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Les artistes africains face aux défis du marché

  Société, #

 

Compte rendu

Exposition à la fondation Zinsou, à Ouidah (Bénin), en 2014. Crédits : Charles Placide Tossou / AFP

Nul besoin de forer bien profond pour faire jaillir l'une des principales richesses de l'Afrique : l'art. De Dakar à Kinshasa, de Cotonou au Cap, les artistes s'activent malgré l'absence de plateformes de production et le manque de moyens, de visibilité et de considération.

" Dans les temps modernes, la créativité a été marginalisée au profit d'une fade bureaucratie, alors que, traditionnellement, l'art était au centre de l'administration dans chaque village ", regrette l'artiste Samson Kambalu, originaire du Malawi. Un désengagement culturel que les autorités locales justifient par d'autres priorités, plus rémunératrices.

Alors que les États africains font mine d'ignorer ce trésor à portée de main, l'Occident le porte au pinacle. L'heure est venue pour l'Afrique de se saisir de cette opportunité pour sortir " du discours établi par ceux qui lui ont appris à se penser comme pauvre ", comme l'écrit Aminata Traoré, ancienne ministre de la culture du Mali, dans Le Viol de l'imaginaire.

Lire aussi : Seize artistes africains à la Biennale de Venise

Les créateurs le répètent en chœur : l'art est un liant social autant qu'un facteur de développement économique. " Bilbao, en Espagne, et Berlin, en Allemagne, offrent deux exemples de villes ressuscitées par l'art ", martèle Barthélémy Toguo. L'artiste camerounais sait de quoi il parle. Il a fondé dans son pays le centre d'art Bandjoun Station, un projet à la fois artistique, écologique et économique, qui emploie une dizaine de personnes et produit chaque année près de trente tonnes de maïs, dix tonnes de haricots, autant de café, tout en organisant des expositions.

D'autres initiatives privées vertueuses ont enrichi le paysage africain, du centre d'art pionnier Doual'art, lancé en 1991 par Didier Schaub et Marilyn Douala Manga Bell à Douala ( Cameroun), au ArtBakery de feu l'artiste Goddy Leye qui a vu le jour dans la même ville en 2003, en passant par la Fondation Zinsou à Cotonou ( Bénin) ou l'Appartement 22 à Rabat ( Maroc).

Mais ces initiatives de terrain ne suffisent pas à combler le vide. " Il faut que les Africains comprennent que la création, c'est aussi une économie de marché ", insiste l'artiste ivoirien Paul Sika, qui exhorte à s'inspirer de Nollywood, la florissante industrie cinématographique du Nigeria. Selon les chiffres publiés au moment du recalcul du PIB nigérian en 2014, cette industrie pèse 1,4 % du PIB du pays (contre 0,8 % pour le cinéma dans le PIB français) et génère plus de 300 000 emplois directs.

Pourquoi l'art ne jouirait-il pas du même élan en Afrique, alors qu'il est partout générateur de revenus ? D'après le rapport publié en mars 2015 par l'universitaire britannique Clare McAndrew, le marché de l'art global se chiffrait à 51 milliards d'euros en 2014 et employait 2,8 millions de personnes. Il aurait même permis de créer 438 000 emplois dans des champs d'activité connexes.

Pour transformer le potentiel artistique en valeur économique, l'Afrique a du pain sur la planche. Tout un écosystème est à mettre en place : écoles et centres d'art, musées, résidences, bourses, galeries, foires, revues, encadreurs, assureurs... " Il ne faut pas juste produire de l'art, mais savoir l'offrir aux autres, le distribuer, savoir l'envelopper. On doit être entrepreneurs ", estime Paul Sika. Certains pays l'ont bien compris.

En Afrique du Sud, galeries et foires ont déjà prospéré. Un grand musée initié par le collectionneur Jochen Zeitz complétera bientôt le tableau. Au Nigeria, l'art s'est mû en lifestyle. Selon le quotidien britannique The Telegraph, le marché de l'art nigérian aurait progressé de 21,3 % en 2013. " Nos parents auraient voulu qu'on soit médecins ou avocats. Mais de plus en plus de jeunes défient leurs familles pour être artistes, rapporte le photographe nigérian Emeka Orekeke. L'artiste d'aujourd'hui, c'est le griot de demain. "

Certains ont déjà conquis le monde. Sans quitter sa résidence de Nsukka, au Nigeria, le Ghanéen El Anatsui est aujourd'hui l'artiste africain le plus cher - ses œuvres frôlent le million de dollars. Son cadet, le jeune photographe sénégalais Omar Victor Diop, connaît un début de carrière pétaradant.

Mais derrière ces têtes de pont, combien de plasticiens talentueux attendent leur tour ? Fondatrice de la Foire 1:54 consacrée à l'art contemporain africain, Touria El Glaoui déplore la frilosité des collectionneurs du continent envers les galeries basées en Afrique. " Galeries et collectionneurs ont respectivement besoin les uns des autres, et il est primordial qu'ils se soutiennent mutuellement et se fassent confiance ", estime-t-elle. Basée à Abidjan, en Côte d'Ivoire, la galeriste Cécile Fakhouri a constaté une évolution ces trois dernières années. " J'ai vu apparaître cinq ou six collectionneurs qui ont 30-40 ans, qui ont voyagé et qui reviennent au pays, indique-t-elle. S'il y avait une vingtaine de collectionneurs sérieux dans chaque pays africain, les choses pourraient changer. "

Si le marché est capital, l'avenir ne pourra toutefois s'écrire que dans un partenariat public privé. Mais, comme le soulignait le curateur Simon Njami lors d'un symposium en 2012 sur les institutions artistiques en Afrique, encore faut-il " que les uns et les autres comprennent qu'ils ne sont pas adversaires, mais complémentaires ".



Source : www.lemonde.fr


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