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Qui a peur qu'une afro devienne Présidente au Brésil ?

  Politique, #

 

La fulgurante ascension de Marina Silva dans les sondages, après la mort du candidat socialiste Eduardo Campos, a fait d'elle la favorite de l'élection présidentielle au Brésil (les deux tours sont fixés au 5 et au 26 octobre). Le Parti socialiste brésilien (PSB) l'a désignée. D'aucuns voient chez elle un Obama brésilien, d'autres un Lula en jupes.

Les adversaires et les médias font feu de tout bois pour empêcher sa victoire. Certains arguments sont répétés inlassablement, en dépit de leur inanité. Le premier vise à contester sa compétence, sous prétexte qu'elle n'a jamais gouverné un État fédéré ni administré une municipalité. Or, aucun des trois derniers présidents n'étaient passés par là : pas plus Fernando Henrique Cardoso (1995-2002), que Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010) ou Dilma Rousseff.

Cette dernière, en outre, n'avait jamais brigué un mandat électif avant d'avoir été choisie par Lula pour lui succéder. En revanche, la carrière politique de Marina Silva a franchi tous les " échelons " : de conseillère municipale à député de son Etat natal, Acre (Amazonie), puis députée fédérale, sénatrice, ministre de l'environnement de Lula pendant cinq ans, enfin candidate à la présidentielle de 2010, où sa percée a surpris (20 % des voix au premier tour).

Le procès de la compétence

Le discours de la compétence fait partie de l'argumentaire traditionnel de l'élite brésilienne, qui a été jadis opposé à Lula. Il est donc regrettable de le voir maintenant repris par le Parti des travailleurs (PT, gauche), paniqué par les sondages, après avoir été déboussolé par la fronde sociale de 2013. Le favoritisme de Marina Silva et du PSB, des dissidents de la coalition gouvernementale de centre gauche, embarrasse le PT. Après douze ans au pouvoir, Marina Silva incarne l'aspiration de 80 % des Brésiliens au changement, tandis que le PT se retrouve dans la position des conservateurs, à la défensive, réticent à modifier quoi que ce soit.

 

Parmi les arguments de mauvais aloi utilisés par Dilma Rousseff, comparer sa challenger à des outsiders fantasques qui n'ont pas complété leur mandat, comme Janio Quadros (1961) ou Fernando Collor de Mello (1990-1992), est particulièrement malvenu. En effet, Collor, obligé de renoncer par la rue à cause de la corruption galopante, est devenu un fidèle allié de Lula.

Il vaut mieux discuter du programme économique du PSB, à condition d'admettre que le consensus entre les trois principaux candidats (Dilma, Marina et le social-démocrate Aécio Neves) est plus large que les correctifs apportés à une gestion n'ayant pas obtenu les résultats escomptés. Aucun de ces trois candidats ne conteste les programmes sociaux, ils rivalisent de promesses pour faire mieux et davantage.

En fait, la principale objection contre Marina Silva est sa foi religieuse, son appartenance à une église évangélique, l'Assemblée de Dieu. Ce rejet vient à la fois des élites et du PT (dont la direction, après douze ans aux affaires, a largement intégré les classes dirigeantes). Or, tout le monde fait la chasse aux voix des électeurs évangéliques. Dilma Rousseff s'est précipitée à l'inauguration du nouveau Temple de Salomon, censé être la réplique exacte de celui de Jérusalem, bâti par l'Église universelle du royaume de Dieu à São Paulo. La présidente, agnostique, a cru bon de citer un psaume : " Heureuse la nation dont l'Eternel est le Dieu ". Et il ne faut pas oublier que Lula est parvenu à se faire élire, en 2002, après trois échecs, grâce à son alliance avec le vice-président José Alencar, dont le parti rassemblait une partie appréciable de l'électorat évangélique.

Ambivalence catholique

La polémique révèle l'ambivalence de l'opinion catholique, toujours dominante au Brésil (64 %), mais sérieusement rongée par la progression des églises protestantes (22 %). Lorsque le général Ernesto Geisel était devenu président (1974-1979) personne n'avait osé contester sa foi protestante, d'autant que la dictature militaire veillait encore au grain. Il s'est même trouvé à l'époque un non-conformiste, le cinéaste Glauber Rocha, pour miser sur sa politique d'ouverture justement parce que le général était protestant.

 

Toute l'histoire du Brésil, depuis la colonisation jusqu'à la République en passant par l'Empire, a été marquée par des calamités et des horreurs bénies par la Sainte Mère Église, Catholique, Apostolique et Romaine. Cette position hégémonique explique en partie l'explosion des églises réformées, au-delà du protestantisme historique, importé d'Europe ou des États-Unis.

Les nouveaux mouvements religieux sont largement des créations autochtones, brésiliennes. Certaines d'entre elles sont d'ailleurs devenues multinationales, comme si la créativité du Brésil en ce domaine avait rencontré la soif de nouvelles croyances dans d'autres régions du monde. En tout cas, mêmes les dénominations les plus importantes, comme l'Universal ou l'Assemblée de Dieu, sont une nébuleuse d'églises locales, au développement horizontal plus que vertical, sans véritable hiérarchie ni allégeance.

Sillonner le Brésil c'est découvrir une multitude d'appellations les unes à côté des autres, fondées par des pasteurs autoproclamés, établis sans autorisation et parfois sans formation. La diversité est la règle. Contrairement au dogme encore en vigueur chez les catholiques ou les orthodoxes, il n'y a pas une idéologie évangélique uniforme, homogène. Il y a des évangéliques, au pluriel, aussi différents que les autres Brésiliens.

Si les évangéliques ont progressé au détriment du catholicisme c'est parce que l'Église romaine a déserté les terrains les plus vulnérables, en dépit de l'option préférentielle pour les pauvres prônée par la théologie de la libération. Les évangéliques créent du lien dans des milieux sociaux défavorisées, déchirés, où les pères sont irresponsables ou absents, dont les enfants et les jeunes sont élevés par des mères isolées, des tantes ou des grands-mères. Sur ces lieux en proie aux gangs et aux violences, des pasteurs créent un sentiment d'appartenance à une communauté, ils revendiquent leur place dans une société qui les ignore ou les méprise.

La plasticité de la foi

Ceux que les préjugés catholiques ou laïcs obnubilent devraient prendre la mesure du phénomène et sa complexité. La religion est le grand sujet du Brésil, disait le regretté documentariste Eduardo Coutinho. La religiosité populaire chez les Brésiliens est aussi prégnante si ce n'est plus qu'aux États-Unis. Il y a une plasticité de la foi qui ne se résume pas au syncrétisme connu des anthropologues. Le dynamisme démographique, social et territorial, se traduit par des évolutions culturelles et spirituelles notables. Les Brésiliens ne sont pas seulement en mouvement, ils sont des mutants, leur métamorphose n'est jamais finie. Cela explique sans doute le paradoxe d'un peuple à la fois conservateur et tolérant, en matière de mœurs ou mentalités.

 

Certes, il y a des évangéliques qui sont candidats au nom de leur foi, plusieurs d'entre eux sont pasteurs, l'un est même candidat à la présidence, Pastor Everaldo (Parti social-chrétien). Comme chez les catholiques, il y a des profiteurs, des manipulateurs, des marchands du temple, qui utilisent la religion comme marche-pied pour une carrière politique. Ainsi, ils sont nombreux au Congrès, ils forment un lobby, des chaînes de télévision leur servent de relais.

Mais ce n'est pas une raison pour stigmatiser les fidèles, pour traiter les croyants comme un seul bloc. Tirer un trait d'égalité entre Marina Silva et les pasteurs conservateurs relève de l'amalgame. Marina s'est construite elle-même, au prix d'un effort incessant, sans oublier sa lutte contre les maladies. Alphabétisée à 16 ans, elle a poussé ses études jusqu'à une licence en histoire. Elle a enseigné d'ailleurs. Son oratoire singulière est le fruit de ces expériences de formation, où les bonnes sœurs ont joué un rôle.

S'il y a des traces de messianisme dans son discours, il est décelable aussi chez Lula et il caractérise la gauche depuis ses origines. Marina a fait ses classes dans le syndicalisme de Chico Mendes, l'icône de l'Amazonie, dont elle incarne l'héritage. Ensuite, elle a migré, physiquement et spirituellement, elle bouge, elle évolue. En somme, une histoire typiquement brésilienne. Voilà pourquoi elle a de bonnes chances de représenter un maximum d'électeurs dans les urnes.



Source : america-latina.blog.lemonde.fr


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