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Moi, William, représentant noir d'une majorité bafouée au Brésil ...

  Société, #

L'interview commence, on est en retard. William aussi. Nous, pour des raisons de métro dans une ville à la circulation tentaculaire, lui à cause d'un anniversaire qui s'est un peu éternisé.

Si l'on s'excuse, il n'a pas du tout l'air de s'en formaliser. " Tudo Bem ", comme on répète ici à longueur de journée, " tout va bien ", affirme-t-il dans un portugais clair, avant de s'installer rapidement dans une salle dédiée à l'interview.

Sièges en faux cuir moelleux mais fatigués, et large baie vitrée, voilée d'échafaudages en travaux.

Derrière, le quartier de Lapa s'étend, où l'ONG AfroReggae a installé son siège, et où William se rend quotidiennement. Lectures, médiation dans des écoles, interview : chaque jour est différent.

Aujourd'hui, il revient sur son parcours, portant un regard acerbe sur une démocratie qu'il juge imparfaite et très inégalitaire.

Né dans le quartier de Tijuca, au Nord de Rio, William part vivre à l'âge de 7 ans chez sa grand-mère : " elle a pris la relève dans mon éducation, et est devenue à la fois ma grand-mère, ma mère et mon père ".

Il habite alors le Complexo de Alemao, une des favelas les plus terribles de Rio, " berceau de la violence " selon ses mots.

Soudainement ému, ce grand métisse aux allures de caïd sourit : " Je n'ai pas à me plaindre, ma famille m'a donné tout ce dont un enfant a besoin ", explique t-il avec tendresse.

Mais si le cocon familial le préserve, hors les murs, la violence rythme son quotidien. Deux évènements le marquent, ineffaçables : la vision d'une tête décapitée, abandonnée en pleine rue. Il avait 11 ans, et se rendait innocemment à l'école.

Le pire, c'est le thème de l'esclavage, qu'il estime aujourd'hui, avec du recul, expliqué aux enfants de manière " peu honnête ".

Ce qui le choque le plus, à cet instant, c'est le va-et-vient des passants, imperturbables, et la vie qui continue. Personne n'accorde d'importance à cette vision traumatisante pour un enfant, car ici, c'est le lot quotidien des habitants.

Les jours passent, mais un second élément morbide secoue William : dans son quartier, il aperçoit un corps entièrement calciné dans une voiture, " il ne lui restait qu'une culotte jaune ", souffle-t-il.

D'une voix détachée, désabusée presque, il explique que ces deux évènements étaient " sûrement un règlement de comptes, ou une guerre de favelas ". Comme tant d'autres.

Il a la chance de faire partie d'une bonne école, même si elle est publique, réservée aux enfants pauvres.

Dans son enceinte, même violence que dans le reste du quartier : " l'établissement se trouvait entre deux favelas, et face aux enfants des autres quartiers, on n'hésitaient pas à montrer les poings ", justifie William, qui tentait au maximum d'éviter ce cercle de violences.

Les yeux au loin, il s'arrête et sourit au souvenir de la directrice de l'école. Une grande dame, qui avait " avait assez de cran pour s'interposer entre les élèves et faire respecter la paix ". Malgré elle, malgré tout, la ségrégation perdure dans les salles de classe : les professeurs s'amusent de voir les élèves constamment divisés en deux, une favela à droite, et l'autre à gauche.

Amer, William se souvient que c'était une blague récurrente parmi les surveillants, que lui trouvait tout sauf amusante.

À l'époque, il juge l'enseignement focalisé sur la culture européenne au détriment de la culture africano-brésilienne, dans un système où l'instruction est majoritairement dispensée par des professeurs blancs. Le pire, c'est le thème de l'esclavage, qu'il estime aujourd'hui, avec du recul, expliqué aux enfants de manière " peu honnête ".

A tel point qu'enfant, il en arrive à la conclusion que si les noirs étaient esclaves dans le passé, c'est qu'ils étaient physiquement plus forts et donc naturellement assignés aux tâches physiques, sous le joug des blancs, plus frêles mais " dotés d'une intelligence qui en faisaient de bons maîtres ".

 " L'homme noir est dealer ou carrossier, la femme noire elle est prostituée ou employée domestique "

La période est douloureuse pour William, qui ne parvient pas à s'assumer dans la société brésilienne. Pour " les noirs en général ", souligne-t-il, c'est un passage difficile. Au cœur du mal-être, l'absence de leaders noirs auxquels se référer.

Zumbi dos Palmares, figure noire qui s'est soulevée contre l'esclavage (1655-1695), est occulté dans les cours du lycée.

En plus de cette faille dans le système éducatif, un diktat de la beauté pèse sur lui, dont il ne correspond pas aux critères. C'est simple, " en classe, le plus beau et le plus aimé, c'est le blanc ".

Au Brésil, on utilise l'expression caractéristique " physique fin ", qui impose d'avoir une bouche et un nez délicat, explique-t-il, ainsi que des cheveux lisses.

Autant de critères de beauté que les noirs n'ont pas. William se rappelle avec amusement qu'à l'époque, il avait acheté des produits chimiques pour tenter de lisser ses cheveux.

Pire, il songe à la chirurgie esthétique afin d'affiner son nez, sa bouche, et ainsi répondre aux critères esthétiques imposés. Même sa couleur de la peau, il ne l'assume pas, murmurant à qui veut l'entendre qu'il est " moreno " - chocolat - : pas tout à fait blanc, mais surtout pas noir.

Aujourd'hui, William explique ce mal-être avec plus de recul et de philosophie : dans les " telenovelas ", ces feuilletons télévisés extrêmement populaires au Brésil, " la place du noir est toujours dépréciée ", explique-t-il.

" L'homme noir est dealer ou carrossier, la femme noire elle est prostituée ou employée domestique ". Pour les jeunes ado qui suivent avec intérêt ces séries quotidiennes, peu de perspectives et d'images valorisantes.

D'abord professeur d'éducation physique, William a intégré l'ONG Afroreggae comme éducateur sportif. Mieux dans sa tête, il décide de mettre son expérience personnelle au service des autres, veut s'engager dans une cause plus grande.

C'est très naturellement qu'il se tourne vers Afroreggae, dont la notoriété est importante au Brésil.

Il tente sa chance, et le courant passe : il est engagé. Débute alors simultanément une vraie prise de conscience : la reconnaissance de son identité noire, et la volonté d'en faire une force.

Rapidement, William se rapproche du fondateur de l'ONG, José Junior, une figure majeure dans la lutte anti-drogue dans les favelas " une relation père-fils s'est instauré entre lui et moi, j'ai beaucoup appris, il m'a énormément aidé ", détaille-t-il.

Pour accroître la mutation, William se plonge dans la littérature engagée, dévorant les biographies des leaders de la lutte pour les droits des Noirs : Martin Luther King, Malcom X, et le brésilien Zumbi sont les icônes qui l'inspirent le plus.

Au regard de son évolution personnelle, William ne mâche pas ses mots : s'inspirant des doctrines marxistes, il affirme avoir été " aliéné ", et pire, " un traître avec mes semblables ". Ce regard vif et lucide sur son passé se transforme en arme.

Le vrai héros Brésilien c'est Zumbi

Sa culture infaillible sur les leaders noirs lui permet d'inverser les grandes tendances dictées par l'école " Le grand héros du Brésil n'est pas Pedro Alvares Cabral qui a découvert notre Pays, le vrai héros Brésilien c'est Zumbi, celui qui a créé la première communauté pour faire face aux colons qui nous traité comme de sous-hommes " tonitrue-t-il.

" Le livre de Malcom X a changé ma vie " ajoute le jeune homme, s'en référant comme l'auteur à qui il s'identifie le plus : " comme moi, Malcom X, venait d'un milieu pauvre, il avait une peau claire et pendant longtemps il ne s'est pas affirmé comme noir ".Il souligne en souriant " lui aussi essayait de trouver des astuces pour ses cheveux ".


Son implication à Afroreggae et sa relecture des leaders anti-ségrégationnistes parachèvent son identité d'activiste noir, créant un déclic : " j'ai compris que je n'étais pas descendant d'esclaves comme on l'affirme au Brésil, mais descendant de rois, de reines et de princes. "

Le Brésil s'est construit sur le terme portugais de " démocratie raciale ", soit une nation où toutes les populations cohabitent, fières de leur métissage culturel.

" En réalité, la démocratie raciale existe seulement pour un groupe de personne au Brésil : les blancs. Quand un noir et un blanc issus du même milieu social sont à la recherche d'un emploi, il est pourvu par le blanc.

C'est un fait ", s'insurge William. Politiquement, les noirs sont peu représentés, " muito pouco, muito muito pouco " : très peu, très très peu, insiste le jeune activiste.

Quand on évoque le cas de Joaquim Barbosa - premier juge noir de la Cour Suprême - William s'en réjouit mais l'évince rapidement : lui, c'est un cas isolé. En attendant, des leaders noirs, il en côtoie tous les jours.

" Pour moi, les leaders ce sont tous ces noirs qui surpassent la condition dans laquelle la société veut les enfermer. C'est mon ami noir qui est médecin par exemple. Ce sont ceux qui se battent tous les jours et portent ce message " c'est possible ". Ils sont les véritables leaders. "

 

Aujourd'hui, William est fier de la personne qu'il est devenu, et se présente - non sans satisfaction - comme un homme " accompli et épanoui ". Son parcours sinueux du Complexo de Alemao aux bureaux clairs d'Afroreggae a fait de lui un homme, comme il aime à le répéter.

Pour ne jamais l'oublier, il a tatoué cette identité sur sa peau, immortalisée par les pigments de l'encre. Les portraits de plusieurs figures noires couvrent la totalité de son bras droit : Zumbi, Mandela, Malcom X et Mohamed Ali, ses références.

S'il se sent enfin lui-même, William a conscience que son combat ne fait que commencer pour aider d'autres jeunes noirs à s'assumer.

Doucement provocateur, il ponctue l'entretien en affirmant que malgré la date d'abolition de l'esclavage au Brésil, en 1888, " c'est le pays le plus raciste du monde ". Dans les mœurs, " c'est une nouvelle forme d'esclavage qui s'est installée. Un esclavage moderne.

Tant qu'il n'y aura pas de réforme politique, économique et éducative, l'esclavage est condamné à se répéter. Et les noirs seront toujours les premiers touchés ".


Il veut se battre contre un système entériné et installé dans les esprits : " quand un noir va au centre commercial de Leblon - un des quartiers les plus aisés de Rio -, les gens le regardent comme s'il allait commettre un crime. Ici le racisme passe le regard, c'est la pire forme de racisme qui existe.

Et souvent ce regard est porté par les vigiles qui sont eux mêmes noirs ! ", plaisante-t-il, amer.

Le militant reste cependant optimiste, en reconnaissant que les politiques de quota récemment mises en place - mais encore bafouillantes - devraient permettre à plus de jeunes noirs d'accéder à l'université et de s'émanciper.

Et nous confie trois " rêves " avant de conclure l'interview : " Un, que le Brésil s'accepte comme un pays inégalitaire et raciste. Deux : continuer de développer mes projets contre le racisme avec Afroreggae, et enfin avoir une famille et être heureux ".

 

 

 

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