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Niger: le contrôle des naissances devient une nécessité - Afriqpress

  Politique, #

 

Sept enfants par femme en moyenne ! C'est une vraie bombe démographique. Pour juguler une natalité galopante qui compromet son développement, le Niger, l'un des pays les plus pauvres du monde, a lancé un programme ambitieux de planning familial. Indispensable mais bien tardif. Avant d'offrir une contraception gratuite, c'est dans les têtes qu'il faut agir. Culture, religion, mais pas seulement... Notre reporter a exploré ce terrain sensible.

" Si vous n'espacez pas les naissances, vous allez vous fatiguer et vieillir prématurément. Vos maris vous négligeront et finiront par prendre une autre épouse ", assène Jean-Edouard Aboubacar en prenant un air contrit. Devant lui, une vingtaine de mamans assises sous l'auvent du village et entourées d'une ribambelle d'enfants en bas âge rient et opinent de la tête. Beau parleur et séduisant, l'agent de mobilisation sociale (AMS) diplômé en santé publique sait capter l'attention pour amorcer son argumentaire sur le planning familial. Après avoir passé en revue les différents modes de contraception que l'on peut se procurer gratuitement, il a aussi son astuce pour retenir les hésitantes. Alors que se forme une longue file d'attente devant le local où les femmes peuvent consulter pour décider du contraceptif qui leur conviendrait, Jean-Edouard s'empresse de brancher une sono. Montant le volume, le jeune homme esquisse quelques pas de danse en invitant les villageoises à le suivre, ce qu'elles font sans se faire prier. " Ces mères sont débordées par les tâches ménagères. Si on les fait trop attendre par cette chaleur, elles vont partir sans consulter. Avec la musique et la danse, on leur fait oublier leurs soucis et ça les encourage à rester ", lâche l'ambianceur en chaloupant.

 

Objectif national : convertir 50 % des femmes à la contraception d'ici à 2020
Cela se passe comme ça dans les villages de la région de Maradi, au Niger, pays qui connaît le plus fort taux de fécondité au monde (7,1 enfants par femme), avec un pic à 8,4 dans cette zone : à la demande de l'Etat, les équipes de l'ONG britannique Marie Stopes International, spécialiste du planning familial, y quadrillent trois régions - Niamey, Maradi et Tillabéri - depuis 2014. Et elles ne négligent aucune arme pour infléchir les mentalités, y compris l'humour... A une communication percutante s'associe la proposition de se procurer immédiatement un contraceptif gratuit. " Ce couplage entre la parole et l'action fait notre spécificité et notre efficacité ", insiste Valentin Lubunga. Directeur de Marie Stopes Niger, il doit contribuer à l'objectif national de convertir 50 % des femmes à la contraception d'ici à 2020. Un objectif jugé irréaliste par bien des experts, quand on sait que ce taux était de 12 % au début de la décennie et que la démographie s'inscrit dans le temps long.
Heureusement, il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre. En première ligne sur ce sujet, Marie Stopes International, qui affiche pour slogan " Des enfants par choix et non par accident ", suit pas à pas les progrès enregistrés sur le terrain. En 2018, l'ONG ambitionne de convertir quelque 18 000 femmes à l'usage d'un contraceptif, soit presque 50 % de plus que l'an dernier (11 244). Pour y parvenir, Marie Stopes déploie un protocole bien rodé. Pendant que l'agent de mobilisation sociale capte l'attention du public, deux sages-femmes se préparent dans un local attenant à recevoir les volontaires. Sanglées dans leur uniforme, les Marie Stopes Ladies guident les villageoises dans le choix d'un contraceptif. A Maradi, elles s'appuient sur des croquis et explications en haoussa, la langue la plus parlée dans la région. Et pour cause, ces mères souvent mariées précocement n'ont pu apprendre à lire et à écrire le français, enseigné dès l'école primaire.
" J'ai été mariée à 15 ans, j'ai déjà deux enfants et mon corps est fatigué "
Voici donc venir Malika, 21 ans, qui s'allonge pour se faire poser dans le bras un implant qui lui garantira trois ans sans grossesse. " J'ai été mariée à 15 ans, j'ai déjà deux enfants et mon corps est fatigué ", justifie-t-elle. Elle a obtenu ces trois ans de pause de son époux cultivateur, qui souhaite à terme lui faire dix enfants. " Avec deux hectares, on ne pourra pas tous les nourrir ", reconnaît-elle. " Il faudra que mon mari aille faire du commerce au Nigeria ou au Bénin. Mais surtout faire confiance à Allah. " La préférence pour des familles nombreuses ne procède pas de la seule domination masculine : Rahila, 20 ans, qui se fait poser un implant après deux maternités, aspire elle aussi à en avoir dix. Et, là encore, qu'importent les ressources familiales, puisque " c'est Dieu qui nourrit ".

Souvent, les parents qui optent pour le planning familial sont déjà accablés par une descendance trop nombreuse. Il a fallu que Hinda, 30 ans, enfante huit fois pour qu'elle se décide à prendre les choses en main. " Mon mari ne gagne pas assez pour notre famille, il ne pourrait même pas trouver une coépouse s'il le voulait. Je vais me faire poser un implant et si notre revenu ne s'améliore pas après ces cinq ans, je continuerai la contraception. " Tout son entourage la soutient dans ce choix. " Nos parents et beaux-parents comprennent, on est même trop pauvres pour les aider. " Dans son village de Dama, dans la région de Maradi, Souley, un agriculteur de 48 ans, se montre également partisan de la contraception. Ses trois coépouses y ont toutes recouru à un moment ou à un autre " pour se reposer ". Moyennant quoi, il n'a eu " que " dix enfants. Mais avec ses 5 hectares, il peine déjà à nourrir sa famille mais aussi ses chèvres et son taureau efflanqués, attachés dans la cour pour préserver sa récolte. Les mauvaises années, il doit d'ailleurs " faire l'exode " plusieurs mois au Nigeria, où il s'épuise à vendre des fruits et des légumes.
Dans cette société rurale et patriarcale, les obstacles à un planning familial réellement efficace abondent. Traditionnellement, une descendance nombreuse confère du prestige aux parents, soumis à la pression de leurs propres parents et beaux-parents. Cette préférence tient aussi à des raisons économiques. Dans la brousse, les enfants constituent une main-d'œuvre agricole gratuite et une assurance retraite puisqu'ils sont censés s'occuper de leurs vieux parents. Pendant des décennies, ce système a fonctionné, puisqu'il suffisait de mettre de nouvelles terres en culture pour nourrir sa famille. Mais les surfaces cultivables se raréfient et s'épuisent, sous la pression démographique et du réchauffement climatique, qui diminue les rendements.
Les coépouses qui cherchent les faveurs et ressources du mari se mettent en concurrence pour lui donner plus d'enfants
Le manque d'éducation des filles dû aux mariages précoces concourt également à la surnatalité : les trois quarts des Nigériennes sont mariées entre 16 et 18 ans, voire à l'aube de leur adolescence, bien que cela soit illégal. Retirées de l'école, elles enchaînent les maternités rapprochées qui compromettent leur santé et celle de leurs enfants, le cercle vicieux se répétant à la génération suivante. Leurs parents justifient cette pratique par le fait qu'une fille nubile risque de se faire engrosser hors mariage par un camarade ou un voisin, ce qui déshonorerait sa famille. Et pour les plus pauvres, c'est aussi un moyen de se décharger d'une bouche à nourrir.
Dans l'équation qui aboutit à l'explosion démographique, le facteur islamique pèse tout aussi lourd. D'abord, de l'avis général, la polygamie aggrave la situation. Les coépouses qui cherchent à accaparer les faveurs et ressources du mari se mettent souvent en concurrence pour lui donner toujours plus d'enfants. Et si le père vient à mourir, c'est encore celle qui en a le plus qui captera la meilleure part de l'héritage. Cela dit, contrairement à la hiérarchie catholique, qui condamne les méthodes modernes de contraception jusque dans les pays menacés par la surpopulation et la famine, les imams se montrent plus ouverts en fonction de leur interprétation du Coran.
Les ONG et les autorités nigériennes peuvent donc obtenir la neutralité, voire l'appui de certains leaders religieux, pour peu qu'ils adaptent leur discours. " Ici, nous ne parlons pas de limitation des naissances mais de leur espacement, autorisé par l'islam dans l'intérêt de la santé de l'enfant et de la mère ", résume Abdul Rachid Dia Aladji Boni Sylla, responsable de Marie Stopes International pour la région de Maradi. Il faut cependant avancer prudemment dans la promotion du planning familial. En 2014, les autorités envisageaient ainsi d'introduire un cours d'éducation à la santé sexuelle et reproductive dans le secondaire. Des ulémas ont protesté, arguant que cet enseignement allait pervertir la jeunesse, et le projet a été enterré. Mais devant l'urgence de la situation, les autorités sont revenues à la charge, sachant que l'implication des jeunes est la clé de la réussite future. " Tout dépend de votre comportement. Nous comptons dessus pour la construction du pays. Qu'Allah tout-puissant vous vienne en aide ", s'enflammait en octobre dernier le secrétaire général du gouverneur de la région de Maradi, en inaugurant un séminaire de formation des " jeunes ambassadeurs du dividende démographique ". Dans la salle, une soixantaine de collégiens et lycéens venus de tout le pays s'apprêtaient à suivre une série d'ateliers sur le lien entre contrôle des naissances et croissance économique. Le programme prévoyait, là encore, d'aborder la " santé sexuelle et reproductive ".
Sous l'influence conjuguée de l'exode vers les villes, de nouvelles lois, de l'action des ONG et d'un meilleur accès à Internet et à la télévision, les mentalités commencent à changer. " Nous sommes à une période charnière, où la population oscille encore entre les valeurs traditionnelles et de nouveaux comportements ", analyse le démographe Abdoul Nouhou. De nouveaux comportements auxquels Ahmed, 24 ans, adhère manifestement. Sirotant une bière dans une buvette de Niamey, ce jeune mécanicien issu d'une famille polygame ne compte guère sur Allah pour nourrir sa future descendance : il a souffert de voir sa mère se débrouiller quasiment seule pour l'élever, les ressources paternelles réparties entre les coépouses étant insuffisantes. Alors, pour ce qui le concerne, c'est décidé : " Je veux quatre enfants au maximum et avec une seule femme. Au-delà, c'est impossible. "
Par ailleurs, la loi autorise désormais l'accès gratuit aux contraceptifs à toute personne sexuellement active, et les femmes n'ont plus à prouver que leur mari les y autorise. Certaines y recourent donc à l'insu d'un entourage hostile. Cachant les plaquettes de pilules chez une voisine. Arrachant le sparadrap placé sur l'implant après la pose. Visitant de nuit les cases des villages où les équipes de planning familial font étape... Réalistes sur les mœurs contemporaines nigériennes, plus permissives qu'il n'y paraît, des parents modernes en viennent même à encourager leurs filles non mariées à y recourir. " Certains les accompagnent dans nos centres. Avant, ça se faisait en cachette ", remarque Rabi Issu, agent de mobilisation sociale chez Marie Stopes. Grâce à cette protection contre les grossesses non désirées, les filles peuvent continuer l'école et transmettre à leurs propres enfants les bénéfices d'une fécondité maîtrisée.
Les dirigeants du Niger n'ont pas d'autre choix : car si rien n'est fait, la population " doublerait en moins de dix-huit ans et pourrait atteindre plus de 40 millions en 2035 ", s'inquiétait publiquement l'an dernier son président, Mahamadou Issoufou. Il faut donc exhorter les nouvelles générations à se montrer plus responsables que les précédentes, condition nécessaire pour que le pays touche ce que les experts nomment le " dividende démographique ". Dans l'histoire économique, ce dividende correspond à la période où la baisse de la natalité conjuguée à l'importance de la population active permet à un pays de connaître une forte croissance et de sortir de la pauvreté, comme cela s'est produit en Chine au début des années 1980.
Le temps presse. Entre les djihadistes qui tentent d'enrôler une jeunesse en mal d'emploi, la désertification qui réduit les ressources agricoles et aggrave la malnutrition, le planning familial constitue la dernière chance pour désamorcer la bombe démographique qui menace le Niger. Comme la planète d'ailleurs : selon une étude suédoise, la limitation des naissances constitue la mesure la plus efficace pour combattre le réchauffement climatique, loin devant le régime végétarien, le renoncement à l'avion ou à la voiture. Et si on y parvient à Maradi, tout sera possible ailleurs, inch Allah ou ne lui en déplaise...
Islam : le " oui mais " au planning familial
Les imams très conservateurs se focalisent sur la sourate 42, verset 49, qui affirme qu'Allah " fait don de filles et [...] de garçons à qui il veut ". En vertu de quoi, il faut se soumettre à la volonté divine, ce qui peut impliquer le rejet du planning familial. Cette année encore, un prédicateur de la région de Maradi a décrété que toute femme accueillant un corps étranger s'excluait du paradis. Paniquées par l'idée d'aller en enfer, quelques villageoises se sont arraché leur implant au risque d'une infection. Des religieux plus ouverts acceptent les contraceptifs modernes s'ils visent à l'espacement des naissances pour préserver la santé de la femme et de l'enfant. " Et les mères qui veulent donner un allaitement complet allaiteront leurs bébés deux ans complets ", précise la sourate 2, verset 233. Ces religieux rejettent en revanche la limitation volontaire des naissances pour d'autres motifs. Résultat, beaucoup de Nigériennes suspendent l'usage des contraceptifs passé ces deux ans et reprennent les maternités, quelle que soit la situation du foyer, car c'est " Dieu qui nourrit ". Pourtant cette même sourate 2, verset 233, indique qu'il revient au père " de les nourrir et vêtir de manière convenable. Nul ne doit supporter plus que ses moyens... ". Mais les imams semblent négliger cet argument économique, qui porte peu en brousse.

ParisMatch



Source : afriqpress.com


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