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Pascale Marthine Tayou appuie là où ça fait mal

  Culture & Loisirs, #

 

Le Monde | * Mis à jour le | Par Philippe Dagen (Bruxelles, envoyé spécial)

Ce matin-là, Pascale Marthine Tayou est venu de Gand, où il vit et travaille, à Bruxelles, où se tient son exposition, " Boomerang ", parce qu'il faut qu'il y ajoute une nouvelle pièce, un mois après son ouverture. Une pièce commémorative. Deux jours avant, le 22 juin, une dépêche a annoncé que l'une de ses œuvres monumentales a été détruite. Créé en 2012 à l'initiative de la Fondation Izolyatsia, Make Up était un bâton de rouge à lèvres géant que l'artiste avait dressé sur une cheminée d'usine. La Fondation Izolyatsia occupait des bâtiments industriels dans la banlieue de Donetsk. Mais, depuis un an, les combattants qui se réclament de la République populaire de Donetsk (RPD) s'en sont emparés, en faisant un camp d'entraînement, une prison et un lieu pour stocker leurs pillages. Avant l'œuvre de Tayou, ils y ont détruit celles de Kader Attia, de Daniel Buren, de Leandro Erlich et d'autres artistes. Le 22 juin, ils ont mis en ligne la vidéo du dynamitage de Make Up. Selon leur porte-parole, " sur le territoire de la RPD, ce genre d'art sera puni ". On s'en serait douté.

Des réactions violentes

Tayou songe à projeter la vidéo sur l'un des murs encore libres. Il veut parler sans colère de cette destruction ?: " Si ces soldats ont agi avec haine, dit-il, dans mon travail, il n'y a pas de place pour la haine. Ils ont affirmé que ce n'était pas de l'art ou alors de l'art de malades pour des malades. Ils n'ont rien compris à ce qu'était Make Up : un hommage aux femmes qui, après la seconde guerre mondiale, ont fait revivre Donetsk et le Donbass. Ignorent-ils que l'emblème de la ville est une rose et qu'on l'appelle la cité des mille roses ? J'avais changé en bâton de rouge à lèvres géant la plus haute cheminée d'usine de la région - pour faire d'une forme qui symbolise l'érection et le pouvoir une forme féminine. On la voyait de partout. Les destructeurs n'ont pas compris que ce n'était en rien une histoire ukrainienne, mais une idée universelle. Mais, s'ils croient avoir détruit l'œuvre, ils se trompent : ils l'ont complétée. "

Ce n'est pas la première fois que Tayou fait l'expérience de la destruction. En avril 2011, alors que le Musée d'art contemporain de Lyon l'accueille, la Colonne pascale que l'artiste a dressée dans la nef de l'église Saint-Bonaventure est abattue par des inconnus. " Je pourrais réunir les deux en un diptyque. La colonne avait été installée avec l'accord du curé. Il avait écrit un texte à ce propos et disposé les chaises pour former un cercle autour d'elle. Qui l'a brisée ? On m'a dit : des vandales. Je n'en sais rien. Comme ça s'est passé durant le carême, j'ai préféré dire que c'était Jésus qui l'avait fait tomber en montant au ciel. Et que donc il n'était pas question de restaurer une œuvre qui avait été achevée par le Christ. " Il n'est pas certain que l'humour de l'artiste ait été du goût de ses ennemis. Il n'en affirme pas moins que, de tels sujets, " il est mieux de parler avec légèreté ". Pourquoi provoque-t-il des réactions si violentes ? Parce qu'il appuie sur des points douloureux. " Quelquefois, je tourne le couteau dans la plaie. Diagnostiquer la situation, c'est mon métier. On m'appelle artiste. Mais ce que je fais, ce sont des diagnostics. Des relevés à partir de mes observations sur l'espèce humaine. Comme je constate que les hommes lancent des boomerangs qui reviennent leur trancher la tête, l'exposition s'appelle "Boomerang". "

 

Il y en a trois dans l'entrée, démesurés et peints de couleurs vives. Plus exactement dans la troisième entrée car Tayou, conformément à ses habitudes, a pris pleine possession du Palais des Beaux-Arts. Côté rue, il a placé Africonda, un épais nœud de serpents de plus de deux mètres de diamètre. Il est fait de cylindres de tissus cousus ensemble, d'où émergent par endroits des coiffes de style " traditionnel " et, à d'autres, des pieux aigus. N'aurait-on pas saisi, dès ce préambule, que l'un des sujets de Tayou, né au Cameroun en 1966, est l'acculturation et l'hybridation entre Afrique et Europe, il a peuplé le grand hall de hautes statues de bois polychromes. Par leur style et leurs sujets, ce sont des " statues colons " - Africains vêtus à la mode occidentale, Européens à casques coloniaux - comme il s'en fabrique tant. Mais elles sont bien plus grandes que nature, de sorte que leur présence, comique au premier abord, suscite bientôt un début de malaise, en raison de ce qu'elles rappellent.

Charme et blessure

Ainsi en vient-on aux boomerangs symboliques et à l'exposition, qui est une immense installation. Images, sculptures, assemblages, vidéos et écritures se répondent. Les murs sont, pour certains, tapissés de photos agrandies aux dimensions d'un papier peint. Des assemblages de branches et de sacs en plastique sont suspendus en l'air, ainsi que plusieurs cabanes renversées qui semblent tomber du ciel. Des statues de verre sont juchées sur des troncs d'arbres écorcés. D'autres sont à moitié recouvertes par des petits masques fabriqués à la chaîne pour les touristes et qui ont été enduits de boue ou de cendre comme des objets de culte du vaudou. Des assemblées de petites statues colon multicolores sont placées en cercle sur des disques de fer, eux-mêmes portés par de longues tiges fichées dans de vieilles roues. Un jeu de mikado géant déploie ses bâtons marqués de rouge et de jaune, dont chacun se termine par un fer de javelot aggravé de crocs de métal pour mieux déchirer les chairs. Toujours l'oscillation entre la séduction et la menace, le charme et la blessure.

Au plafond de l'une des salles, un nuage de coton est accroché, éclairé de l'intérieur. Des pieux aiguisés en jaillissent. L'installation s'intitule Coton-tige. Commentaire de son auteur : " A première vue, j'y parle des dérèglements climatiques. Mais aussi de l'esclavagisme. Je me suis souvent demandé comment les esclaves, qui étaient comme des pieux aiguisés par la violence qu'ils enduraient chaque jour, pouvaient avoir des gestes si doux pour cueillir les fleurs si douces du coton. Donc, la mémoire de l'esclavage est inscrite dans l'œuvre. Mais aussi l'idée de la pollution : des nuages qui font pleuvoir des pluies destructrices... Il faut qu'il y ait plusieurs niveaux dans une œuvre, comme il y en a plusieurs dans tout homme. "

 

L'un de ces niveaux d'interprétation est, en effet, la destruction de la nature. Sur des écrans passent des reportages tournés par l'artiste dans une casse automobile ou sous les ponts de Lagos où survivent ceux qui font commerce du bois. Des canalisations suivent les murs et font semblant de s'y enfoncer en dessinant des circuits inexplicables. On pourrait se croire dans une usine de retraitement des eaux ou une raffinerie. On le croirait d'autant plus aisément que Tayou a écrit au fusain sur les murs de courts textes qui évoquent des cas de pollution extrême, chimie en Chine, mines au Zimbabwe. A-t-il conçu " Boomerang " comme un manifeste politique ? L'adjectif lui déplaît. " Non, ce n'est pas de la politique, parce que je n'apporte pas de solutions. Je constate, visuellement, c'est tout. Il est vrai que "Boomerang" répond à des besoins et à des engagements qui sont dirigés vers ce qui m'est proche, donc vers l'environnement et vers la nature, parce que chacun sait que nous sommes en train de les détruire. Mais j'ai écrit des textes sur ces sujets quand j'avais 20 ans... Tout ce que je peux faire, c'est refuser d'être complice de ce qui me répugne. Comment tenir la route ? Comment tenir tout court ? "

Boomerang, Palais des Beaux-Arts, 23, rue Ravenstein, Bruxelles (Belgique). Du mardi au dimanche de 10 heures à 18 heures, jeudi jusqu'à 21 heures. De 2 € à 9 €. Jusqu'au 20 septembre. Bozar.be



Source : www.lemonde.fr


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