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Véritable stakhanoviste, la journaliste et féministe Rokhaya Diallo enchaîne les parutions depuis le début de l'année* : coécriture d'un livre sur les scènes de racisme ordinaire, d'un autre sur la laïcité, d'une bande dessinée, et enfin Afro! sorti ce mercredi. Dans cette galerie de 110 portraits se côtoient d'illustres inconnu(e)s et des personnalités comme Aïssa Maïga, Inna Modja ou Youssoupha, la blogueuse Fatou N'Diaye, mais aussi les ministres Christiane Taubira et George Pau-Langevin. Tous nous livrent leur vécu qui a abouti aux choix du cheveu naturel après moult vexations. " Ce n'est pas un livre revendicatif ", précise Laurence Lacour, son éditrice, mais " cette question du cheveu apparemment légère est extrêmement révélatrice d'un sujet sociétal ". Et de poursuivre : " Il est inconcevable qu'une partie de la population ne puisse pas assumer ce qu'elle est dans sa nature profonde, dans son aspect physique. Je suis sensible à la question car j'ai les cheveux gris, et, contrairement à beaucoup de femmes de mon âge, je les assume. Mais la pression sociale me laisse parfois entendre que je devrais les cacher. "
La sociologue Juliette Smeralda explique dans l'ouvrage : " Par la pratique du défrisage, il s'agit de soustraire les cheveux à la tyrannie du regard qui pénalise socialement. Le crépu étant synonyme de disgrâce, de ruralité, de manque de raffinement, ce cheveu-là doit disparaître derrière un lissage. " L'anthropologue Nacira Guénif-Souilamas rappelle que " pendant l'apartheid en Afrique du Sud, le test du crayon permettait de déterminer le groupe racial d'un individu. S'il tenait dans les cheveux, la personne était considérée comme noire, et s'il tombait, elle était blanche ". En Afrique, ce cheveu est encore largement déconsidéré, comme le raconte le musicien Daby Touré : " Le mouvement nappy aurait encore plus de sens chez moi [en Mauritanie, NDLR]. Parce que j'y vois toutes ces femmes auxquelles on n'a pas appris qu'elles étaient belles. J'ai envie de voir des gens fiers de ce qu'ils sont, bien dans leur peau. " Le Point Afrique : Quel a été le point de départ de cette aventure ?
Rokhaya Diallo : Cela fait longtemps que je m'intéresse à la question. Dans mon premier livre en 2011, Racisme mode d'emploi, j'avais consacré tout un chapitre sur les canons de beauté, sur la manière dont ils pesaient plus lourdement sur les minorités puisqu'elles devaient se conformer à un idéal plus éloigné d'elles. L'idée de ce livre m'est venue concrètement quand j'étais à Brooklyn dans un quartier en pleine gentrification où il y a une bourgeoisie noire assez importante. J'ai vu pas mal de gens avec des cheveux naturels, et ça m'a interpellée. Je me suis interrogée sur ce phénomène en France en constatant qu'il concernait aussi des métisses et maghrébins. Finalement, j'ai commencé à regarder autour de moi et je me suis dit qu'il y avait là un sujet intéressant. J'ai donc interrogé des inconnus dans la rue, mes amis m'ont présenté des connaissances. Mes portraits montrent une majorité de femmes, car, passé un certain âge, les hommes ont de moins en moins de cheveux (rires). Avez-vous délibérément écrit un ouvrage politique ? Oui, mais pas seulement. J'aurais pu écrire un livre avec uniquement du texte, mais j'ai préféré montrer des portraits. Pour cela, j'ai travaillé avec la photographe Brigitte Sombié avec qui nous avons eu une démarche esthétique. Tous ont été photographiés dans leur quartier favori pour coller à leur personnalité. Bien sûr, le propos est éminemment politique, car la question de la représentation, de la possibilité d'être soi-même implique d'évoquer la présence des minorités en France et leur acceptation. Vous parlez de la France, mais, dans le livre, il n'est question que de Paris... C'est un choix délibéré parce que c'est la ville où je suis née, où j'ai grandi, et où je passe le plus clair de mon temps. Paris est effectivement un des personnages du livre. Quand on pense à Londres ou à New York, on pense à des villes multiculturelles et multicolores. Paris a une image beaucoup plus lisse avec de très beaux monuments, mais dont la dynamique multiculturelle est insoupçonnée. Les personnes interviewées ne sont pas toutes parisiennes de naissance, ce sont plutôt des Parisiens de résidence ou de passage. Y a-t-il des ressemblances entre Afro-Américains et Afropéens ? Aux États-Unis, la pression sociale est importante. Elle vient des femmes noires elles-mêmes d'ailleurs. Dans mon documentaire Les Marches de la liberté, l'une des Américaines venues à Paris me confiait, admirative après sa rencontre avec Christiane Taubira, qu'il était inenvisageable de porter des tresses à ce niveau de fonction aux États-Unis. Des deux cotés de l'atlantique, le mouvement nappy correspond d'une part à une envie de bien-être, de produits naturels non toxiques qui font écho à la vague du bio, d'autre part à une volonté d'être soi et d'être représenté pleinement et non de manière sporadique. Ce n'est pas un livre anti-tissage ou anti-défrisage. L'important, c'est que les gens aient le sentiment d'avoir le choix et que toutes les options soient considérées comme esthétiquement équivalentes. Vous parlez de la liberté du cheveu, mais vous défendez les femmes voilées...
Ce que je défends en tant que féministe, c'est le droit de chaque femme à disposer de son corps. Quel que soit le choix qu'elle veut faire pour ses cheveux, ce choix lui appartient. Je trouve qu'il y a une analogie entre voile et cheveu naturel, quelque chose de l'ordre de l'affirmation identitaire. Une façon de clamer haut et fort : j'ai les cheveux crépus, je suis Française et c'est comme ça ! Cheveux crépus, cheveux courts : même combat pour les femmes ? Il suffit de regarder les mannequins : peu portent les cheveux courts. Cela montre bien que les cheveux longs symbolisent la beauté classique féminine. Les actrices et mannequins qui ont les cheveux courts sont identifiées comme ayant un caractère fort, et il est finalement difficile de faire carrière avec les cheveux très courts. Le fait d'être privé de cet attribut qu'est la chevelure longue est perçu comme une soustraction à un jeu de séduction. Les gens ne perçoivent pas le même message selon la longueur du cheveu. Comment jugez-vous les réponses de vos interlocuteurs ? J'ai été surprise par la richesse des réponses, par la récurrence d'anecdotes sur la douleur, sur le rapport à la mère, à l'enfance, au pays d'origine. Il est impressionnant de constater que des personnes aux origines, aux âges et aux métiers très différents racontent finalement des histoires similaires. Beaucoup ne sont pas politisés. Certains m'ont même avoué n'avoir jamais réfléchi au sujet avant notre rencontre.
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