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A l'heure où les moteurs exogènes de la croissance africaine s'essoufflent, les décideurs africains, qu'ils soient entrepreneurs, hommes politiques, patrons des plus grandes institutions panafricaines ou encore économistes, s'accordent tous pour souligner l'impérieuse nécessité de l'industrialisation de notre continent. Les turbulences actuelles, que ce soit le ralentissement des pays émergents, la crise des matières premières ou le renchérissement du dollar, nous rappellent que la croissance durable d'une zone géographique donnée ne peut pas dépendre uniquement de l'extérieur. Et l'idée qu'une classe moyenne puisse réellement émerger sans une véritable industrialisation ne me semble pas crédible. Une économie basée sur les services ne pourra pas fournir les emplois nécessaires au million de personnes qui arrivent sur le marché du travail chaque mois. Tout est question de savoir quelle industrialisation nous voulons et comment nous pouvons l'atteindre.
Je suis optimiste. Il me semble que les prérequis de cette industrialisation sont là. Le contexte est favorable, notamment parce que l'urbanisation croissante, qui permet une rationalisation des facteurs de production, et les dynamiques démographiques, qui permettent une main-d'œuvre abondante, sont alignées. Mais ce n'est pas tout. Je crois aussi que, malgré les nombreux obstacles qu'il nous reste à franchir, les trois prérequis indispensables sont en train de se mettre en place. Je veux parler des infrastructures, des marchés communs et de la formation. Engouement sans précédentD'abord les infrastructures, sans lesquelles l' Afrique ne saurait être compétitive. Je constate que la prise de conscience au niveau politique est largement acquise et que la nécessité de faire appel au privé pour les financer fait consensus. En conséquence, les textes juridiques qui sous-tendent la bonne marche des partenariats public-privé sont globalement en place. Si les besoins de l'Afrique sont immenses, la tendance à l'investissement est indéniable et les infrastructures font l'objet d'un engouement sans précédent de la part des investisseurs internationaux, même si le processus n'est pas aussi rapide qu'on le souhaiterait.
Vient ensuite la question des marchés communs. Car c'est là l'un des freins à la construction d'usines compétitives : la possibilité d'accéder à suffisamment de consommateurs, alors que la plupart des 54 pays de notre continent sont de relativement petite taille, est cruciale. Là encore, les bases sont posées et la régionalisation est partout à l'œuvre. Certaines régions ont pris les devants et montrent la voie, à l'instar de l'East African Community, où l'engagement des leaders régionaux est un facteur déterminant. Viennent enfin l'éducation et la formation, qui apporteront les compétences pour soutenir cette industrialisation. C'est sans doute le domaine dans lequel il reste le plus à faire, mais je suis persuadé que la révolution technologique va nous permettre d'accomplir des progrès qu'aucun autre continent n'a encore eu l'occasion d'expérimenter. A travers l'éducation en ligne bien sûr - les MOOC -, mais aussi grâce à l'école primaire à un dollar par jour ou à l'accès à l'information et aux logiciels les plus récents par le biais d'Internet, dont la diffusion sur le continent continue de progresser à toute vitesse.
Je crois que cette révolution technologique aura aussi des applications dans le domaine de l'entrepreneuriat, non seulement pour les métiers intellectuels (production de contenu, programmation informatique, design, etc.), mais aussi et surtout pour ce que j'appellerais la " micro-industrialisation ". Dans ce domaine, le mouvement des makers, tel qu'il a pris forme spontanément sur tout le continent, me semble extrêmement prometteur. Il sera sans nul doute renforcé par l'accessibilité croissante des technologies d'impression 3D, qui permettront de contourner l'obligation de produire en grande quantité pour être compétitif. A l'opposé en apparence de cette révolution technologique, l'industrialisation pour la transformation de nos produits agricoles, dont je suis un fervent défenseur. Un chiffre seulement : alors que nous disposons de la moitié des terres arables non exploitées de la planète, nous dépensons 50 milliards de dollars (44,7 milliards d'euros) par an pour importer des produits alimentaires. Le développement agricole porte en lui-même la solution à la fois à la malnutrition, au chômage, à l'exode rural et à l'industrialisation. Renouveau idéologiqueMais je voudrais terminer sur ce qui me tient le plus à cœur et me semble être le socle du décollage de notre continent. Bien sûr, nos gouvernements peuvent, et devraient, appliquer les recettes du développement qui ont fonctionné ailleurs. Mais je crois profondément que la solution aux défis de notre industrialisation viendra d'Afrique. Nous devons d'abord nous libérer de la paralysie induite par les plans d'ajustement structurels qui ont psychologiquement dépossédé nos Etats de leurs leviers d'action. Ensuite, nous devons retrouver l'idéal politique qui nous fait cruellement défaut. A mon sens, ces deux constats vont de pair. La lueur pointe au bout du tunnel. J'observe ainsi la renaissance du concept d' ubuntu que Nelson Mandela nous a laissé en héritage et qui nous invite à repenser nos liens de solidarité et d'équité. Sur un plan économique, ce renouveau idéologique nous permettrait d'envisager le travail et la production sous un angle positivement " africain ", en tirant parti du tissu entrepreneurial informel et coopératif et ce, grâce, une fois encore, au numérique.
Je formule le vœu que la nouvelle génération de dirigeants qui est en train d'arriver au pouvoir un peu partout en Afrique soit le fer de lance du renouveau de ces valeurs humanistes. Je crois que c'est par ce biais seulement que nous réaliserons notre idéal commun. Dans ce combat, nous avons le devoir de ne compter que sur nous-mêmes et sur l'héritage de nos prédécesseurs. Ibrahim Assane Mayaki, secrétaire exécutif du Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD), expert du secteur minier, fut ministre des affaires étrangères puis premier ministre du Niger (1997-2000).
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