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Othello était un ... Noir? Non, juste un personnage !

  Culture & Loisirs, #

 

Pourquoi Iago est-il méchant ? Le mal, surtout aujourd'hui, on en a si peur qu'on aimerait lui donner des raisons claires, le réduire à des causes mi-Zola, mi-divan. Shakespeare, en 1603, est plus sage : il donne sa langue au mal, mais il ne l'explique pas. Avec Iago, le traître, l'hypocrite, le jaloux, l'envieux, le scélérat, le tueur, la psychologie ne fonctionne pas. Il accuse à tort Othello d'avoir couché avec sa femme. Il convoite un poste militaire que le Maure donne à un autre, le brave et niais Cassio. Il est possible qu'il aime Desdémone, même si les femmes ne semblent lui inspirer que du mépris. Et tout ça n'explique rien. Peut-être est-il simplement exaspéré par la bêtise, la naïveté, l'entièreté de ceux qu'il manipule comme des pattes d'insecte ? Peut-être leur fait-il payer au prix fort l'expérience qu'il fait sur chacun d'eux ?

Iago est en tout cas l'homme qui dit cette phrase extraordinaire, enrichie par son opacité : "Je ne suis pas ce que je suis." Il fuit de partout, à la fois soldat, valet, conseiller, meurtrier, subtil, trivial, lucide, aveugle, personnage de tragédie et de comédie, tous entiers dans la même peau. Personnage qui tire les ficelles de la pièce, monte l'intrigue et la fait évoluer : comme tout bon metteur en scène, un sacré manipulateur et montreur de marionnettes. Agé de 28 ans mais sans âge, le mal qu'on fait sans raison rend éternel, un vrai bain de jouvence. Comment jouer ça ?

Pitreries. Au Vieux-Colombier, Nâzim Boudjenah fait le valet bouffon, tendance Sganarelle. Il a une petite frange droite et, quand il a dit sa tirade, manipulant tantôt Roderigo, tantôt Othello, il se retourne vers nous et grimace à l'arrêt, comme en plan fixe : c'est Jim Carrey, c'est le Joker. Au début, c'est amusant et ça remplit comme du pop-corn ; mais après l'entracte, plus on s'enfonce dans la tragédie, moins ça fonctionne. Les pitreries cinématographiques, après avoir diverti, empêchent ce Iago d'inspirer tout l'effroi qu'il devrait. Le bouffon tourne en roue libre, jouant un film où les autres n'entrent pas - telle une image en surimpression. La longue et blonde Elsa Lepoivre joue Desdémone dans un registre classique, sobre, élégant, pathétique, toute en tragique de pudeur : elle rappelle vaguement Suzanne Cloutier, qu'on peut revoir en ce moment au cinéma, dans la version baroque et liftée du Othello d'Orson Welles (1952). Aucune communication possible avec Iago.

Reste Othello. Grand rôle quasiment injouable, dont les mystères et les sautes d'humeur ne tiennent que par la langue de Shakespeare - ici violemment réduite, modernisée et délestée de ses splendeurs métaphoriques par l'adaptation de Normand Chaurette.

Depuis longtemps, une question théâtrale est de savoir si le Maure doit être joué par un Noir ou pas. Dans le texte, il est les deux. A la fois un étranger, comme pouvaient l'être les Arabes présents à Londres du temps d'Elisabeth I re, et "l'homme aux grosses lèvres" (l'expression a sauté dans la version jouée au Vieux-Colombier). Le parti pris est tantôt artificialiste, tantôt naturaliste. Les uns pensent qu'on est au théâtre et que n'importe quel acteur, passé ou non au brou de noix, peut jouer le célèbre nègre. Les autres pensent qu'il doit être joué par un acteur noir, teint sur teint. Léonie Simaga choisit la seconde solution : Bakary Sangaré, sociétaire originaire du Mali, est une masse noire, à la fois brutale et exténuée, un véritable indigène pas du tout civilisé, le contraire d'un Noir métissé chic du genre Denzel Washington ou Obama. Il déplace sa montagne de chair brute, les yeux presque clos, lâchant sur le même ton ses perles et ses crapauds, ses éloges et ses insultes, d'une voie tonnante et assourdie, monolithe de violence tantôt contenue, tantôt lâchée, jouant sans varier sur le même ton du début à la fin.

Amande. Résultat : on sent le grand fétiche et l'altérité, tout ce qui inspire le racisme des Blancs vénitiens et la haine de soi que Iago va révéler, mais il n'y a plus ni nuance, ni intériorité, ni sensualité : noir désir, mais qui ne paraît ni en répandre ni en éprouver. Le parfum lourd et sucré que devrait porter sa parole, avec cette touche d'amande amère, a disparu - l'envoûtement propre au langage d'Othello, qui va répétant ses mantras de jaloux dévoré : "Telle est la cause, telle est la cause, mon âme... Telle est la cause." Othello est parlé par des forces plus qu'il ne parle - des forces qui, d'un même mouvement et dans une même phrase, le font célébrer et insulter, aimer et haïr celle qu'il aime et qu'il va tuer : le vice ne cesse de rendre hommage à la vertu, et réciproquement.

Dans ce décor gris de ruelle aux allures de nef, puis de fosse aux allures de bassin vide, on n'entend rien de ces contradictions, de ce cœur qui vacille et fasèye. On ne voit rien de ce qui unit Othello à Desdémone. Seules les colonnes du décor, en s'élevant, installent, dans le genre des tableaux métaphysiques de Chirico un brin sec, humide, de mélancolie. Pour le reste, cette représentation sans cohérence, presque une arlequinade, rebondit pendant trois heures, n'ennuie jamais, sans hiver ni déplaisir.

 

 

 

Othello de Shakespeare ms Léonie Simaga Théâtre du Vieux-Colombier, 21, rue du Vieux-Colombier, 75006. A 20 heures, jusqu'au 1 er juin.

 

 

Source : www.liberation.fr


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