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Massaï en ville, du troupeau au parking

  Société, #

Appuyé sur le capot d'un pick-up de fabrication chinoise, Endiyai, un jeune Massaï d'une vingtaine d'années, s'autorise une courte pause en chanson et dodeline de la tête au rythme de la musique qui s'échappe des enceintes de son smartphone. Deux rangées de voitures plus loin, Ndorosi et Ndatiai, drapés d'un shuka, la tenue traditionnelle Massaï, agitent frénétiquement leur long bâton en bois pour aider un conducteur à effectuer son créneau.

Commela majorité des Massaï qui travaillent à Dar es Salaam, ces trois jeunes originaires de Changalikwa, un village situé dans la région de Tanga, au nord de la Tanzanie, ont un emploi de gardien. Surveiller un parking, Ndatiai n'y avait jamais vraiment songé. D'ailleurs, sa vie en ville, il ne l'apprécie guère, bien que depuis deux ans, il passe environ sept mois sur douze à Dar es Salaam.

" Le manque d'opportunités et d'argent dans le village m'ont poussé à venir travailler en ville, racontece jeune homme élancé au visage marqué d'une scarification circulaire. " Je suis gardien car je n'ai pas de qualifications, j'ai arrêté l'école très jeune. Quand je suis arrivé en ville c'est le seul travail que j'ai trouvé rapidement. Nous avons la réputation d'être des gens de confiance, des guerriers, c'est aussi pour ça que beaucoup de Massaï travaillent comme gardien " ajoute-t-il.

Chaque mois, Ndatiai gagne 130 000 shillings (56 euros). Cet argent, il l'envoie ensuite dans son village " pour acheter de la nourriture et du bétail. Dans la culture Massaï, la richesse d'un homme se mesure à la taille de son troupeau ", raconte-t-il. Ndatiai lui, possède quatre vaches.

Crise du pastoralisme

Le peuple Massaï qui compte aujourd'hui plus de 800 000 individusrépartis entre le nord de la Tanzanie et le sud du Kenya, assisteau départ de nombre de ses jeunes vers les grandes villes bien qu'aucun recensement officiel ne permette d'affirmer avec certitude le nombre de Massaï présents à Dar es Salaam.

Selon Mailys Chauvin, géographe au laboratoire Les Afriques dans le Monde au CNRS et spécialiste des villes et des migrations en Tanzanie, la ville n'est pas un lieu nouveau de leur territorialité. " La ville est historiquement utilisée par les Massaï comme un lieu ressource mais de façon temporaire et, aujourd'hui, selon des mobilités alternantes. Ce sont des travailleurs urbains qui participent à la production de la ville mais restent fortement reliés aux villages. Ils incarnent donc une cidatinité passagère, la ville n'étant pas leur destination finale ", explique­-t­-elle.

Un Massaï, avec son troupeau. Crédits : REUTERS

Petro, un Massaï de 61 ans, originaire lui aussi du village de Changalikwa, est gardien sur le même parking que les trois jeunes. Depuis 2000, il passe 4 mois par an en ville. Le reste de l'année, il s'occupe de son cheptel qui compte une centaine de bêtes. Son petit-fils, lui, reste en ville et se charge d'envoyer de l'argent. Le vieux Massaï aux oreilles percées se souvient avoir vu les premiers hommes quitter son village à la fin des années 70. " Ils n'étaient pas nombreux, je me rappelle qu'ils ont commencé à partir en plus grand nombre à partir de 1990 ".

 

Selon la géographe Mailys Chauvin, les Massaï se déplacent vers la ville en raison de la crise du pastoralisme, elle-même étroitement liée a la réduction de leur accès aux ressources foncières depuis la période coloniale et, plus spécifiquement, la libéralisation économique. La démultiplication des acteurs sur les espaces pastoraux combinés aux sécheresses a provoqué la réduction des troupeaux et conduit à la diversification économique comme les emplois urbains.

Main-d'œuvre exploitée en ville

Johnson Ole Kaunga, un Massaï kenyan qui a travaillé pour l'Organisation internationale du travail, explique dans la revue " Indigenous Affairs " que les Massaï de Dar es Salaamn'ont généralement pas de contrat de travail. " Les conditions sont fixées verbalement, principalement à cause du faible taux d'alphabétisation ", écrit-il. Beaucoup d'employeurs profitent aussi de leur méconnaissance du marché du travail et du choc culturel qu'ils subissent lorsqu'ils arrivent pour la première fois en ville.

" Il s n'ont pas de réelles habitations, dorment sur leur lieu de travail, dans les couloirs des hôtels et des magasins qui les emploient où vivent dans des maisons en construction. Ils sont également largement sous-payés ", ajoute Opportunita Kweka, chercheure au département de géographie de l'Université de Dar es Salaam.

Assis dans l'herbe, à l'ombre d'un arbre, Elikane, un Massaï originaire d'un village près du cratère de Ngorongoro, un site naturel mondialement connu pour la diversité de sa faune et ses spécificités géologiques, discute avec cinq de ses collègues tout en raccommodant une paire de vieilles sandales. À cette heure creuse de l'après-midi, il n'y a aucun client dans le restaurant pour lequel il travaille, le parking est vide. " Nous dormons tous ici, dans un bâtiment derrière ", explique-t-il en montrant du doigt un portail rouillé.

" Nous avons fait le choix de venir travailler ici car nous ne pouvons plus vivre comme avant dans le village. Les mouvements de notre bétail sont restreints et le gouvernement, qui ne nous propose aucune solution, a interdit toute agriculture dans cette zone de conservation ", lâche-t-il amer. Le tourisme aurait pu permettre de générer des revenus, mais les six Massaï expliquent à l'unisson que seule une minorité d'entre eux profitent de cette manne financière. " La ville, c'est temporaire. En attendant de pouvoir retrouver le village, je garde des voitures ", conclut Elikane avec un brin d'ironie.



Source : www.lemonde.fr


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joanie
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