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Les hipsters du jazz

  Musique, #

Ils ont la trentaine et des poussières, et sont en train d'insuffler une dose massive d'air frais au jazz moderne : leur musique respective puise à pleines mains dans le hip-hop, le rap, le néo-soul, le funk, le gospel, le rock. C'est brillant, envoûtant, "black" à souhait. Regards croisés sur le trompettiste Christian Scott et le pianiste Robert Glasper.


Il y a l'attitude. Il y a le son. Mais il y a aussi le discours qui tranche. "Le jazz a besoin d'un bon coup de pied au cul [big-ass slap]", disait Robert Glasper au magazine Downbeat en 2012. Bang dans les dents de l'orthodoxie. Et sus à un jazz académique ennuyant.

 

Depuis quelques années, tant Glasper que son collègue et ami Christian Scott sont justement affairés à brasser la cage d'un genre musical qu'ils estiment capable de tout, mais qui se montre selon eux souvent trop prudent.

Pour décrire le premier, le New York Times a établi l'expression "new urban black music", une nouvelle musique noire urbaine. Du second, plusieurs parlent de "stretch music", parce qu'elle étend ses ramifications vers tous les horizons. Musiques ouvertes, larges, sans contraintes d'audaces.

Dans les deux cas, on pourrait dire un jazz afro-américain résolument moderne : les deux pieds dans le présent, mais avec un fort ancrage dans la grande histoire des musiques noires américaines, quelles qu'elles soient.

"Ce sont deux musiciens qui ont la capacité rare de traduire l'esprit de leur génération d'une manière qui parle autant aux amateurs de jazz qu'à ceux de hip-hop", relève en entretien écrit Willard Jenkins, auteur, professeur et directeur artistique du Washington DC Jazz Festival.

Jenkins pense qu'une partie de l'attrait qu'exercent les deux musiciens vient de leur attitude sur scène et dans la vie : les hipsters du jazz, un mélange d'authenticité, de grande gueule, de look et d'engagement dans ce qu'ils font.

Scott et Glasper inscrivent ainsi leur travail dans une perspective plus large que leur seule carrière. Hors trompette, Christian Scott est par exemple particulièrement prompt à dénoncer les injustices qui touchent la population afro-américaine. La semaine dernière encore, il écrivait sur Facebook ses impressions sur la tuerie de Charleston. Ses albums ont toujours une forte connotation sociale. Une sorte de " protest jazz ", comme on parlait de " protest songs " au début des années 60.

Perspectives

Joint par téléphone dans le coin de Harlem mardi, Scott expliquait vouloir "créer un dialogue [autour d'enjeux] pour que les gens comprennent qu'il y a différentes perspectives et que la perspective de chacun doit être respectée".

Et pourquoi si peu de jazzmen de sa génération osent-ils prendre la parole ? "Parce que dès que tu exprimes une opinion, tu deviens persona non grata dans certains milieux, observe Scott. Et les musiciens n'ont pas les moyens de se priver de ressources qui permettent de survivre. Moi, je viens d'un milieu social et économique où j'ai vu une myriade de choses négatives à cause du manque de moyens ou du racisme systématique. Alors je ne vois pas comment je pourrais metaire aujourd'hui. Est-ce que ça veut dire que mon opinion a plus de valeur que celle de n'importe qui? Non. Mais je tiens à l'exprimer, parce que ça fait partie de moi, et de ma musique aussi."

Robert Glasper revendique pour sa part haut et fort la filiation de son art avec la musique noire américaine. Une musique "imitée, enviée, constamment réimaginée à travers le monde, et qui représente la forme artistique la plus élevée de l'identité noire", disait-il déjà dans le livret de Black Radio (2012).

"Glasper est peut-être la meilleure incarnation d'un artiste hybride, estime Willard Jenkins. Il a gagné deux Grammy dans la catégorie R&B [pour le disque Black Radio, et pour une chanson de Black Radio 2], il est à l'aise avec les textures hip-hop et R&B autant que dans l'expression jazz acoustique. Et il y a tout son travail de producteur-réalisateur" pour lequel il est de plus en plus remarqué, ajoute-t-il.

Glasper vient d'ailleurs de terminer la direction d'un disque hommage à Nina Simone (on peut déjà entendre en ligne une version profondément soul de Feeling Good, reprise par Lauryn Hill). Christian Scott est aussi interpellé de ce côté, ayant notamment réalisé le dernier disque d'une jeune chanteuse de New York, Sarah Elizabeth Charles, à qui Downbeat a attribué 4 étoiles et demie et qui s'inscrit tout à fait dans la mouvance Glasper-Scott.

"Ce qu'on essaie de faire, c'est de mélanger des musiques vernaculaires, dans un contexte créatif d'improvisation, résumait Scott au téléphone cette semaine. Je suis né en 1983: je suis d'une génération qui n'a connu que la mondialisation. Pour moi, c'est tout à fait normal et naturel de vouloir étendre ma musique vers ces autres contextes et paysages musicaux qui existent partout."

"Est-ce que c'est jazz? De manière inhérente, oui, poursuit-il. Mais ce n'est pas uniquement ça. Vous entendez du rock alternatif, de l'indie rock, des musiques afro-américaines avec lesquelles mon grand-père a grandi [Scott vient de La Nouvelle-Orléans], du hip-hop. Mon contexte musical, c'est tout ça. Et peu importe comment on l'appelle."

Scott se réjouit de voir le public porter attention à ce que Glasper et lui font en parallèle. " Nous avons été les premiers musiciens de cette génération à tenter cette approche, il y a presque dix ans, dit-il. Plusieurs en parlaient; nous, on le faisait. Et aujourd'hui, les gens voient notre contribution de manière concrète."

D'autres participent aussi activement à cette redéfinition générationnelle du jazz afro-américain : citons le pianiste Jason Moran ou les chanteuses Esperanza Spalding et Meshell Ndegeocello, notamment. En regardant le phénomène, Willard Jenkins dit ne souhaiter qu'une chose : que cette nouvelle forme de fusion "ne se dissolve dans cette triste chose qu'est le smooth jazz ", comme ce fut parfois le cas avec la première vague de fusion dans les années 70...

Robert Glasper en trio acoustique : dimanche 28 juin au Monument national (20 h). Christian Scott en quintet : dimanche 28 et lundi 29 juin au Upstairs (19 h et 21 h 45).

Christian Scott, en prestation en 2014

 

 


Source : www.ledevoir.com


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