Culture & Loisirs, # |
|||
RACISME - Halloween, ses sorcières, ses bonbons, ses soirées déguisées et... ses blackfaces. Black quoi? Le mot, peu usité en France, fait référence au maquillage grotesque des comédiens anglo-saxons qui se grimaient en Noirs pour incarner des esclaves lors de leurs spectacles burlesques. Très en vogue dans l'Amérique du 19e siècle, les spectacles de blackfaces vont peu à peu disparaître à partir des années 30, pour mieux se diluer dans la culture populaire occidentale et continuer, aujourd'hui encore, de nous influencer.
Dans Dear white people, le film hautement corrosif de Justin Siemens sorti en France en 2014, on voit de jeunes et riches étudiants blancs organiser pour Halloween une soirée déguisée sur le thème du hip-hop. Enduits de fond de teint marron, perruques afro vissées sur le crâne, chaînes en or qui brillent, ils se mettent, l'alcool aidant, à personnifier les pires stéréotypes habituellement accolés aux personnes noires. Ces pratiques sont, paraît-il, courantes aux Etats-Unis. Quelques scandales bien hexagonaux nous montrent qu'en France non plus nous ne sommes pas en reste. Le blackface hexagonal se libère généralement au moment d'enfiler son déguisement de roi (ou de reine) du disco. Il lui arrive d'être plus sulfureux et de se déguiser en pseudo africain, généralement cannibale. En réalité, et même si nous n'utilisons guère ce mot-là, nous sommes depuis longtemps imprégnés de l'imagerie blackface. C'est Baba, le pirate noir de notre Astérix national, avec ses énormes lèvres rouges, son air benêt et ses phrases sans "r". C'est, dans les années 80, les biscuits Papou avec leur mascotte noire à grandes lèvres roses et petit os humain dans les cheveux. C'est, toujours dans les mêmes années 80, une émission télé de Philippe Bouvard avec un comique déguisé en roi nègre cannibale. C'est en 2014 la marque Kiabi qui commercialise des déguisements "Zulu" avec petit pagne à franges et os dans la perruque afro. L'argumentaire est pour le moins curieux: "La préhistoire est une époque lointaine, mais si vous aimez l'ambiance décalée, ce déguisement zoulou est fait pour vous!" On notera que les Zoulous, toujours bien vivants, constituent l'ethnie la plus importante d'Afrique du Sud. La marque se fendra d'un communiqué d'excuse, lui aussi étonnant: "Nous avons conscience de la maladresse réalisée dans la présentation du produit, évoquant la préhistoire. Le commentaire de présentation du produit est en cours de modification car il est effectivement maladroit et inapproprié." Aucune allusion au fait que les mannequins, blancs, qui présentent les déguisements sont recouverts de fond de teint marron. Or, comme le rappelleront fort à propos certains twittos: être Noir n'est pas un déguisement. Vraiment ? Il n'y a pas besoin d'être raciste pour porter le blackface. Au contraire. La plupart de ceux qui se déguisent en Noirs vous diront qu'ils l'ont fait pour se marrer, parce que c'était le thème de la soirée. En aucune façon ils ne pensaient à mal. Dans les magazines de mode où sont régulièrement publiées des photos de mannequins blancs -et même une fois de Beyoncé!- peints en noir, on préfère parler d'art. Je suis tout à fait prête à croire en la bonne foi des uns et des autres. Je reste tout de même surprise par l'amnésie collective qui sous-tend le recours au blackface. On ne le sait pas toujours, les spectacles de blackfaces américains furent utilisés à la fois par les abolitionnistes et par les tenants de l'esclavage pour promouvoir leurs idées. Ils avaient aux yeux des spectateurs une valeur documentaire. C'était l'occasion, notamment pour les Américains des Etats du Nord, de découvrir la "vraie" vie des esclaves noirs dans les plantations du Sud. Un peu comme nos expositions coloniales en France à la même époque devaient permettre de mieux connaître les "indigènes". Dans les deux cas, l'exhibition, la ridiculisation de l'autre renforcèrent et propagèrent les stéréotypes négatifs déjà attachés à l'Homme noir: le nègre paresseux, menteur, roublard, éternel enfant attardé, la négresse lascive et, parce que l'Afrique n'est jamais loin, des sauvages possiblement mangeurs de Blancs. Sous prétexte de le rendre accessible, on met en réalité à distance cet autre dont la présence est source de tant de peurs (ou d'un tel désir) qu'il faut le contenir par le pouvoir du masque et de la parodie. Le blackface met en jeu une autre caractéristique, toute occidentale, celle de se croire universel et partant autorisé à s'approprier, littéralement, la peau de ceux qui ne le sont pas. Quand j'étais petite fille, mes parents, hispanophiles, m'avaient acheté un déguisement de danseuse de flamenco. Il ne nous serait pas venu à l'idée, pour que je ressemble davantage à une Espagnole, de m'enduire de fond de teint blanc. Et si jamais nous nous étions lancés dans une telle entreprise, je parie fort que toutes les personnes blanches que j'aurais croisées se seraient senties offensées par ma caricature grotesque. C'est pourtant exactement ce que font ceux qui, le temps d'une soirée, d'une photo ou d'un match de foot, se travestissent en Noirs. Il est même une industrie qui le fait plus que tout le monde: c'est le cinéma. Qui a vu un western hollywoodien des années 50 se souvient des redfaces , ces Indiens joués par des acteurs blancs enduits de fond de teint cuivré. Plus près de nous, on trouve des exemples tout aussi dérangeants. En 2007, c'est Angelina Jolie qui se passe le visage au fond de teint et arbore une perruque à bouclettes noires, pour interpréter la compagne métisse de Daniel Pearl dans A mighty heart. En 2010, Gérard Depardieu arbore de ridicules frisouilles pour incarner Aexandre Dumas. Il conserve en revanche son teint rose et nulle mention n'est faite dans le film des origines noires du grand écrivain, petit-fils d'une esclave née dans l'actuelle Haïti. Une occasion une nouvelle fois ratée d'informer le grand public que ce monument du patrimoine littéraire français était métis et le revendiquait. L'année dernière, un gros scandale éclate outre-Atlantique au moment de la sortie d' Exodus de Ridley Scott. De Moïse à Ramsès, tous les rôles sont joués par des stars blanches enduites comme il se doit de fond de teint foncé. A chaque fois la justification est la même: le film n'aurait pu se monter financièrement s'il avait fallu faire appel à des acteurs issus des minorités ethniques.
On rappellera :
Egalement sur le HuffPost: Derrière l'argument économique, qui a bon dos et permet de maintenir le statu quo, me semble pointer deux non-dits inquiétants: l'idée que le Noir lorsqu'il est incarné par un Blanc devient plus acceptable pour le public occidental et que la valeur du personnage ainsi interprété s'en trouve majorée.
Dans tous les cas, j'espère que vous en serez maintenant convaincus, singer la peau de l'autre n'est jamais une bonne idée.
| |||
PARTAGEZ UN LIEN OU ECRIVEZ UN ARTICLE |
Pas d'article dans la liste.