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Raoul Peck : "Mon film raconte la mainmise de l'homme blanc sur le pouvoir occidental"

  Société

 

TéléObs. Pourquoi avoir choisi un titre aussi provocateur que "Je ne suis pas votre nègre" ? Pourquoi rendre hommage à James Baldwin, une figure littéraire de la lutte pour les droits civiques des Afro-Américains peu connue en France ?

Raoul Peck . Pour faire réagir, bien sûr ! C'est une phrase que disait James Baldwin, dont l'œuvre est au cœur du film, en vous regardant droit dans les yeux. En signe de défi.

 

- Il est un peu oublié en France, oui, alors même qu'il a vécu une grande partie de sa vie ici, entre 1948 et 1957. Moi, je l'ai découvert très tôt, après avoir passé le bac. Et il m'a aidé toute mon existence. Je pouvais me tourner vers lui pour comprendre ma place d'homme noir dans le monde. Il y a un peu plus de dix ans, je me suis rendu compte qu'il était temps que sa parole revienne au premier plan de manière à aider la génération actuelle.

Comment avez-vous procédé ?

Mon film, appuyé sur ses travaux, raconte la mainmise de l'homme blanc sur l'histoire.

- J'ai écrit à la famille Baldwin. Ils m'ont demandé de venir les voir à Washington, et Gloria, la jeune sœur de Baldwin, m'a donné accès à toutes ses archives dont ce manuscrit de 30 pages, ébauche d'un livre que Baldwin n'a jamais eu le temps de terminer. Il devait traiter du destin de trois hommes qui avaient été ses amis et qui ont tous été assassinés : Malcolm X, Martin Luther King et Medgar Evers, un autre activiste. A travers ces trois hommes, Baldwin voulait raconter l'histoire de l'Amérique.

Vous traitez sur le même plan deux personnalités que l'on a longtemps opposées : Martin Luther King et Malcolm X... © Jean-Yves Lacôte pour TéléObs Comment avez-vous gardé cette intransigeance alors même que vous êtes un cinéaste installé, patron de la Fémis, l'une des principales institutions du cinéma français...

Mon film est donc l'histoire de leur amitié, de leur militance, de leurs confrontations, puis de leur convergence politique. Mon travail a été d'achever en images ce livre sur l'Amérique qu'il n'a pas pu écrire, en piochant dans toute son œuvre.

- A tort. Les deux hommes se sont beaucoup rapprochés à la fin de leur vie en se retrouvant sur le même constat : la question raciale aux Etats-Unis est un problème de classe, pas de couleur de peau. Le fond du problème, c'est le mode de fonctionnement du capitalisme, cette recherche du profit au-dessus de tout. Et l'une des méthodes de l'élite blanche pour le conserver est d'activer la question raciale. En réalité, "blanc" est juste une métaphore pour "pouvoir". Martin Luther King et Malcolm X l'avaient compris. Or, à partir du moment où ils critiquaient les fondements mêmes du système, ils devenaient dangereux. Le pouvoir, qui les surveillait et donc avait les moyens de les protéger, n'a rien fait pour empêcher leur assassinat. Le système s'est débarrassé d'eux comme de l'ensemble du leadership noir. Depuis, on a construit des monuments pour King, établi une fête à son nom, gommé ses discours les plus radicaux pour mieux l'enterrer vivant ! Quant à Malcolm X, on lui a donné l'image du méchant et rejeté en bloc son enseignement. A travers Baldwin, j'ai essayé de remettre les pendules à l'heure.

Comment Baldwin aurait-il jugé Obama dont le bilan, en termes d'amélioration de la cause des Noirs, est très faible ?

- Regardez les films que j'ai faits ! Je ne fais des films que par conviction. Jamais pour l'argent. Je déplore cette époque d'aujourd'hui où la confusion des convictions est totale. On croit par exemple au changement climatique mais on met sur le même plan ceux qui pensent qu'il n'existe pas. On écoute autant l'universitaire qui a travaillé toute sa vie sur le sujet que votre concierge qui prend tout cela pour des balivernes. On en est là.

 

Vous êtes plutôt indulgent envers son action...

Dans cette ambiance, la seule chose qui peut vous sauver est de revenir aux fondamentaux, à ceux qui ont déconstruit le monde capitaliste. Ce n'est pas pour rien que les deux films que j'ai terminés cette année sont sur Baldwin et le jeune Karl Marx. Ce sont mes deux piliers intellectuels et politiques.

Vous êtes déçu ?

- Un jour, on lui a posé la question : quand est-ce que l'Amérique élira un président noir ? Il avait répondu : la vraie question, ce n'est pas quand il y aura un président noir mais de quel pays il sera le président. Or les Etats-Unis n'ont pas fondamentalement changé. Obama est une anomalie. Il en a eu conscience tout de suite. Il savait qu'il n'avait pas été élu parce qu'il était noir mais parce qu'il tenait un discours qui donnait espoir, au-delà de sa couleur de peau. Et il s'est vite rendu compte qu'il avait les mains liées sur la question raciale. S'il l'avait jouée, il aurait été laminé. Ce que l'on voit monter actuellement avec Trump serait sorti beaucoup plus tôt.

 

- J'ai exercé des responsabilités politiques. Je sais combien le politique est fragile : s'il n'y a pas de mobilisation derrière, il est obligé de composer avec différents intérêts. Le seul vrai appui qu'Obama aurait pu avoir, c'est une poussée de la base. Mais, et c'est le reproche que je fais à la gauche américaine, une fois que les soutiens d'Obama ont glissé leurs bulletins de vote dans l'urne, tout le monde est rentré chez soi au lieu de continuer à mettre la pression. Obama aurait eu chaque semaine 500 000 personnes dans les rues, il aurait passé ses réformes de société beaucoup plus facilement.

Votre film a pourtant été sélectionné pour les Oscars alors même qu'il contient une critique acerbe du traitement de la question noire par Hollywood...

- Bon, de toute façon, un Noir radical façon Trump ne serait pas passé. Le Sud aurait pris les armes. Mais Obama, en tant que membre de cette bourgeoisie noire bien élevée, bien éduquée, ça passait bien même si cela ne change pas le pays effectivement.

 

Et en France, comment jugez-vous la place des minorités au cinéma et à la télévision ?

Les Etats-Unis continuent de vivre dans le déni. Tant qu'on ne reconnaît pas que ce pays s'est construit sur deux génocides et qu'il entretient un rêve qui n'est un rêve que pour une minorité bourgeoise, rien ne changera. C'est le message de Baldwin.

- Oui, je rappelle en effet que Baldwin avait déconstruit la fabrication du personnage noir par Hollywood. Dès l'âge de 6 ou 7 ans, il s'était rendu compte que personne ne lui ressemblait sur les écrans. Il estimait que le cinéma américain a toujours entretenu cette idéologie raciste en créant cette image du bon Noir poli et gentil façon Sidney Poitier.

Même vous, vous en souffrez ?

- Les artistes noirs et arabes qui sont arrivés le doivent à leur travail acharné. Mais on ne leur a pas facilité la tâche. Personnellement, il a fallu des années avant que je ne voie, dans les équipes de tournages, des assistants chef opérateur, des ingénieurs du son issus des minorités. D'ailleurs, ils ne sont encore aujourd'hui qu'une petite poignée. Et je ne parle même pas des acteurs et des actrices.

 

A tous les échelons, on est en retard en France. On donne maintenant quelques récompenses aux minorités aux César, oui. Mais il n'y a eu aucun changement structurel et légal capable de modifier les choses en termes de production par exemple.

Comment l'obtenir ?

- Moi-même, je suis toujours obligé d'aller devant ce jeune Blanc de 30 ou 40 ans qui dirige le studio. J'ai trente minutes de rendez-vous. Pendant vingt minutes, je dois lui démontrer qui est James Baldwin. J'ai ensuite cinq minutes pour lui dire pourquoi cet auteur est important pour moi et ensuite cinq dernières minutes pour "pitcher" mon film.

 

Ça ne peut pas marcher ! C'est pareil pour les femmes, c'est pareil pour les gays. Tant que la personne décisionnaire ne vient pas aussi de ces communautés, rien ne changera. Il faut un partage du pouvoir.

Propos recueillis par Olivier Toscer "Je ne suis pas votre nègre", de Raoul Peck, mardi, à 20h50, sur Arte. A lire : "Chronique d'un pays natal", de James Baldwin (Gallimard, 1973).

- Il faut instituer des quotas. Les responsables politiques ont peur du mot. Mais, malheureusement, c'est la seule chose qui a marché partout ailleurs. Il faut rattraper le temps perdu, rattraper les inégalités très clairement identifiées. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne l'ont fait et il y a des résultats. En France, on ne peut pas montrer de résultats.

 

Vous savez, c'est très facile quand on a une vie agréable, quand on a accès à des logements normaux, aux meilleures écoles de la République, de s'opposer aux quotas. Mais c'est inadmissible. Cela veut dire qu'on ne veut pas réellement le changement.

Repères
1963.
Naissance à Port-au-Prince (Haïti).
1995. Ministre de la Culture d'Haïti.
2000. Sortie du film "Lumumba".
Depuis 2010. Président de la Fémis (Ecole nationale supérieure des Métiers de l'Image et du Son).



Source : Teleobs


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