transformer en guerrières aguerries. Dans les années suivantes, les femmes du royaume vinrent elles-mêmes s'engager, et la légende prétend que certains maris malmenés par leurs "mégères" les obligeaient à s'enrôler afin de s'en débarrasser.

Elles sont entraînées pour résister à la douleur et ignorer la pitié

Dès leur plus jeune âge, les amazones suivaient un entraînement intense au combat et au maniement des armes. Elles étaient conditionnées psychologiquement pour résister à la douleur et ignorer la pitié. Craintes et respectées par la population, elles avaient un statut presque sacré. Chaque fois qu'elles sortaient du palais, des groupes de fillettes agitant clochettes les précédaient afin que la foule s'écartât respectueusement de leur chemin. Ces femmes, propriété du roi, devaient rester vierges et quiconque devenait leur amant était aussitôt exécuté. L'historienne Sylvia Serbin rapporte à ce propos (dans Reines d'Afrique, éd. Sepia) une plaisanterie qui circulait parmi les anciens et selon laquelle "moins d'hommes seraient morts au combat qu'en essayant de franchir le mur du camp des amazones".

A la fin du XIXe siècle, au moment où elles rencontrent les Français, les bataillons de minos, exclusivement commandés par des femmes, sont constitués de 4 000 à 5 000 recrues, soit le tiers de l'armée du Dahomey. Le bataillon des "Aligossi" est chargé de la défense du palais, et celui des "Djadokpo" constitue l'avant-garde de l'armée régulière. Elles sont vêtues de longues tuniques bleues ceinturées à la taille, sur un pantalon bouffant. Leur crâne est rasé et surmonté d'un petit bonnet blanc brodé d'un caïman. Leur équipement varie selon leur spécialité. Les guerrières maniant le fusil forment le gros des troupes : avec cet arme, elles portent une cartouchière, mais aussi un sabre court et un poignard. Viennent ensuite les archères, redoutées pour leur habileté et leur précision, puis les terribles faucheuses. Celles-ci sont équipées de longues machettes tranchantes formées d'une lame de 45 centimètres montée sur un manche de 60 centimètres qu'elles manient à deux mains, les ouvrant et les refermant comme des gigantesques canifs. "Un seul coup de ce rasoir peut trancher un homme par le milieu !", s'exclame dans ses souvenirs de missions le père François Xavier Borghéro venu évangéliser le pays dans les années 1860. Généralement, au cours de la bataille, elles décapitent leurs ennemis et s'empressent de brandir les têtes tranchées afin de semer la panique dans les rangs ennemis.

Mais le groupe le plus redouté, véritable commando d'élite, est celui des chasseresses, une centaine de tueuses sélectionnées parmi les plus fortes et les plus corpulentes. Ce sont ces milliers de guerrières conditionnées à "vaincre ou mourir" et, selon les dires des légionnaires, enivrées au gin, que les hommes de Dodds voient surgir face à eux ce jour-là. Au mépris de la supériorité du feu français, elles se ruent à l'assaut. Certaines passent les lignes en rampant par terre sous les tirs pour chercher le corps-à-corps dans lequel elles excellent. "Ces amazones sont des prodiges de valeur, elles viennent se faire tuer à 30 mètres de nos carrés", écrira le capitaine Jouvelet dans ses mémoires. Avec lui, tous les hommes qui les ont combattues, impressionnés, saluent "l'extrême vaillance", "l'indomptable audace" de ces guerrières.

Le courage ne peut pourtant suffire à lutter contre les fusils Lebel et les pièces de canon de l'armée coloniale. L'arrivée des Français sonne le glas de ces combattantes de légende. Après les derniers combats menés par les hommes de Dodds dans Abomey en novembre 1892, il ne reste plus des minos que le souvenir de leurs exploits que l'on se transmettra de génération en génération sur les ruines de l'ancien royaume.

Témoignage peu flatteur de l'explorateur anglais Sir Richard Burton en 1877 :

"Les Amazones sont non seulement l'élite de l'armée à laquelle elles donnent l'exemplarité de l'intrépidité, mais composent à elles seules toute l'armée permanente : car les soldats mâles ne sont appelés qu'en cas de guerre. (...) Il y avait dans la garde du roi du Dahomey des femmes qui n'auraient point déparé nos plus belles compagnies de grenadiers. Quelques-unes avaient près de six pieds de haut et étaient larges en proportion. Tant était le développement musculaire de ces viragos qu'on ne reconnaissait leur sexe qu'à leur poitrine, laquelle était d'une ampleur monstrueuse."

>>> Cet article est paru dans le magazine GEO Histoire "L'Afrique au temps des colonies" (n°24).

 

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Source : GEO.fr


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