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Quand l'Afrique s'éveille

  Société, #

Sur la terrasse ombragée de Shokola, un lounge-bar à la déco minimaliste, une clientèle jeune et décontractée, déguste des salades bio dans une ambiance zen. On pourrait se croire à Londres ou Amsterdam. Difficile d'imaginer qu'il y a seulement deux décennies, les alentours de ce joli café ont été le théâtre d'une sanglante tragédie. Dans ce quartier de Kigali, la capitale du Rwanda, résonnaient alors les cris de ceux qui étaient impitoyablement traqués et massacrés à cause d'une simple mention ethnique sur leurs cartes d'identité. Le Rwanda restera à jamais associé à ce souvenir de l'enfer : le génocide de la minorité tutsie du pays qui en trois mois seulement, en 1994, fera près d'un million de victimes.

Bien des questions demeurent sur l'avenir de ce petit Etat. Sur la réalité d'une réconciliation parfois imposée à marche forcée, comme sur la succession de l'homme fort du pays, Paul Kagame. Mais vingt ans après avoir été transformé en champs de ruines, la reconstruction du pays est impressionnante : le Rwanda affiche des scores insolents de croissance (7 % en 2014), tous ses habitants possèdent une couverture santé et près de la moitié de sa population n'a pas connu le génocide, dont les traces sont désormais souvent invisibles.

Longtemps synonyme de famines et de guerre, l'Ethiopie fait preuve d'un dynamisme tout aussi détonnant, avec une croissance de près de 7 à 11 % par an en moyenne et ambitionne de devenir un nouveau pôle mondial du textile. Ce pays de 91 millions d'habitants où le taux de pauvreté a été réduit de moitié ces dix dernières années, devrait inaugurer avant la fin de l'année les deux premières lignes de métro d'Afrique subsaharienne, dans la capitale Addis-Abeba.

A Lagos, la capitale économique du Nigeria, qui abrite la deuxième plus grande industrie cinématographique du monde, un gigantesque projet urbain, Eko Atlantique, grignote le bord de mer pour offrir la vitrine d'un "Dubaï de l'Afrique" dans un pays qui compte plus d'une vingtaine de milliardaires.

En Afrique du Sud, le plus grand centre commercial au monde, Mall of Africa, devrait voir le jour en avril 2016, sur un terrain de 115 000 m 2, situé entre Johannesburg et Pretoria, afin de satisfaire l'appétit de consommation d'une classe moyenne qui, malgré la persistance d'inégalités sociales criantes, a vu son pouvoir d'achat augmenter de 30 % ces huit dernières années.

Les vents du changement

Cette fièvre consumériste comme cette surenchère de projets pharaoniques restent un mirage inaccessible pour une large majorité d'Africains. Mais la persistance de taux de croissance élevés (autour de 5 à 6 % en moyenne depuis le début des années 2000), qui résistent même aux crises financières mondiales, change l'image du continent et aiguise les appétits d'investisseurs qui, bien sûr, ne sont pas des philanthropes. Reste à déterminer si c'est une bonne nouvelle ou une énième illusion, après des décennies d'exploitation cynique, d'aide au développement inefficace et de programmes d'ajustements structurels rigides qui ont surtout contribué à démanteler les services publics avec des effets catastrophiques, comme l'a prouvé la propagation fulgurante de l'épidémie d'Ebola en 2014.

Dans le tourbillon de la jeunesse

"L'Afrique présente toujours l'image d'un monde en devenir", soupirait un rien désabusé, en 1988, le grand écrivain d'origine indienne V.S. Naipaul. Mais aujourd'hui, le continent noir semble parfois sauter les étapes pour s'arrimer à la modernité. Des milliers d'Africains qui n'ont jamais connu le téléphone fixe sont ainsi entrés dans la mondialisation, en passant directement au téléphone portable et à Internet. Au Kenya, Internet a ainsi connu un boom, avec une hausse de 9 700 % des utilisateurs entre 2000 et 2013, ce qui a incité à la mise en place d'un système innovant de paiement d'achats par SMS, le M-Pesa ( pesa signifie "argent" en swahili), grâce auquel près de 14 millions d'euros s'échangent par an. Désormais, l'Afrique est le deuxième marché mondial des télécommunications avec 735 millions d'usagers.

A la vitesse d'un film en accéléré, l'urbanisation étend également ses tentacules, cinquante villes du continent dépassant déjà le million d'habitants. Elles abritent une classe moyenne, elle aussi en plein essor, qui pourrait représenter 130 millions de ménages d'ici cinq ans, sur le plus jeune continent du monde. Plus de la moitié des Africains, en effet, ont aujourd'hui moins de 20 ans et la population du continent devrait doubler au cours des deux prochaines décennies. Avec ses 2 milliards d'habitants, l'Afrique représentera alors un quart de la population mondiale.

D'Abidjan à Libreville, de Dakar à Kigali, Nairobi ou Kinshasa, on retrouve partout la même vitalité d'une jeunesse débrouillarde et bouillonnante. Mais elle est aussi inquiète et parfois révoltée, alors que les fruits de la croissance restent insuffisamment partagés. "Ne nous voilons pas la face : la désespérance de la jeunesse est une bombe à retardement en Afrique", déclarait en février le ministre des Finances du Sénégal, Amadou Ba, évoquant "la menace de graves révoltes sociales alors que 11 millions de personnes arrivent chaque année sur le marché de l'emploi". Les success stories des nouveaux riches ne doivent pas faire oublier que 60 % des ménages africains vivent encore sous le seuil de la pauvreté la plus absolue et que le continent compte plus de 17 millions de réfugiés et de déplacés internes.

Le côté obscur de la force

Car, en Afrique, les conflits s'enracinent et propagent leurs métastases dans les pays voisins. Malgré l'intervention militaire française, le Mali et la Centrafrique restent des zones d'instabilité préoccupantes. Au Nigeria, la secte intégriste Boko Haram qui avait enlevé plus de 200 lycéennes à Chibouk en avril 2014, continue de sévir et devient même une menace pour toute la région. Sur la face orientale du continent, ce sont les shebab islamistes installés en Somalie qui recrutent au Kenya voisin et y ciblent en priorité les signes apparents de cette modernité tant vantée ; de l'attaque du centre commercial de Westgate à Nairobi en 2013, jusqu'à celle de l'université de Garissa le 2 avril, où l'on dénombrera 145 morts.

Un terrorisme qui révèle aussi la fragilité d'Etats, jugés corrompus ou illégitimes. Les printemps arabes avaient fait espérer par ricochets un grand souffle de renouveau politique au sud du Sahara. En réalité, les régimes autoritaires ont mieux résisté que prévu, malgré quelques alternances inattendues, comme au Sénégal en 2012, ou encore au Burkina Faso en 2014.

Moins d'un an plus tard, la transition démocratique était d'ailleurs à nouveau menacé dans ce pays, avec une tentative de coup d'Etat qui a finalement échoué fin septembre. Non pas grâce à la médiation ratée des pays de la région mais parce qu'une partie de la force militaire s'est opposée aux putschistes. Deux mois auparavant, le président du Burundi, Pierre Nkurunziza, réussissait, lui, à faire valider sa réélection pour un troisième mandat, pourtant contesté par la rue et désapprouvé par les pays de la région, en gardant justement le contrôle des forces armées qui tirent à balles réelles sur les manifestants. Même dans les pays qui ont connu l'alternance politique, un certain désenchantement s'esquisse parfois, comme à Dakar ou à Abidjan, alors qu'ailleurs, et notamment à Libreville, le statut quo politique continue à s'imposer.

Reste que l'Afrique donne parfois l'exemple : les dictateurs peuvent se croire encore éternels en Erythrée ou au Zimbabwe, ils feraient bien de regarder ce qui se passe du côté de Dakar où la justice sénégalaise est la première au monde à juger un ancien chef d'Etat étranger sans recourir aux mécanismes des tribunaux internationaux. En s'exilant au Sénégal, le Tchadien Hissène Habré pensait échapper à son passé, il s'est trompé. Le pire n'est donc jamais certain.



Source : www.liberation.fr


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