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" Songhaï est un projet de nouvelle société africaine "

  Société, #

Il a du charisme, et une sacrée histoire. Le prêtre dominicain Godfrey Nzamujo voit le jour en 1949 à Kano, au Nigeria, dans une famille d'anciens esclaves revenus d'Amérique. A 25 ans, il file d'ailleurs en Californie étudier l'économie, l'ingénierie électrique, l'informatique et la microbiologie. Puis, en 1985, établit le premier centre Songhaï à Porto Novo, capitale du Bénin, en compagnie d'un " groupe d'Africains et d'amis de l'Afrique ". Songhaï, c'est le puissant empire qui, au XVe siècle, couvrait le long du fleuve Niger les surfaces du Mali, du Niger et d'une partie du Nigeria actuels. Il instaure là, au Bénin, une agriculture reproduisant les cycles naturels et des formations gratuites pour les Béninois. En Afrique, les résultats de son centre et de ceux qu'il a essaimés, relèvent du miracle, à la fois dans la formation et la production agricole. " Quand je suis arrivé ici, rien ne poussait ", se souvient-il en regardant par les fenêtres de son bureau les grands arbres qui jalonnent les vingt-deux hectares du centre Songhaï.

La philosophie Songhaï, en deux mots ?

Nous partons du constat scientifique que tout est connecté. Or un monde systémique comme le nôtre appelle des solutions systémiques, qui traitent la racine des problèmes et pas seulement ses symptômes. Nous sommes au début de la troisième révolution industrielle, après la première (machine à vapeur et charbon) et la deuxième (électricité et pétrole).

 

Aujourd'hui, notre civilisation a une faiblesse : elle repose sur une énergie fossile, centralisée, élitiste et qui détruit l' environnement. Certains pays prospèrent et d'autres pas, car le cœur du développement, c'est l'énergie. Ce que nous disons, c'est que celle-ci doit être exploitée et distribuée partout : chaque individu, chaque village, chaque zone doivent être des pôles d'action et d'invention reliés entre eux. Ce ne sont plus le président, le ministre et le député qui décident : c'est large, inclusif. Nous apprenons l'autonomie à nos élèves : ils sont au volant, mais opèrent en équipe pour être plus forts. Les technologies que vous voyez ici découlent de cette vision : elles renversent l'entropie par le recyclage, qui permet de produire plus avec moins.

C'est donc de l'agroécologie ?

De biomimétisme, plutôt. Le mode d' emploi que l'agriculture industrielle utilise est mauvais, car il n'est pas conforme aux mécanismes de la nature. Nous en avons trouvé un autre, qui évite de casser la " machine " Terre.

Avez-vous tâtonné pour mettre en œuvre vos idées ?

S'agissant de certains détails, comme le choix des espèces végétales et animales les plus appropriées, oui. Mais globalement, j'avais tout en tête dès le départ. Il y a trente ans, j'ai vu que le capital environnemental de l'Afrique était énorme. Et je me suis demandé pourquoi un continent aussi riche était tellement pauvre. La réponse, c'est qu'une équation économique et sociale qui ne lui convient pas lui a été imposée.

Par les colons ?

Oui. Ils ne venaient pas pour développer le continent, mais pour amasser ses trésors. Ils ne venaient pas pour que les habitants se prennent en charge, mais pour les embarquer et en faire ce qu'ils voulaient. Pour justifier leur comportement, ils ont échafaudé des théories racistes selon lesquelles les autochtones étaient des sous-humains. Et ils ont établi une économie et une société extractives.

 

Si un chef d'Etat commençait à déranger cette mentalité, ils le renversaient et installaient des fantoches, même après l'indépendance. D'où l'instabilité de l'Afrique. Dans ce système colonial et élitiste, les Africains n'ont plus le droit de décider. Les Français ont coupé la tête de leur roi, fait la révolution, proclamé la liberté, l'égalité et la fraternité, mais en Afrique, ils ont placé de petits monarques pires que Louis XVI.

Partout en Afrique, le pouvoir politique se confond avec le pouvoir économique. Tout est fait pour maintenir l'oligarchie. Pour que l'Afrique ne se développe pas, on a créé une structure de non-développement extractive au sein de laquelle l'énergie humaine et l'économie ne peuvent se libérer.

La démarche de Songhaï est donc surtout politique ?

Certains cadres du ministère de l'agriculture perpétuaient la mentalité extractive des colons : ils la défendaient farouchement car elle coïncidait avec leurs intérêts

Oui. Nous sommes un espace politique, au sens noble du mot : créer le bien commun. Songhaï est un laboratoire qui, parce qu'il fonctionne, gêne ce modèle extractif. Nous montrons la voie : un projet de nouvelle société africaine, un cadre concret autorisant l'homme à produire lui-même suffisamment de richesse pour subvenir à ses besoins. Changer légèrement de couleur, comme on peut le voir en France quand on passe d'un parti politique à un autre, ne nous intéresse pas. Pour nous, la transformation doit être radicale.

Comment fonctionne la gouvernance des centres Songhaï ?

Tout le monde est représenté dans les instances de l'ONG Songhaï - l'assemblée générale, le conseil d'administration et le think-tank. Les membres se réunissent deux ou trois fois par an pour définir le programme. On met en place des commissions, on vote, puis, dans chaque département, des personnes tenues par un mandat impératif doivent exécuter les décisions collectives. Si elles ne les respectent pas, elles " sautent ". Tout repose sur l'obligation de rendre des comptes : tous les vendredis, elles présentent leurs actions à tout le monde.

Les autres centres sont-ils indépendants par rapport à celui de Porto Novo ?

Chacun consulte le centre régional, d'où il reçoit des orientations. Au bout de quatre ans, un centre est supposé être autonome. Chaque site s'adapte à sa zone géographique. Par exemple, ceux du nord du Bénin cultivent davantage de céréales et de tubercules, tandis que ceux du sud investissent dans la production maraîchère et halieutique ainsi que dans l'agro- industrie. Ainsi, le sud, fortement peuplé, devient un marché pour le nord. Et le sud vend ses poissons, ses bananes ou ses ananas au nord.

 

Alors ce n'est pas dans l'intérêt des dirigeants africains de reprendre les principes de Songhaï : cela leur enlèverait du pouvoir !

Exactement. Quand tu as le pouvoir, tu ne veux pas être dérangé. Mais nous avons avancé : Songhaï devient un projet régional, soutenu par les Nations unies. Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, est venu ici, de même que son prédécesseur Kofi Annan et de nombreux dirigeants africains.

En 1985, auriez-vous réussi à vous implanter ici sans le soutien du gouvernement béninois marxiste-léniniste qui vous avait fourni une parcelle d'un hectare ?

J'ai eu de la chance : en tant que jeune professeur d'origine nigériane et de nationalité américaine, j'étais une curiosité. Le président Kérékou a rapidement vu que nous faisions quelque chose et que nous étions simples, et il nous a protégés, de même que les gouvernements suivants qui percevaient la qualité de notre travail.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

La liste est sans fin. Tout d'abord, l'état d'esprit. Certaines personnes ici voyaient le projet ainsi : " Les Blancs amènent l'argent et on se partage le gâteau ". Je leur ai dit : " Non, c'est votre projet, et le gâteau, il faut le préparer vous-même ". Et quand nous avons obtenu des résultats, nous avons suscité des jalousies.

 

Certains cadres du ministère de l'agriculture perpétuaient la mentalité extractive des colons : ils la défendaient farouchement car elle coïncidait avec leurs intérêts. Ils voulaient nous détruire. Ils nous accusaient de subversion, d'espionnage, et je leur répondais que je ne pouvais pas en faire avec des cochons et des poulets (rires). Nous avions réalisé une newsletter, et des cadres l'ont communiquée au gouvernement pour nous dénoncer. Et j'ai dit : " Mais quelqu'un sait-il lire l'anglais ici ? Nous faisons de la publicité pour le Bénin ! Nous montrons un autre visage, positif, de l'Afrique. Vous devriez nous payer, Monsieur le président ! " Aujourd'hui, Songhaï est un objet de fierté. Ceux qui s'y opposent se taisent ou s'en vont.



Source : www.lemonde.fr


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