Devenez publicateur / Créez votre blog


 

Présidentielle au Bénin: jamais sans mon féticheur

  Politique, #

Un portrait de prêtre vaudou peint avec peu de soin décore la façade du couvent. A l'intérieur trônent dans de petites cases plusieurs fétiches sur lesquels pourrissent des offrandes faites depuis plusieurs jours.

Il est midi et le bokonon (prêtre de fa et guérisseur) Dah Fagbédji Amangnibo Ehouzougbé, un peu crotté, avec un pagne ceint à la hanche, s'étire sur une natte. " Désolé de vous recevoir comme cela. Je viens de terminer les rituels du matin. Et je ne me suis pas encore lavé ", lâche-t-il désinvolte, en langue fon, à notre arrivée.

Voilà donc le plus puissant des féticheurs de Kpomassé, une commune située à 66 km de Cotonou, la capitale économique du Bénin et à l'est de Ouidah, la cité du vaudou. Il prétend être connu du Sénégal au Nigeria. " Je suis connu parce que mes recettes marchent toujours. Dans la géomancie, la science divinatoire, je suis le premier. Les plantes aussi je connais. Si tu viens chez Fagbédji, tu ressors toujours gagnant sur tes ennemis ". La voix enrouée de ce sexagénaire qui affiche 37 ans d'expérience dans les gris-gris et le fétichisme n'est pas dénuée de prétention.

Les grandes forces occultes

A l'en croire, Dah Fagbédji a le pouvoir de guérir toutes sortes de maladies, de rendre riche et même de faire gagner un candidat à une élection. Si bien qu'il est très sollicité, tout comme ses collègues, à trois semaines du premier tour de la présidentielle béninoise, le 6 mars.

 

" En cette période, j'ai beaucoup de visites ! C'est les élections, dit Dah Fâgbédji pour justifier d'avoir reporté plusieurs fois notre rendez-vous avant de finalement nous accorder une audience. Les hommes politiques ont besoin d'être accompagnés. Il faut leur préparer des amulettes, des potions magiques pour que la victoire soit de leur côté. Tout ça prend du temps. "

Pendant qu'à Cotonou, les candidats mijotent des programmes de réformes économiques et sociales tout en négociant des alliances parfois surprenantes sur l'échiquier politique béninois, pendant que s'activent les communiquants de l'agence Havas ou Voodoo, leurs représentants vont discrètement solliciter les milliers de féticheurs que compte le Bénin. " C'est ainsi à chaque échéance électorale. Mais la présidentielle, c'est autre chose. Il faut faire intervenir les grandes forces occultes, parce que les enjeux sont plus importants ", reconnaît le fils d'un bokonon à Ouidah.

 

Si la croyance populaire au Bénin veut qu'une grande personnalité ait derrière lui un puissant bokonon, poser la question aux intéressés crée une certaine gêne et peut être taxé d'impertinence. Pourquoi ? " Parce que les hommes politiques ne veulent surtout pas associer leur image à quelque chose qui, il faut le reconnaître, est rejeté par une bonne partie de l'électorat chrétien. Il ne faut pas prendre le risque ", tente de justifier un observateur de la vie politique.

 

" Mais vous pensez que le premier ministre Lionel Zinsou serait sorti sain et sauf de son accident d'hélicoptère sans l'aide d'un esprit de l'ombre ?, réagit Dansou Hounnongan, secrétaire général du Syndicat national des médecins traditionnels et assimilés du Bénin (Synametrab). Ils sont conscients du rôle qu'on joue pour eux. "

Saintes nitouches

Les politiciens jouent aux saintes nitouches. C'est un regret pour le bokonon Fagbédji retranché dans son couvent à Kpomassé : " C'est pourtant nous qui faisons le boulot. Ils nous négligent. Mais la nuit tombée, ils garent leurs véhicules luxueux pour demander des services. "

Et ça marche réellement ? " Je vous jure qu'ils ont satisfaction. Moi je peux faire gagner les gens ", insiste-t-il d'un ton sec. Pour être plus convaincant, Dah Fagbédji s'oblige à livrer une de ses recettes. " Pour faire gagner un homme politique, je dois avoir les noms des autres concurrents. Ensuite je prépare une poudre avec des feuilles, j'ai besoin de 41 musaraignes sur lesquelles je travaille en brousse pour rendre les autres détestables. A l'homme politique, je donne des amulettes qu'il doit mettre dans la poche pendant ses meetings. A chaque fois qu'il dira quelque chose, il sera toujours applaudi ", dévide, dédaigneux, le féticheur en secouant la tête.

 

La discussion est interrompue par une visite. Une femme qui a des problèmes de sorcellerie dans sa famille. " C'est un problème récurrent pour lequel aussi je suis souvent consulté ", lance-t-il pour reprendre la conversation laissée en suspens. Mais au moment de prendre congé de lui, il nous interpelle. La veille, des hommes politiques sont venus de la part d'un candidat. Ils lui ont demandé de travailler pour que " le candidat blanc " (Lionel Zinsou) échoue. " Je leur ai dit : "Moi je suis pour que le Blanc ne soit pas à la tête du pays. Si j'y arrive, pourriez-vous trouver des places à la douane béninoise pour mes deux fils qui sont au chômage ?" Ils m'ont dit qu'ils vont rendre d'abord compte à leur patron. "

Lionel Zinsou, premier ministre et candidat à la présidentielle béninoise, le 6 mars 2016 lors de son discours à la Fête des religions endogènes du Bénin, le 10 janvier 2016. Crédits : SENANEWS

Dansou Hounnongan n'est pas du même avis. Pour lui, Lionel Zinsou est le candidat qu'il faut pour que les animistes soient respectés : " Il nous aime et l'a prouvé le 10 janvier. L'autre, il nous a tout le temps évités. "

 

Ce 10 janvier se tenait à Savalou la 25 e édition de la Fête des religions endogènes du Benin. Un rendez-vous créé en 1992 par le président Nicéphore Soglo et institué en jour férié en 1998 par son successeur Mathieu Kérékou. Il est conseillé de s'y rendre quand on a des ambitions politiques nationales, un enjeu qui n'a pas échappé au premier ministre candidat Lionel Zinsou, arrivé coiffé d'un bonnet traditionnel, accompagné de plusieurs ministres : " Nos religions sont une expression de notre volonté de paix, de notre volonté de confiance des uns envers les autres (...) On ne doit pas les décrier, il faut les pratiquer, a-t-il déclaré à la tribune. Nous devons moderniser, mais préserver nos traditions. Cette fête est une fête de paix que la République honore, parce que nos cultes sont nos traditions, et pour demain, elles sont notre paix. "



Source : Le Monde.fr


PARTAGEZ UN LIEN OU ECRIVEZ UN ARTICLE

Pas de commentaire

Pas de commentaire
 
kodjo
Partagé par : kodjo@Ghana
VOIR SON BLOG 166 SUIVRE SES PUBLICATIONS LUI ECRIRE

SES STATS

166
Publications

46184
J'aime Facebook sur ses publications

1009
Commentaires sur ses publications

Devenez publicateur

Dernières Actualités

Pas d'article dans la liste.