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Matt Carotenuto : "Comment l'origine africaine d'Obama a pesé sur sa politique"

  Politique, #

En avril 2016, les Britanniques sont en pleine campagne pour le référendum sur le maintien ou non de la Grande-Bretagne dans l'Union européenne (UE). Le président Barack Obama débarque à Londres à l'occasion des 90 ans de la reine Elizabeth II, et en vue, aussi, de soutenir le Premier ministre David Cameron qui plaide pour le maintien de la Grande-Bretagne dans l'UE. Au moment où l' Air Force One se pose sur le sol britannique paraît dans le quotidien The Sun une tribune signée du maire de Londres Boris Johnson - devenu depuis ministre des Affaires étrangères. Le fervent défenseur du " Brexit " y expose ses arguments. Au passage, il assène une charge plutôt agressive contre Barack Obama. Ressassant une affaire de buste de Churchill renvoyé de la Maison-Blanche, il évoque " l'aversion ancestrale de l'Empire britannique du président en partie kényan ". D'un seul coup, la " relation spéciale " qui unit les deux nations depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale paraît lointaine. Le président Obama devient ce revanchard envers l'ancien colonisateur britannique. Rattrapé par son origine kényane. Comme aux États-Unis, où il a été victime durant son premier mandat d'une campagne féroce sur son illégitimité à gouverner, parce que supposé non-Américain. À quel point l'héritage africain de Barack Obama (il est né à Hawaï d'un père kényan et d'une mère américaine) a-t-il été un handicap durant ses deux mandats de président ? L'historien américain Matt Carotenuto* avance qu'on sous-estime les effets politiques des campagnes sur son origine kényane et sa prétendue inhabilité à gouverner. Il s'en explique, et revient aussi sur les liens du président afro-américain avec le pays de son père, le Kenya.

Le Point Afrique : que retenez-vous de l'héritage de Barack Obama ?

Matt Carotenuto : Globalement, je pense que la politique africaine d'Obama s'inscrit plus dans la continuité que dans le changement. L'un des changements les plus importants est peut-être l'accent mis sur la diplomatie commerciale avec l'Initiative Power Africa censée doubler l'accès à l'électricité sur le continent et le renouvellement de la loi sur la croissance et les opportunités en Afrique (AGOA) mise en place par l'administration Clinton. S'éloignant d'un modèle néocolonial, et de cette rhétorique selon laquelle les États-Unis vont sauver l'Afrique contre elle-même, les programmes de l'administration Obama ont plutôt collé à l'idée de " montée en puissance de l'Afrique ". Mais tandis que l'administration Obama encourage les partenariats public-privé et un développement centré sur la jeunesse, on assiste dans le même temps à une militarisation accrue en Afrique. Du coup d'État soutenu par les États-Unis en Libye aux programmes de drones dans le Sahel et dans la Corne de l'Afrique, Obama marche dans les pas de l'administration Bush, qui a vu après le 11 septembre 2001 les questions de sécurité africaine principalement à travers le prisme de la " guerre mondiale contre le terrorisme ".

Et au Kenya ?

Il est devenu une star au Kenya bien avant de devenir une star aux États-Unis, dès son élection au Sénat en 2004. C'était assez incroyable de voir ce que les gens attendaient d'un jeune sénateur de l'Illinois. Avec leur histoire propre de favoritisme et de marginalisation, les Kényans de l'Ouest (à majorité Luo, comme la famille paternelle de Barack Obama, ndlr) s'attendaient à ce que leur nouveau " mécène " pourvoie en richesse et en projets de développement la région du lac Victoria, qu'il favorise son patrimoine kényan et luo. Obama lui-même n'a jamais encouragé cette idée et a évoqué avec force la nécessité de renoncer à la politique de régionalisme et d'ethnicité lors d'une visite officielle en 2006.

Puis, lors de sa première visite au Kenya en tant que président américain, en 2015, je pense qu'il a bien joué en montrant qu'il avait un lien avec tout le pays, et pas simplement, comme le percevaient de nombreux Kényans, avec ce qui le reliait à son héritage paternel luo. La visite au président Kenyatta, d'origine kikuyu, venait confirmer qu'il n'était pas intrinsèquement lié au leadership politique luo représenté par l'opposant Raila Odinga.

Par ailleurs, je pense qu'en se rendant au Kenya, il a aussi contribué, symboliquement, à légitimer le régime d'Uhuru Kenyatta et de Willam Ruto, à la tête du pays depuis les élections de 2013, alors qu'ils étaient tous deux poursuivis par la Cour pénale internationale (CPI). Et quand vous regardez les discours d'Obama, il est en général assez critique en ce qui concerne la corruption, le népotisme, ce genre d'ancien système qui domine toujours le système politique kényan, mais il n'a pas non plus désigné nommément ces dirigeants.

Pourquoi a-t-il attendu 2015, et sa troisième et dernière tournée africaine, pour se rendre dans le pays de son père ?

Il avait promis de se rendre au Kenya au début de sa présidence. Cependant, durant le premier mandat, de 2008 à 2012, la politique africaine de l'administration Obama a été entravée par la crise financière mondiale mais aussi par les polémiques sur son origine kényane. De façon crue, une frange d'opposants de l'aile droite de l'échiquier politique a fait de son héritage africain quelque chose de non-américain. À travers des best-sellers et un documentaire TV, des experts ont élaboré des lectures racistes de l'histoire kényane, liant ainsi Obama à toute une série d'événements, allant de la rébellion anticoloniale du Kenya aux violences post-électorales de 2008. Ils ont ainsi fait du Kenya une marchandise, un argument de contestation politique, qui a relégué la visite de Barack Obama sur sa terre ancestrale à un moment où sa réélection n'était plus en jeu.

À quel point l'héritage africain d'Obama a-t-il été un handicap durant son premier mandat ?

Son premier mandat a été vraiment dominé par la situation économique aux États-Unis ainsi que par la controverse sur son héritage africain. C'est un point auquel les universitaires n'accordent pas suffisamment de crédit. Quand vous avez des gens comme Donald Trump, qui font de son héritage kényan une incapacité politique et reviennent constamment sur des choses insensées telles que son certificat de naissance, alors, nécessairement, une minorité du public américain finit par intérioriser ce récit. Barack Obama n'a pas manqué de plaisanter à ce sujet (la Maison-Blanche a finalement dévoilé le certificat de naissance de Barack Obama en avril 2011, ndlr) mais un récent sondage paru en août 2016 indique qu'environ 40 % des républicains croient encore que le président Obama n'est pas né aux États-Unis ! Ainsi, les obstacles engendrés par son origine africaine aux États-Unis n'ont peut-être pas modifié sa rhétorique sur le continent africain, mais ils ont eu un impact fort sur son engagement politique en Afrique.

Qu'est-ce qui va marquer sa présidence sur le continent africain ?

Je pense que ce sera le symbolisme de son engagement et sa capacité à comprendre. Il s'appuie sur une expérience africaine, comme aucun autre président ne peut le faire. Il n'est pas seulement le premier président afro-américain, mais il est le premier président à avoir passé du temps sur le continent africain avant son élection. Je pense que cela compte autant que son héritage kényan. Il a essayé de comprendre les réalités africaines d'un point de vue local. Je ne pense pas que ses actions ou les actions gouvernementales reflètent cela, mais quand vous regardez ses interactions avec les Africains, et la façon dont il s'adresse aux jeunes leaders africains, vous voyez cette empathie, une compréhension des enjeux locaux. En ce qui concerne ses programmes, je me demande quelles seront les répercussions de Power Africa ou de l'Initiative pour les jeunes leaders africains (YALI). Mais comme pour l'AGOA lancée sous Clinton ou le programme de Bush pour lutter contre le virus du Sida, il appartiendra au successeur d'Obama de compléter son héritage africain.

Pensez-vous que l'Afrique l'intéresse ?

Oui, je le pense. Et je suis curieux de voir ce qu'il va faire après son mandat. C'est un jeune président, et si nous prenons l'exemple de Bill Clinton ou de Jimmy Carter, ils ont tous les deux mis en place des fondations très solides après leurs présidences, qui ont eu des répercussions mondiales. Certaines des déclarations faites par Barack Obama au Kenya suggèrent qu'il pourrait s'engager sur des questions africaines de façon plus directe après son départ de la Maison-Blanche. Dire aux Kényans en 2015, " la prochaine fois que je reviendrai, je ne porterai pas de costume " peut laisser entendre qu'il aimerait s'engager au Kenya à un niveau peut-être plus personnel. Il sera intéressant de voir s'il développe une philanthropie similaire à celles d'ex-présidents démocrates tels que Carter et Clinton. Personnellement, je ne l'imagine pas se retirer de la vie publique et je soupçonne que nous reparlerons de l'héritage d'Obama au Kenya et plus largement en Afrique dans les années à venir.

* Matt Carotenuto est professeur agrégé d'histoire et coordinateur des études africaines à l'université St. Lawrence dans l'État de New York. Il est l'auteur, avec Katherine Luongo, de " Obama and Kenya: Contested Histories and the Politics of Belonging in Kenya ". Il a aussi publié des articles consacrés à l'héritage africain de Barack Obama dans Open Democracy et Politico.



Source : afrique.lepoint.fr


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