Devenez publicateur / Créez votre blog


 

Octopizzo, l'Orphée " bling bling " du plus gros bidonville d'Afrique

  Société, #

Le rappeur kényan Octopizzo, à Kibera. Crédits : Dominic Nahr

" Octo ! Octo ! " Les cris d'enfants ont surgi de nulle part. On cherche longtemps ces écoliers rieurs, dont les sourires finissent par se dessiner au détour d'une ruelle de Kibera, le plus grand bidonville d'Afrique. Par-delà les collines, ils ont immédiatement reconnu leur idole, leur frère : Octopizzo, star du rap et du hip-hop kényan.

Avec ses pommettes épaisses, son regard dur, sa bouche affectée ornée d'une fine moustache, le chanteur a un air d'autorité, les traits d'un roi, d'un souverain du bling bling. Posté sur une colline, face au bidonville, il balaie son royaume d'un regard dissimulé par d'épaisses lunettes. Deux brillants scintillent à ses oreilles. " Et encore, ici, on ne voit que deux villages sur les quatorze que compte Kibera ", esquisse-t-il en agitant son énorme portable. " Là-bas, c'est le mien, là où j'ai grandi : " Gatwekera "."

D'innombrables toits gris s'étalent et ondulent le long des collines, comme une grande vague de métal menaçante. Une ligne de chemin de fer, recouverte de boue, creuse un sillon entre les baraques de tôle défoncées. Kibera, c'est la " forêt " ou la " jungle " dans la langue des Nubiens - les premiers résidents du bidonville, il y a près d'un siècle. Entre 500 000 et 1 million d'habitants y vivent aujourd'hui. Selon une étude, datant de 2012, la densité atteindrait les 300 000 personnes au kilomètre carré. Quinze fois plus qu'à Paris.

Du gang à la scène

Le rappeur star évite les flaques, fait caracoler sans peine son encombrante voiture japonaise dans les allées. Né et élevé ici, il connaît la route. Des enfants éternuent, se roulent par terre. C'est la saison des pluies et une boue rougie coagule le long des allées. La majorité des habitants vit de petits boulots et d'expédients. Le salaire moyen ne dépasse pas 50 dollars. Dans certaines parties du bidonville, huit personnes sur dix vivent en dessous du seuil de pauvreté.

" Octo " chante ce slum, la tôle, les discriminations... mais aussi la marche vers la richesse. Dans son tube This Could Be Us, il se met ainsi en scène à Berlin, rappant depuis la Potsdamer Platz. Il est le Kényan de Kibera, mais aussi l'Afrique conquérante et provocatrice, à l'assaut de la mondialisation, dansant sur la vieille Europe. Ses vidéos ont été visionnées plusieurs centaines de milliers de fois sur YouTube. Son dernier disque, L.D.P.C. (sorti en 2015) a été classé en tête des téléchargements de musique kényane sur iTunes. Sur Facebook, il a plus de 200 000 " amis ", 100 000 " followers " sur Twitter.

www.youtube.com/embed/kiU0JKT8LpQ

Henry Ohanga, de son vrai nom, a tout juste 27 ans. Ses parents appartiennent à l'ethnie Luo, des émigrés de l'intérieur, venus du comté de Siaya, sur les rives du lac Victoria. Peintre à la bombe dans un garage, le père est mort d'étouffement avant la quarantaine, les poumons gonflés de sang. La mère, gérante d'un petit salon de coiffure, ne survit pas longtemps à son époux.

 

Seul pour s'occuper de son frère et de sa sœur, encore bébés, Henry traîne la nuit, rejoint des gangs, " trois en tout ". " On dévalisait des gens, on les battait pour seulement 10 shillings (moins de 10 centimes d'euros), se souvient-il. Ce n'était pour s'amuser. On avait faim. "

Kibera, Harlem, 9-3

En décembre 2007, Kibera explose. Les violences, qui suivent l'annonce des résultats des élections présidentielles, font 1 200 morts dans le pays, et mettent le feu au bidonville. La colère s'accumule. Le jeune Henry doit crever l'abcès. En 2008, il écrit un texte : Voices Of Kibera. Les paroles sont en sheng, l'argot de Nairobi, le parler vrai des bidonvilles. " J'ai chanté ça dans un stand-up, dans le quartier riche d'Upperhill. Dans cette chanson, il y avait toute la haine que j'avais sur le cœur. Je disais : " fuck" les clichés sur Kibera, " fuck" le gouvernement qui ne fait rien pour nous. " Le texte est remarqué. Henry Ohanga devient Octopizzo.

www.youtube.com/embed/wMywIiwOpLY

" Octo ", comme le chiffre huit : le numéro de la seule ligne de bus osant s'aventurer dans Kibera. Dès 2011, ses chansons passent à la radio. Octopizzo devient une marque. Il part en tournée en Europe, fais des pubs pour le géant kényan des télécommunications Safaricom et Coca Cola. Avec son premier salaire, le jeune artiste s'achète un sofa. " Pour ne plus jamais dormir par terre. "

 

Il collectionne aussi les paires de chaussures, dont il possède une bonne centaine. Le chanteur met Kibera à la mode, comme l'ont été Harlem ou le 9-3. " Avant, une personne qui venait d'ici ne pouvait trouver un travail nulle part, insiste Octopizzo. Aujourd'hui, l'image a changé. Des jeunes classes moyennes portent des T-Shirt avec " Kibera" marqué dessus ! " En 2012, il reçoit dans son slum la visite d'un invité de marque : le rappeur américain 50 Cent.

" Le bidonville ne peut pas s'améliorer "

Henry-Octopizzo n'a rien oublié de ses racines. Quelques jours plus tôt, on le croisait à l'Alliance Française de Nairobi. Chapeau violet à la Pharrell Williams sur la tête et thé au gingembre à la main, il présentait une vente de peintures réalisée par des réfugiés du camp de Kakuma, dans le nord-ouest du Kenya.

Le chanteur, à l'origine de l'initiative, emmène le visiteur vers sa toile préférée : un groupe fuyant à travers une rivière, abattu par des hommes armés et attaqué par les crocodiles. " Peindre, c'est une thérapie, ça permet d'enlever la saleté qui est dans l'esprit ", explique Octopizzo. Les artistes du jour rasent les murs, enfoncés dans leurs costumes trop larges, qu'on imagine loués pour l'occasion. " Je me reconnais dans chacun d'eux. Mais ces jeunes ont eu le droit de sortir une ou deux semaines seulement pour assister à la vente, regrette-t-il. Après, ils devront retourner dans le camp. Sinon, la police les arrêtera. "

Le rappeur kénya Octopizzo sur scène. Crédits : DR

La politique, très peu pour lui. En juillet, il a rencontré Barack Obama, en visite dans le pays de son père. " Un mec cool, accessible, pas comme les chefs d'Etats africains ", juge-t-il. Croyant, mais sans religion, il n'a pas été soulevé par la venue du Pape. " L'Eglise, au Kenya, c'est un business. Si tu veux gagner de l'argent, tu ouvres une Eglise. "

Quand Octopizzo a finalement quitté Kibera, en 2013, il n'a rien pris avec lui : juste sa fille et quelques vêtements. " Je ne pourrais plus habiter ici, avoue-t-il. Depuis que je suis parti, rien n'a changé. Je crois que Kibera ne peut pas s'améliorer. Je dis aux gens : il faut que vous partiez d'ici. Les problèmes de Kibera finiront quand il n'existera plus. " Le rappeur sait pourtant ce qu'il doit à son slum. Ses amis y sont toujours, il y emmène sa fille quand elle fait un caprice, " pour lui montrer d'où elle vient ". " Je ne peux pas vivre à Kibera. Mais je ne peux pas vivre non plus dans une ville où Kibera n'existerait pas. "



Source : www.lemonde.fr


PARTAGEZ UN LIEN OU ECRIVEZ UN ARTICLE

Pas de commentaire

Pas de commentaire
 
rodrigue
Partagé par : rodrigue@Suisse
VOIR SON BLOG 24 SUIVRE SES PUBLICATIONS LUI ECRIRE

SES STATS

24
Publications

1648
J'aime Facebook sur ses publications

76
Commentaires sur ses publications

Devenez publicateur

Dernières Actualités

Pas d'article dans la liste.