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Théâtre - Gustave Akakpo : "Raconter la capacité à lier du bois au bois"

  Culture & Loisirs, #

 

Pour Gustave Akakpo, le théâtre s'impose avec les balles des militaires sur le campus de l'université de Lomé, où il étudie le droit. Nous sommes en 1998, et le général Eyadéma vient d'être réélu lors d'un scrutin contesté par l'opposition. Gustave a 20 ans. Au milieu de la répression qui cause des centaines de morts, le jeune homme reçoit une nouvelle qui met l'écriture dramatique au centre de sa vie : sa candidature pour les bourses d'écriture offertes par l'association Beaumarchais est retenue. On lui propose une résidence d'écriture à la Maison des auteurs de Limoges, attachée aux Francophonies en Limousin, festival qui accueillera en septembre prochain la nouvelle pièce de Gustave Akakpo, Si tu sors je sors, mise en scène et écrite avec le comédien et metteur en scène Marc Agbedjidji. Un spectacle consacré à l'histoire du commerce des pagnes au Togo, dont on pourra entendre la lecture le 19 juillet à Avignon dans le cadre de " Ça va, ça va, le monde ! ", cycle de lectures organisé chaque année par la Radio France Internationale pendant le festival.

Drôles de catharsis

Depuis son premier séjour à Limoges, Gustave s'est construit une carrière de comédien et a écrit une quinzaine de pièces, dont la plupart sont publiées chez Lansman. Sans être située dans un contexte géographique précis, la première, Catharsis, écrite en 1999, porte les traces de la violence dont l'auteur a été témoin au Togo. D'un humour noir, aussi, lequel traverse l'ensemble de son oeuvre. Allégorie d'une Afrique saignée à vif par l'Occident et les dictatures, ce texte est peuplé de personnages mi-monstrueux mi-grotesques. Une reine mère y trône sur un charnier après avoir participé au massacre des siens. À ses côtés, un " photographe-cameraman-réalisateur " obsédé par " le blé, l'oseille, le flouze, le maïs, les sous ". Un gardien de l'Oracle à la bouche remplie d'insultes...

Avec son théâtre d'après la catastrophe, Gustave Akakpo fait rire du pire. " J'écris avec l'optimisme d'un pessimiste ", dit-il. En cela, il se place dans la filiation de Kossi Efoui et Kangni Alem, qui, dans les années 1990, ont marqué l'émergence des compagnies de théâtre privé au Togo, grâce à la liberté d'association récemment acquise. " J'étais adolescent et pratiquais déjà le théâtre en amateur. Très politique, l'écriture de Kossi Efoui, Kangni Alem, Sénouvo Agbota Zinsou et de nombreux autres auteurs m'a ouvert des horizons. " Des trajectoires pour un théâtre qu'il envisage comme une pierre lancée sur ce qui dort. Sans violence, mais avec assez d'énergie pour " faire bouger les mentalités trop renfermées sur elles-mêmes ". Trop racistes. Trop misogynes ou simplement trop paresseuses.

 

Ambassadeur de nulle part

Bien qu'installé en France depuis 2005, après de nombreux allers-retours entre la France et le Togo, Gustave Akakpo ne cesse de faire voyager son théâtre. " Écrire du théâtre, pour moi, c'est avant tout une manière d'aller à la rencontre. De me décentrer. " Depuis son séjour à la Maison des auteurs de Limoges, il multiplie alors les résidences d'écriture. Habbat Alep (Lansman, 2006) voit le jour pendant une résidence à Damas et à Alep, en Syrie. Tulle, le jour d'après (Lansman, 2012) est écrit dans la ville éponyme, en Corrèze. Gustave Akakpo apprécie aussi les voyages immobiles. Depuis que le metteur en scène Balazs Gera lui a proposé d'imaginer une suite aux Suppliantes d'Eschyle, il se sent, par exemple, en résidence chez le poète tragique grec. Dans sa langue si éloignée de la sienne. Ou, plutôt, des siennes.

Métissée et empreinte d'oralité, l'écriture de Gustave Akakpo se transforme d'une pièce à l'autre. À partir des faits réels qui l'inspirent, Gustave assemble les mots comme bon lui semble. Sans chercher à se forger un style. Sans s'enfermer dans une identité définie d'avance. " Je ne suis pas un ambassadeur de l'Afrique. Enfant déjà, mes références allaient des contes de ma grand-mère aux super-héros de Marvel. Comme le dit Cheikh Hamidou Kane dans L'Aventure ambiguë, j'ai envie de raconter dans mes pièces la capacité à lier du bois au bois ". Autrement dit, à dépasser les clivages culturels hérités de la période coloniale. Sensible dans chacune de ses pièces, ce parti pris est le sujet principal de Chiche l'Afrique (Lansman, 2011), dont Gustave a lui-même incarné tous les personnages. À savoir " le gratin des présidents africains : Omar Bongo, Houphouët-Boigny, Paul Biya, Charles Taylor, Charles de Gaulle, Jacques Foccart ".

Foot, chiffons et politique

Si tu sors, je sors est traversée par le même désir de " faire un pas de côté par rapport aux idées reçues ". " Marqueur d'une des identités africaines, le pagne est fabriqué en Hollande. J'ai voulu mettre en avant ce paradoxe, et interroger ce qu'il peut révéler. On jauge l'Afrique à l'aune de l'authenticité, et l'Occident à celle de la créativité. Quand ces grilles bougeront-elles enfin ? " interroge l'auteur. Comme Catharsis, La mère trop tôt (Lansman, 2004) et À petites pierres (Lansman, 2007), cette pièce prend le Togo comme point de départ d'une réflexion sur les rapports économiques et politiques entre Afrique et Europe.

D'où l'intérêt suscité par le théâtre de Gustave chez des metteurs en scène de tous horizons. Chez le Togolais Marc Agbedjidji. Chez les Français François Rancillac, Jean-Claude Berutti et Thomas Matalou. Chez Cédric Brossard, aussi, qui reprend pendant le Festival d'Avignon son Arrêt sur image, créé lors de la précédente édition des Francophonies en Limousin. Monologue d'un passeur qui aurait préféré dépenser son énergie sur un terrain de foot plutôt qu'au bord de la Méditerranée avec des candidats à l'immigration clandestine, cette pièce dit toute la complexité de l'écriture nomade de Gustave Akakpo. Ses pieds de nez aux stéréotypes. À la pensée binaire. Et il n'a pas fini de nous faire voyager. Avec le comédien Kader Lassina Touré, qui incarne le passeur d' Arrêt sur image, Gustave se penchera à partir de septembre prochain sur l'histoire du chemin de fer du Burkina Faso. Tout en poursuivant sa " résidence " chez Eschyle.



Source : Le Point Afrique


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