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Ngozi Okonjo-Iweala : " La baisse de l'aide au développement est une chance pour l'Afrique "

  Politique, #

Ngozi Okonjo-Iweala était l'invitée du Monde au Festival de géopolitique de Grenoble qui s'est déroulé du 16 au 19 mars. La " dame de fer " du Nigeria, 61 ans, a servi deux gouvernements en tant que ministre des finances, de 2003 à 2006, sous la présidence d'Olusegun Obasanjo, puis, de 2011 à 2015, sous la présidence de Goodluck Jonathan. Entre ces deux postes, elle a été directrice générale de la Banque mondiale. Elle exerce désormais une activité de conseil auprès de la banque Lazard et préside le conseil d'administration de l'Alliance globale pour les vaccins et l'immunisation (GAVI) basée à Genève, qui a permis depuis quinze ans la vaccination de 500 millions d'enfants. Cet entretien est extrait de son intervention dans l'auditorium du Festival de Grenoble.

 

Vous comptez parmi les cinquante leaders mondiaux du magazine " Fortune " et parmi les vingt femmes les plus influentes du monde, selon " Forbes ". Qu'est-ce que cela fait quand on est issue d'une modeste famille nigériane ?

J'ai du mal à me voir comme une dirigeante mondiale, même si j'apprécie qu'on me donne ce titre ! Mais quand je me lève le matin, je ne pense pas à cela, je me demande comment résoudre le prochain problème. J'ai grandi dans un village au sud du Nigeria où j'ai été élevée jusqu'à 8 ans et demi par ma grand-mère. Mes parents étaient étudiants boursiers en Allemagne et n'avaient pas assez d'argent pour me prendre avec eux. J'ai appris la vraie vie, aller chercher le bois, l'eau. A 5 ans, je savais cuisiner. Cette vie m'a donné de la force et un caractère solide. L'autre grande expérience de mon enfance, c'est la guerre du Biafra (1967-1970). Mes parents ont tout perdu. J'ai su ce que c'était de n'avoir plus rien.

 

Vous répétez que vous êtes afro-optimiste. Comment le rester après Ebola, la chute des prix des matières premières, la recrudescence de terrorisme islamique en Afrique de l'Ouest ?

L'Afrique traverse des cycles, et quand cela va mal, les gens se découragent, ils ont envie de tout lâcher. Pour ma part, je suis une afro-optimiste impénitente. L'Afrique a connu deux décennies perdues, les années 1980 et 1990. Mais ensuite, pendant quinze ans, elle a connu une croissance d'au moins 5 %. Le nombre de conflits durant cette période a baissé. Ce n'était pas le fruit du hasard, cela démontrait que de bonnes politiques portent leurs fruits. Sur plusieurs fronts, l'Afrique a montré qu'elle pouvait faire mieux que ce que l'on attendait d'elle. Y compris sur le plan de la réduction de la pauvreté et du développement humain. Tout n'est pas rose. La croissance n'a pas été assez partagée, elle n'a pas créé assez d'emplois. Maintenant, qu'on entre dans un cycle baissier, on fait quoi, on se lamente en disant que tout cela était écrit et que l'Afrique est un cas désespéré ? Je crois au contraire qu'il faut tirer les leçons de ce qui a bien marché, et continuer.

 

Quelles réussites africaines nourrissent votre optimisme ?

 

Il n'y a pas de pays parfait. Chacun a eu des succès dans certains domaines. Pour ce qui est de la croissance, le Fonds monétaire international (FMI) a estimé qu'elle serait de 3,4 % dans le monde en 2016, et 4 % en Afrique subsaharienne. J'ouvre une parenthèse : la croissance, ce n'est pas un gros mot. Ce n'est pas une condition suffisante pour que les pauvres disparaissent, mais, sans elle, la pauvreté peut augmenter. Il y a des pays du continent qui font bien davantage que la moyenne : l' Ethiopie, la Tanzanie, le Rwanda, le Sénégal ou la Côte d'Ivoire, par exemple.

D'autres pays ont eu des succès avant tout politiques. Le Ghana, où l' alternance s'est faite sans contestation ni violence, a fait preuve de maturité. Le Nigeria, où l'on prédisait une crise au moment des élections en 2015, alors que le président que je servais a très élégamment reconnu sa défaite.

 

Il y a aussi des spécificités régionales. A l'est et au sud du continent, les gouvernements ont commencé à lever les barrières logistiques aux échanges commerciaux par des accords et des infrastructures. A l'ouest, les pays ont fait front commun contre les menaces sécuritaires et les violations des règles démocratiques. Il faut que chaque partie de l'Afrique s'inspire des recettes de l'autre.

La poursuite du développement va nécessiter beaucoup d'argent. D'où viendra-t-il en cette période baissière ? D'un réendettement des pays africains ? Des fonds promis durant la COP21 ?

Le financement est l'un des points les plus importants. J'aimerais d'abord rappeler que le développement est désormais financé en grande partie par les Africains eux-mêmes. Il n'y a plus que douze pays [sur 54] dans lesquels l'aide extérieure au développement représente 40 % du budget ou plus. L' aide des pays développés va diminuer, elle va se diriger vers les migrants et les réfugiés. Il y a aussi des fléaux dont l'Afrique n'est pas responsable mais dont elle est la première victime, comme le réchauffement climatique. Le reste du monde devrait aider le continent, mais je pense qu'il ne le fera pas suffisamment. Et c'est une bonne chose ! Au lieu de se lamenter, de perdre leur temps à mendier, les pays africains doivent trouver davantage de ressources locales. Le FMI estime qu'ils peuvent en moyenne récolter des impôts jusqu'à 4 % de leur PIB. Nous aurons besoin d'une aide technique pour augmenter les ressources fiscales et combler les lacunes que les multinationales utilisent pour dissimuler leurs revenus. Par ailleurs, dix pays ont un système de caisses de pension qui détiennent en tout 380 milliards de dollars [335,5 milliards d'euros]. Ces fonds doivent être investis dans le développement.

" Au lieu de perdre leur temps à mendier, les pays africains doivent trouver davantage de ressources locales "

Est-ce que l'Afrique doit être plus égoïste ? Taxer davantage les importations pour développer les échanges intérieurs ?

L'Afrique ne commerce pas assez avec elle-même, c'est une évidence. Mais cette question est souvent abordée par les questions logistiques. C'est très important d'enlever toutes ces barrières pour que les marchandises, les capitaux et les personnes puissent circuler librement. Pour qu'un camion ne soit plus obligé de s'arrêter autant de fois sur la route entre Abidjan et Lagos, entre Nairobi et Kigali. Mais c'est tout aussi important de savoir ce que l'on veut échanger. Si on produit tous les mêmes marchandises, les mêmes céréales, qu'est-ce qu'on va se vendre et s'acheter ? Il faut que les pays africains commencent à se spécialiser dans l' industrie, l'assemblage ou certaines chaînes de valeurs agroalimentaires.

Certains économistes sont très inquiets pour le Nigeria, qui pourrait souffrir grandement de la chute des prix du baril. D'autres disent au contraire que son économie est assez solide pour passer le cap...

Les deux ont raison. Mais une chose m'attriste. Lorsque j'ai été ministre des finances la première fois, la volatilité des prix du baril, et donc des ressources de l'Etat, coûtait au moins trois points de croissance au pays. Nous avons alors mis en place un mécanisme de stabilisation et ouvert un compte pour les excédents pétroliers. Qui a affiché jusqu'à 22 milliards de dollars. En 2008, quand les prix ont chuté de 148 à 38 dollars le baril, personne n'a entendu parler du Nigeria, parce que le pays a pu puiser dans ce fonds. Et de cela, je suis très fière. Quand je suis revenue au ministère, en 2011, il ne restait plus que 4 milliards sur ce compte alors que le prix du pétrole était très élevé ! J'ai voulu à nouveau mettre de l'argent de côté. Le président était d'accord, mais les gouverneurs n'ont pas accepté. J'ai subi pas mal d'attaques de leur part et maintenant que le pays aurait vraiment besoin de ce compte, ces mêmes personnes me reprochent de n'avoir pas épargné ! Si le Nigeria avait été plus prudent, il n'en serait pas là aujourd'hui. Cela me fait mal. Nous avions le mécanisme, nous avions l'expérience, mais on nous a empêchés d'agir.

En tant que ministre, vous avez préféré traiter avec les Américains, les Chinois ou les Européens ?

J'aime traiter avec tout le monde, mais surtout avec les Africains ! De fait, l'investissement est de plus en plus d'origine africaine et de pays émergents comme la Chine, le Mexique, le Brésil, la Turquie. Ils posent les mêmes conditions, mais c'est plus facile avec eux, ils nous comprennent mieux.

La France semble s'être réveillée. Depuis deux ans, l'Elysée, Bercy ou le Medef multiplient les missions au Nigeria. Le président Hollande se rend d'ailleurs à Abuja en mai. Qu'est-ce que le Nigeria a à y gagner ?

Je poserais la question ainsi : qu'est-ce que la France a à y gagner ? La réponse : beaucoup. Si vous n'êtes pas au Nigeria, vous n'êtes pas en Afrique. Bien sûr, le Nigeria a des problèmes, mais cela va s'arranger. C'est la première économie d'Afrique, le marché des biens de consommation se développe, tout comme les secteurs non pétroliers. L'Afrique ne représente que 5,8 % du commerce extérieur de la France, et le Nigeria 0,6 %. C'est-à-dire rien ! Il a un grand potentiel pour améliorer ces chiffres et la France a raison d'essayer.

Quels sont vos échecs et vos succès en matière de lutte contre la corruption ?

Vous répondre prendrait une journée entière. Sur ma première expérience de ministre, j'ai écrit un livre, Reforming the unreformable (éd. The MIT Press, 2012). Pour la seconde, cela a été vraiment difficile. Le Nigeria subventionne le carburant. Sur 6,7 milliards de dollars que cela coûte, nous avons découvert que 1,5 milliard était frauduleux. Un importateur a prétendu que son bateau était en train de livrer son pétrole alors qu'il était à l'autre bout du monde, selon la société de classification maritime Lloyd's Register Marine. J'ai dit au président que nous allions cesser de payer. Que s'est-il passé ? Ils ont kidnappé ma mère de 83 ans. Durant les trois premiers jours, leur seule demande était ma démission. J'étais censée aller à la télévision et annoncer ma démission. Ce fut l'un des pires moments de ma vie. Pouvez-vous imaginer ce qui se passe dans votre tête si vous devez être responsable de la mort de votre mère ? Je ne vais pas aller dans les détails, mais vous devez comprendre que, dans un pays comme celui-là, si on lutte contre la corruption, il faut être prêt à en payer un prix très personnel. Mon père m'a demandé de ne pas démissionner. Le président m'a demandé de ne pas démissionner. A la fin, tout le monde s'est mis à sa recherche, et les kidnappeurs l'ont libérée.

 

 

Those Who Stole Must Pay for their Deeds, But... - Ngozi Okonjo-Iweala Speaks - t.co/ipHG8Y0mjo

- Viral_Trend (@Beau Armani)

 

Arrêter des corrompus, c'est bien. Mais il faut mettre en place un système qui les empêche de voler. Les Français ne sont pas plus honnêtes que les Africains mais, en France, il y a des mécanismes forts qui empêchent de voler et qui, le cas échéant, punissent les voleurs.

Le paiement des salaires des fonctionnaires, par exemple, se faisait en liquide, ce qui ouvrait la possibilité de fuites. Avec l'aide de la Banque mondiale et del'agence de coopération britannique DFID, nous avons élaboré un système intégré de paiement et un registre biométrique des employés, car nous avions découvert que nous payions des employés et des retraités fantômes. Tout était presque prêt en 2006, à mon départ, mais quand je suis revenue en 2011, cela avait pris du retard ! Finalement, nous l'avons fait. Je sais, cette technologie est moins sexy qu'une arrestation, mais nous devons bloquer la corruption en amont. Et si vous maîtrisez la technologie, vous pouvez maîtriser la corruption.



Source : Le Monde.fr


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