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Thomas Sankara, l'âme de fond de la révolution, la renaissance AFRICAINE ...

  Société, #

C'est une tombe enfin "libérée". Celle d'un mort, dont le seul nom suffit, encoreaujourd'hui, à galvaniser les foules africaines et bien plus encore celles de son pays natal, le Burkina Faso. Le soulèvement populaire qui a embrasé pendant la dernière semaine d'octobre ce petit Etat d'Afrique de l'Ouest, balayant le régime en place, a aussi permis de libérer l'accès au cimetière de Dagnoe, gardé depuis plusieurs décennies par des militaires armés. Lesquels en interdisaient l'entrée sans laissez-passer officiel, à l'exception d'un seul jour dans l'année. Début novembre, ils ont discrètement disparu.

Un leader contre "l'Occident repu"

Ce vaste cimetière aux tombes éparses, isolé à la périphérie de Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, abrite celle de Thomas Sankara, le "Che Guevara africain". Un leader singulier, charismatique et visionnaire rendu célèbre par ses projets en faveur de l'autosuffisance nationale et ses discours audacieux. Comme celui à la tribune des Nations unies, en octobre 1984, lorsqu'il n'avait pas hésité, avec une politesse malicieuse, à affirmer aux grands de ce monde que son tout petit pays souhaitait "risquer de nouvelles voies pour être plus heureux" et ne plus être "l'arrière-monde de l'Occident repu". Le rêve était peut-être utopique ou idéaliste, il fut en tout cas vite brisé. Jeune capitaine de l'armée burkinabée, Sankara a pris le pouvoir à 34 ans, en 1984. Moins de quatre ans plus tard, le 15 octobre 1987, il sera renversé et assassiné. Son tombeur n'est autre que son plus proche collaborateur, son frère d'armes, son ami : Blaise Compaoré. Celui-ci devient alors l'homme fort du pays, à sa tête durant vingt-sept ans, avant que les manifestants de Ouagadougou ne le contraignent, le 31 octobre, à une fuite peu glorieuse.

Au Burkina Faso, personne ne s'attendait à ce coup d'Etat, et personne n'a oublié la stupeur qui a saisi le pays à ce moment-là. Puis le silence s'est imposé, pour longtemps. Jeune rappeur engagé sous le nom de scène de Basic Soul, Souleymane Ouedraogo a composé en 2003 une chanson intitulée Capitaine. Immédiatement interdite de diffusion car elle évoquait Thomas Sankara. D'autres artistes, comme Smockey ou Sams'K Le Jah, s'y sont également risqués, avant de subir eux aussi la censure du régime.

Le pays des hommes rebelles

On les retrouve tous, un matin de novembre, dans une banlieue misérable, à l'autre extrémité de la capitale. Le long d'une route défoncée, parsemée d'ordures au milieu desquelles broutent des chèvres, s'égrène une série de petites boutiques aux façades d'un beige triste. Avec quelques camarades, Souleymane, Smockey et Sam sont venus présenter leurs condoléances à la famille d'une des victimes des journées d'insurrection fin octobre. Abdul Moubarak Belem était un jeune plombier de 18 ans, il n'a jamais connu Sankara. Une balle en pleine tête a mis un terme à sa courte existence lors des manifestations qui ont forcé Compaoré à quitter le pouvoir. Sa famille a retrouvé son corps à la morgue. "On ne peut imaginer à quel point la mort d'un être créé un vide. Nos mots ne suffiront pas", s'excuse presque Sam devant le père d'Abdul, digne vieil homme en gandoura (tunique sans manches), qui écoute en silence, le regard sombre. Avant de prendre la parole à son tour : "Mon fils est un vrai citoyen. Il a donné sa vie pour le Burkina Faso", souligne-t-il avec une fierté tremblante. "La patrie ou la mort" : le fameux slogan de Sankara, refrain de l'hymne national, n'a visiblement rien perdu de son actualité.

Héros ostracisé

Zinaba est assis devant un "plat de riz-sauce" à la cantine du syndicat des journalistes - un centre de presse, baptisé "Norbert-Zongo" en hommage à ce journaliste assassiné le 13 décembre 1998, presque autant adulé que Thomas Sankara. Son meurtre - vaguement maquillé en accident de voiture - alors qu'il enquêtait sur l'assassinat du chauffeur de François Compaoré, le redoutable frère du Président, avait embrasé le pays, menaçant une première fois de faire tomber le régime. Contraint de lâcher du lest, le tombeur de Sankara accepte alors de modifier la Constitution pour limiter son maintien au pouvoir à deux mandats de cinq ans. C'est cette disposition qu'il a tenté de changer il y a trois semaines pour se représenter en 2015, entraînant sa chute brutale sous la pression de la rue.

C'est aussi en 1998 que Compaoré lève partiellement le tabou qui pesait sur Sankara, subitement élevé officiellement au rang des "héros de la révolution". Mais du bout des lèvres et en tant que héros "parmi d'autres". Des gestes cosmétiques qui n'ont pas réussi à banaliser la figure du leader assassiné : "Pour les jeunes d'aujourd'hui, même ceux qui ne l'ont pas connu, Sankara reste l'homme politique qui les captive le plus. Depuis sa mort, il n'y avait plus d'horizon pour la jeunesse de ce pays", explique Zinaba.

2012, le "déclic" de l'insurrection

Comme Smockey, Sams'K Le Jah ou encore Souleymane, alias Basic Soul, le jeune étudiant en philosophie est l'un des militants les plus actifs du "Balai citoyen". Ce mouvement de désobéissance civile a été créé il y a un peu plus d'un an avec l'objectif de "balayer" le régime Compaoré, en commençant par l'empêcher de se représenter. Il se revendique ouvertement de l'héritage de Thomas Sankara. Pendant les récentes manifestations, ses membres se sont retrouvés en première ligne. Mais si la mobilisation a réussi à chasser aussi rapidement l'homme fort du pays, réputé indétrônable, c'est également parce que le terrain avait été préparé à l'avance.

Il ne cache pas sa fierté à l'évocation de cette organisation prérévolutionnaire : "Quand le moment est venu d'empêcher les députés de voter la réforme constitutionnelle pour permettre à Blaise de se représenter, tout le monde était prêt pour l'épreuve de force." Il y eut certes des moments de flottement. "Quand j'ai vu le dispositif militaire déployé dans la ville ce 30 octobre, le jour prévu pour le vote, je me suis dit : "Waouh, c'est gâté !" reconnaît-il. Mais les jeunes étaient déterminés, ils m'ont dit : "On y va, on passe en force." Et c'est comme ça qu'on a pris d'assaut l'Assemblée et empêché le vote. Le lendemain, Blaise quittait le pays." Tout est allé si vite que personne n'a anticipé la suite. Les lendemains de révolution sont souvent difficiles à gérer, même dans un pays qui se réclame d'un héros sacrifié.

"Nous resterons une sentinelle"

Au bout d'une route de latérite rouge, le siège de ce parti est un véritable petit musée en l'honneur du héros disparu : dès l'entrée, on tombe sur un grand buste coloré de Sankara, et de multiples portraits ornés de slogans révolutionnaires un peu désuets décorent les salles vétustes. Plutôt populaire, cette formation est néanmoins restée marginale en raison de ses incessantes divisions.

Dès lors, au lendemain du départ de Blaise Compaoré, la scène politique locale semble dominée par des partis d'opposition "libéraux" ou de droite qui ont suivi, plus qu'ils n'ont anticipé, la colère de la rue. Aux premiers jours de novembre, on pouvait voir leurs leaders errer dans les halls d'un hôtel de luxe, lors des premières tractations pour la transition : silhouettes en costume-cravate, imposantes et assurées, qui semblaient encore marquées par la posture d'anciens ministres de Compaoré que ces hommes ont souvent été avant de rompre soudain avec le pouvoir.

Que restera-t-il de cette révolution d'octobre inspirée par Sankara ? A Ouagadougou, les vautours ont disparu. Les "vrais", ceux qui pendant des années ont déployé leurs lourdes ailes au-dessus du marché central, ne sont plus visibles depuis longtemps. Selon une rumeur persistante, ils auraient été mangés par une population affamée. Les autres - ceux qui accaparaient les richesses du pays - sont depuis peu partis en exil. Mais certains anciens dignitaires du régime restent dans l'ombre. Comme le général Gilbert Diendéré, ancien chef d'état-major particulier de Compaoré, accusé d'avoir envoyé ses hommes assassiner Sankara ce fameux jour d'octobre 1987 qui hante le pays. Toute l'armée était aux ordres de Compaoré. Fallait-il pour autant l'exclure de la nouvelle ère ? Certains ont pu reprocher au Balai citoyen d'avoir cautionné la prise du pouvoir par les militaires au lendemain de l'insurrection. "Face au vide du pouvoir, on risquait le chaos ! C'est pour cette raison que nous sommes allés trouver les militaires, pour leur dire de prendre leurs responsabilités en se démarquant de Compaoré et en assurant le retour de la sécurité", se défend M e Kam, qui trouve cependant "gênant" le maintien du général Diendéré à l'état-major.

"Un goût d'inachevé"

Mais au pays des hommes rebelles, il y a d'autres adversaires tapis dans l'ombre. A commencer par cette survivance archaïque : le Parti communiste révolutionnaire voltaïque, ouvertement stalinien, a été créé dans la clandestinité sous la colonisation. Officiellement, personne ne connaît ses membres ni même ses dirigeants. Pourtant, les très puissants syndicats burkinabés lui obéissent aveuglément. C'est pour cette raison qu'ils ont loupé le coche de la révolution, restant singulièrement absents lors de ces journées historiques au cours desquelles le destin du pays a basculé. "Ils ont conclu un pacte avec Blaise. Ils menaient leurs luttes mais sans réellement remettre en cause le régime, au nom d'une "vraie alternative" toujours en attente. Désormais, ils tentent de saper la réputation du Balai citoyen", assure Zinaba.



Source : www.liberation.fr


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