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Soly Cissé : " Ma peinture est une lutte "

  Culture & Loisirs, #

C'est dans un atelier improvisé dans un couloir de l'Institut Robert-Merle d'Aubigné, à Valenton (Val-de-Marne), qu'on rencontre le peintre sénégalais Soly Cissé. L'artiste âgé de 46 ans, qui s'est fait amputé d'une jambe suite à une infection nosocomiale contractée à Dakar, y est en rééducation avant l'installation d'une prothèse. Pas question pour lui de s'apitoyer sur son sort. Pas question non plus de baisser les bras ni la garde. Alors même que son corps est plus contraint, le plasticien s'est épanoui, mieux bonifié. Pendant les six mois passés dans différents hôpitaux, il n'a pas chômé, préparant des œuvres pour une double exposition organisée du 1er au 12 juin à Ellia Art Gallery, puis du 14 au 30 juin au cloître des Billettes, à Paris, sous le commissariat d'Olivier Sultan. Cette force intranquille, qui souffre de " trop comprendre le monde ", est devenue en peu de temps la coqueluche du personnel médical. Regard intense et sourire sardonique, Soly Cissé évoque aussi bien son basculement artistique que le plafond de verre dont souffrent les artistes africains restés sur le continent.

Bien qu'immobilisé, vous n'avez cessé de travailler. Quel est votre moteur ?

Soly Cissé C'est plus fort que moi. La peinture, c'est mon refuge. J'ai commencé à peindre sur des carnets. J'en ai quarante, que je compte présenter dans des coffrets noirs. Comme la boîte noire de l'avion, ça renseigne sur qui je suis. Je suis malade depuis six ans, depuis que j'ai eu 40 ans. C'est un âge important pour les musulmans. Le prophète a eu sa révélation à 40 ans. C'est un moment de passage, où les choses sortent.

Avez-vous connu une " bascule " artistique ces six dernières années ?

J'ai plus de maturité technique, mais je me sens plus libre aussi. Je suis un produit de l'école des beaux- arts de Dakar, qui forme à être conventionnel, à ne pas sortir du moule académique. J'avais peur de franchir les limites. Il m'a fallu désapprendre, me défaire des contraintes et m'imposer.

Vous avez toujours critiqué les clichés identitaires. Que ressentez-vous devant les replis identitaires aussi bien en Afrique qu'en Europe ?

"Rituels et sacrifices" de Soly Cissé. Crédits : Courtesy Olivier Sultan

Mes personnages n'appartiennent pas à une culture bien définie. J'essaye de créer un monde de métissage où les cultures se frottent et se valorisent entre elles. Je montre l'homme d'aujourd'hui, ouvert, qui consomme d'autres réalités. Ma peinture n'est pas identitaire, je n'essaie pas de " représenter " l'Afrique. C'est loin de mes soucis. Il y a des reflets de ma culture, c'est bien sûr inévitable. Mais j'essaie d'éviter de séduire ou de traiter de sujets faciles. Ma peinture est une lutte.

Contre quoi ?

Contre un public qui façonne le créateur. Les gens veulent que les Africains peignent des baobabs et des porteuses d'eau, des gens misérables. Il y a encore un esprit colonialiste. J'ai un problème avec ceux qui monopolisent l'art contemporain africain en imposant leur sensibilité sans faire de recherches. Ce qui les intéresse, ce sont les artistes de marchés locaux qui font de l'artisanat. Notre destin est entre les mains de gens qui ont de l'argent et qui décident du sort des artistes. Mais qu'ont-ils apporté de plus ces dernières années en dehors d'enrichir leurs collections ? Les artistes sont fautifs aussi. Ils se sont laissés piéger par la négritude, en pensant que pour réussir il fallait sentir le visage de l'Africain. Il faut que ça cesse.

Vous pensez que les canons esthétiques sont déterminés par les étrangers et non par les Africains ?

Oui, et nous en sommes responsables. Il n'y a pas de réelle politique culturelle. Le Sénégal a pourtant été l'un des rares pays d'Afrique à avoir un festival mondial des arts nègres. On a eu un président poète qui a exposé Picasso à Dakar. Senghor disait que la culture était au début et à la fin d'un développement. C'est avec la culture qu'on peut conquérir le monde. Mais cet esprit n'a pas survécu avec son successeur Abdou Diouf.

Il y a néanmoins la Biennale d'art contemporain de Dakar.

La première édition en 1992 était intéressante, internationale. Mais au fur et à mesure, les organisateurs ont réduit le champ, ils ont africanisé et ghettoïsé la biennale.

Votre œuvre est-elle aussi en colère que vous l'êtes ?

Je suis activiste dans ma peinture, mais j'ai différents degrés d'énervement. Ma peinture est encore timide dans son énervement, elle n'est pas encore en transe. Mais je ne veux pas tomber dans l'art politique que pratiquent beaucoup d'artistes. Ils exploitent la politique tout en étant exploitée par elle.

Dans vos collages récents vous associez à vos personnages des éléments de l' histoire de l'art occidental glanés dans les revues. Est-ce une façon de s'inscrire dans une histoire, ou de la relativiser ?

Je prends les images des magazines d'art pour leurs couleurs et je dessine dessus pour imposer mon univers. C'est une manière de figurer sur ces pages, dans cette histoire. Nous avons nous aussi le droit de figurer dans ces revues. Regardez le CV de certains artistes africains : ils ont fait énormément de choses, et pourtant leur carrière plafonne. Ils ne sont pas traités comme n'importe quel autre artiste. Ils sont supposés ne pas vendre cher, ne pas vivre à Paris.

Pourquoi n'avez-vous pas migré ?

Je veux montrer qu'on peut être un bon artiste et rester en Afrique. Et puis, tant que je ne suis pas considéré en Occident, je me sens mieux en Afrique.

Solly Cissé, " Spirits in the Wind ", du 1 er au 12 juin, Ellia Art Gallery, 9, rue Christine, 75006 Paris, et du 14 au 30 juin au cloître des Billettes, 24, rue des Archives, 75004 Paris.



Source : Le Monde.fr


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