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Soweto côté town chic

  Mode & Beauté, #

Sur une scène improvisée, des mannequins perchés sur de hauts talons instables piaillent et se bousculent dans un défilé désorganisé. Mais l'amateurisme de la répétition ne semble pas miner leur enthousiasme. La Soweto Fashion Week vient de se tenir pour la cinquième année consécutive dans la plus célèbre banlieue noire d'Afrique du Sud. L'objectif n'était pas de rivaliser avec Paris ou Milan, mais de changer l'image du township et d'offrir une plateforme aux jeunes designers qui s'y multiplient. "Il y a beaucoup de créativité à Soweto, dit Loyiso Nxumalo, 24 ans, fondateur de Kasified, une marque de streetwear qui fait ses premiers pas sur les podiums. Mais il y a peu d'endroits pour nous faire connaître."

Depuis la fin de l'apartheid, Soweto a changé. Sur ces 150 km 2 (soit une fois et demi la taille de Paris), des quartiers plus aisés ont vu le jour, avec leur succession de petites villas. Le week-end, les nouveaux riches friment au volant de leur grosse cylindrée. Des centres commerciaux sont sortis de terre, où une classe moyenne noire émergente se laisse aller à la nouvelle frénésie consumériste. Ils jouxtent des agglutinements de cabanes insalubres en tôle ondulée qui servent d'habitat à des milliers de familles venues, pleines d'espoir, chercher un emploi à Johannesburg, la capitale économique du pays. L'Afrique du Sud n'est pas à une contradiction près.

"Tenues de gentleman"

Dans cet environnement en mutation, les amoureux de la mode osent sortir des carcans, font tomber des barrières, et se laissent emporter par un vent de dynamisme qui souffle sur les rues où l'on manifestait autrefois contre le régime raciste. Dans un minuscule studio situé à l'arrière de sa maison familiale, Floyd Avenue s'active sur sa machine à coudre. Ce jeune styliste a fait partie du collectif des Smarteez qui, il y a quelques années, a entraîné une petite révolution du style à Soweto. Avec leurs créations, mélanges de tissus originaux, de couleurs et d'accessoires déjantés, ils ont attiré l'attention des médias internationaux et encouragé d'autres designers à se lancer. "On a commencé en customisant de vieux vêtements, rappelle Floyd. On voulait remettre en question la sobriété des codes habituels, s'exprimer en affirmant notre individualité." Les Smarteez n'existent plus en tant que collectif, mais Floyd continue son bout de chemin. Le trentenaire a mûri. Ses collections ont été présentées cette année à la South African Fashion Week, à Johannesburg, où il a remporté le prix du magazine GQ pour la meilleure collection masculine. Des vêtements "pratiques, élégants, des tenues de gentleman". Depuis quelques mois, les commandes se multiplient et il espère pouvoir bientôt ouvrir sa première boutique. A Soweto.

"Je suis un bosseur, dit-il, comme pour pallier ses airs de dilettante. J'ai passé beaucoup de nuits blanches. Et je vais encore devoir fournir énormément d'efforts." Pour un gamin noir né dans une banlieue pauvre d'une Afrique du Sud en pleine transition, ce succès est plus qu'une fierté, c'est une affirmation. La génération "born free" (née libre), qui n'a pas connu l'oppression de l'apartheid, jouit d'opportunités que leurs parents n'auraient pu espérer. Des jeunes éduqués, ambitieux, souvent en recherche d'identité mais avec plein de projets et l'intention de les réaliser. "Là où nos aînés se battaient pour leurs droits, nous avons le droit de poursuivre nos rêves", dit le créateur.

Kronic Nhleko, des Boys of Soweto, qui se sont fait connaître sur Facebook et Instagram. P hoto Graeme Williams. VU

La mère de Bobo Ndima, un autre enfant de Soweto, a mis du temps à comprendre le choix de son fils, lorsqu'il a quitté son confortable poste de fonctionnaire pour se lancer dans la mode. "Tu veux habiller des gens ? Ils ne sont pas capables de s'habiller eux-mêmes ?" lui lança-t-elle. Le jeune homme est le premier de sa famille à avoir obtenu un diplôme universitaire. Mais il en fallait plus pour démonter le styliste en herbe, passionné de fringues depuis l'adolescence. Avec quatre amis, il a formé il y a cinq ans un petit groupe éclectique de dandies, Boys of Soweto. Un peu de vintage, une bonne dose de coolitude et un soupçon d'anticonformisme : avec leurs styles créés sur mesure, ils se prennent en photo. Et enflamment Facebook et Instagram. "L'idée est de déconstruire les clichés. Même dans un environnement brut, de belles choses, des histoires positives peuvent émerger", dit Bobo. L'élégance tranquille au milieu du ghetto. Un concept qui rappelle l'attitude des sapeurs congolais. Mais les Boys of Soweto sont aussi des entrepreneurs. Ils ont collaboré avec des designers internationaux, dont la marque britannique Ben Sherman, et porté les mythiques chaussures Palladium lorsque l'enseigne a voulu pénétrer le marché sud-africain. Aujourd'hui, ces trentenaires veulent créer leur propre collection.

"C'est dans la rue que l'on puise notre inspiration", dit Mbali Bangwayo, membre du collectif et avocat de profession. Il évoque la recherche d'un équilibre entre la connaissance de ses racines et l'exploration d'autres horizons. "On nous a appris à regarder vers l'Europe ou les Etats-Unis, comme si c'était l'unique modèle à suivre. Mais nous avons réalisé que l'inspiration est aussi autour de nous. Nous intégrons du streetwear et des éléments africains à nos tenues", explique-t-il, rappelant que Louis Vuitton a récemment réalisé une collection avec des couvertures traditionnelles du Lesotho, ce petit pays montagneux enclavé dans l'Afrique du Sud.

Nœud pap

"Ce n'est pas facile de se faire une place. Il y a environ trois millions de personnes à Soweto, mais le marché reste limité, constate Wandile Zondo, 33 ans, créateur de Thesis, une marque qui a sa propre petite boutique dans le township et s'est fait connaître par ses chapeaux colorés. Ce n'est pas seulement une question d'argent. Quand ils peuvent dépenser, les gens préfèrent les marques internationales, les chaînes... Mais c'est en train d'évoluer. On voit des personnes qui avaient quitté le township pour vivre dans les anciennes banlieues blanches, qui reviennent, soit parce qu'elles s'y sentent mieux, soit parce qu'elles veulent contribuer au développement." Un constat qui va de pair avec une volonté de plus en plus affichée de rendre sa dignité à l'ancien ghetto. "Nous voulons montrer d'où nous venons avec fierté, mettre en avant le positif", dit Justice Mukheli, sourire charmeur, barbichette et dreadlocks attachées sur le haut de la tête. Le jeune homme est un des membres de I See a different you, un quatuor qui tente aussi de casser les stéréotypes sur les townships, et sur l'Afrique en général. Sur leur blog lancé en 2011, alors qu'ils avaient à peine 20 ans, ces experts en style se mettent en scène en nœud pap et baskets branchées dans des lieux décalés, urbains ou ruraux, souvent très pauvres, au cours d'une longue exploration qui les a emmenés jusqu'au Ghana, au Sénégal et au Kenya. "Nous voulons véhiculer une image du continent qui n'est pas misérabiliste. L'Afrique telle que nous la percevons ", dit Justice. Des marques comme Levi's, Diesel ou Visa, ont fait appel à eux pour des campagnes publicitaires. Au début, les jeunes hommes se sont amusés. Innocent Mukheli, le frère jumeau de Justice : "On a mis de l'argent de côté, réinvesti dans de nouveaux projets et finalement créé notre propre boîte de pub."

Ces jeunes issus de familles modestes vantent "l'esprit d'initiative" qui règne aujourd'hui à Soweto, mais se plaignent de "l'accès limité aux financements pour se lancer". "Dans un pays où 80 % de la population est noire, la majorité des publicités sont encore imaginées par des Blancs", fait remarquer Neo Mashigo, le manager de I See a different you. Avec leur attitude décomplexée, les hipsters de Soweto comptent poser leur empreinte et faire du melting-pot du township où ils ont émergé une marque de fabrique.

Patricia Huon Correspondance à Johannesburg



Source : Libération.fr


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