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Personne ne voudra de moi parce que je suis noire.

  Mode & Beauté, #

 

Je me rends doucement compte des effets de toute la somme des injonctions que j'ai subies depuis mon plus jeune âge et de leur impact sur ma vie, et surtout sur mon enfance. Je me suis longtemps détestée (mais vraiment, je haïssais l'enfant que j'ai été). Je ne suis indulgente avec moi-même que depuis très peu de temps. Et cette indulgence reste fragile. Je n'ai réalisé qu'il y a quelques années maintenant à quel point mon enfance et mon adolescence ont été rendues difficile par tous les éléments dont je vais parler et à quel point je suis parfois injuste avec celle que j'étais enfant : je me voyais comme stupide, « monstrueuse » (me regarder dans un miroir était une épreuve…) faible et sans intérêt. Une vilaine coquille vide sans personnalité.

Maintenant, je sais que j'étais fragile, seule, effrayée et que je cherchais par tous les moyens à me protéger et à survivre dans un monde qui me semblait totalement hostile parce que je n'y trouvais pas ma place.

En fait, j'étais terrifiée. J'ai grandi dans la terreur et dans le rejet de celle que je suis. Je me croyais « folle », en décalage avec les autres enfants, avec le monde entier même. J'avais aussi parfois l'impression d'être invisible, d'être une personne que l'on oublie dès que je sortais de l'angle de vue de mon entourage. Ce qui n'était pas tout à fait faux d'ailleurs…

Depuis, ma terreur s'est muée en rage (parfois en désespoir mais c'est relativement peu fréquent). J'avais tendance à m'en vouloir pour ça par moment mais j'ai fini par comprendre qu'elle m'a permis d'avancer, de cesser d'avoir peur et même paradoxalement de mieux m'accepter comme je suis.

Pour ce qui est du rejet, j'ai grandi dans les années 80 (oui, oui, ça a un rapport, j'y viens !). Il n'y avait aucune poupée noire de disponible pour moi là où mes parents les achetaient à cette époque. Et aucun modèle médiatique positif (ni même négatif d'ailleurs…) auquel je pouvais m'identifier. Il n'y avait aucun-e noir-e à la télé française à cette époque.

Si j'avais eu ces poupées étant enfant, ma vie n'aurait pas été la même.

Si j'avais eu ces poupées étant enfant, ma vie n'aurait pas été la même.

Si j'avais eu ces poupées étant enfant, ma vie n'aurait pas été la même.

Si j'avais eu ces poupées étant enfant, ma vie n'aurait pas été la même.

J'ai aussi appris à l'école (de la part d'une institutrice raciste d'ailleurs) que mes ancêtres étaient les Gaulois (blonds aux yeux bleus). Rien sur mes ancêtres à moi. Pas un mot, pas une allusion. J'étais (comme les trois-quart de ma classe de l'époque) totalement invisible.    


De plus, la beauté était globalement blanche. Blanche, au nez fin, au dos aussi plat que le ventre, aux cheveux lisses ou avec des grosses boucles bien dessinées, etc. L'effet que tout ceci a eu sur moi a été fatal pour mon estime de moi-même.


Je ne m'identifiais jamais à mes Barbies (encore heureux) mais tout de même, j'avais bien intégré le fait que je ne correspondais pas aux canons standard médiatisés. Et même quand Naomi Campbell a commencé à faire parler d'elle, je ne pouvais pas m'identifier à elle pour tout un tas de raisons. Je n'avais pas les cheveux lisses qui volent au vent, j'avais les yeux sombre, un gros nez et un dos bizarre : comme je faisais de la danse avec une majorité de filles blanches qui elles pouvaient toucher le sol avec la totalité de leur dos quand elle étaient couchées dessus, je n'ai compris que très tardivement – et encore, après une radiographie… – que ma cambrure n'est pas une déformation…


Le collège fut, comme pour beaucoup, une période horrible pour moi. La principale conséquence de mon dos « bizarre » ou plutôt de sacs à dos trop lourds et totalement inadaptés à ma morphologie fut que je devais me pencher fortement en avant pour marcher pour éviter de me renverser en arrière et de me faire la tortue. Ceci m'a valu nombre de moqueries au collège… Ça en plus de ma maigreur et de mon désintérêt pour la mode. À côté de ça, j'avais droit à des remarques de mes potes qui n'avaient de cesse de me demander pourquoi je ne me maquillais pas.


Ce fut aussi la période où j'ai été amoureuse pour la seule et unique fois d'un mec qui ne l'entendait tellement pas de cette oreille qu'il s'est dit que les coups et les menaces étaient la meilleure solution pour me faire comprendre qu'il n'était pas intéressé. Ce même mec m'avait d'ailleurs dit qu'il avait failli sortir avec une fille aux yeux bleus…


Toutes ces remarques, toute cette absence de représentation me ressemblant* et le racisme que j'avais intériorisé ont eu pour conséquence une certitude (que j'ai encore d'ailleurs) m'affirmant que si un mec devait « choisir » entre une blanche et moi, alors autant renoncer tout de suite… Et c'est ce que j'ai toujours fait. Consciemment. Toujours.

*Au passage, je n'ai jamais trouvé que Naomi Campbell me ressemblait avec ses cheveux tissés, son nez fin (par rapport au mien et surtout à la vision que j'en avais du moins), son maquillage et sa maigreur dans laquelle je refusais de me voir, bien que maigre moi-même.

Plus tard dans ma vie, un « ami » ne cessait de me soutenir que « la femme la plus belle du monde ne peut être que blanche ». Avec des attributs physiques globalement attribués aux noires (port de cou, cambrure prononcée, lèvres épaisses et j'en oublie) et qu'il trouvait toujours en moi d'ailleurs ; mais cette femme la plus belle du monde devait être blanche quand même, faut pas pousser !


Et je me prenais ça dans la figure sans rien dire. Sans oser lui dire à quel point il était raciste, lui qui prétendait détester son père pour cette même raison (oh ironie !). J'encaissais et je souffrais. Je n'ai jamais été belle. Je ne serai jamais belle. Je ne suis pas belle. Je suis noire.


De plus, je ne croyais jamais les personnes qui me disaient belle tant j'avais la certitude de ma propre laideur.
Tout ceci a toujours fortement influencé mes rapports aux autres et mon rapport à la séduction. J'ai très souvent eu peur de ne serait-ce que montrer de l'intérêt pour quelqu'un de peur de me prendre des coups, ayant grandi dans l'idée que les mecs ne savaient pas s'exprimer autrement qu'en étant violents, ou de croiser la route d'un raciste, qui ajouterait sa haine raciale à la violence que je croyais fondamentalement ancrée chez les hommes. Même si aujourd'hui je me suis détachée de l'idée selon laquelle les hommes sont violents par défaut, je garde en tête l'idée que je peux être rejetée, que je serai évidemment rejetée à cause de ma couleur. Et j'ai déjà été rejetée à cause de ma couleur. Tout comme j'ai parfois été fétichisée à cause de ma couleur.


Aujourd'hui, je ne m'embarrasse plus de rapports de séduction et ne recherche plus de relation de type romantique mais ce n'est pas pour autant que je me suis débarassée de certains réflexes d'auto-dénigrement systématique.


Et depuis relativement peu de temps, je me trouve belle. Ça m'a fait très bizarre au début : durant les rares fois où je me trouvais belle à la fin de mon adolescence, j'avais tendance à me raviser et presque à culpabiliser d'avoir eu une idée aussi saugrenue. Du coup, j'ai dû apprendre à me débarrasser de ce sentiment de culpabilité dans mon rapport à mon propre corps, et j'y arrive plutôt bien… quand je suis chez moi.
Car à la seconde où je sors de chez moi, ma confiance aquise à la maison s'estompe quand elle ne disparaît pas totalement et mes complexes se font plus présents, plus encombrants, plus gênants.

Et j'ai toujours un peu de mal à croire les personnes qui me disent belle. Bien qu'il y a du progrès depuis mon adolescence.


En écrivant ces lignes, je me dis que je devrais peut-être commencer un travail là-dessus, au moins pour des raisons liées à mon Afro-Féminisme mais surtout pour moi, pour ne plus me voir avec des yeux encore brouillés par du racisme intériorisé, pour me voir avec mes yeux à moi, avec des yeux bienveillants, aimants, tendres et affectueux.


Je suis noire et je suis belle.

Je suis belle et géniale, qu'on se le dise.

petit-coin-de-soleil.over-blog.com


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Urielle
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