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Une poignée de jeunes pour réconcilier le Congo-Kinshasa et le Rwanda

  Société, #

Sur les rives du lac Kivu, douze jeunes Rwandais et Congolais se sont rassemblés fin novembre 2015dans un but : se faire entendre par les autorités pour améliorer la situation économique des jeunes au Rwanda et en République démocratique du Congo (RDC) et, à terme, tourner la page de vingt ans de guerre dans la région des Grands-Lacs.

Le lac Kivu scintille sous le soleil de Goma, malgré la saison des pluies. Ce lac, " un des plus beaux endroits du monde ", selon Séverine Losembe et Baptiste Raymond. Cette Congolaise de 23 ans et ce Français de 27 ans sont en plein Dialogue rwando-congolais, une initiative qu'ils ont crééeen janvier 2015entre Paris, New York et Goma. Avec l'intime conviction que la paix passe par les jeunes et leur intégration à l'économie régionale.

Ils ont réuni douze jeunes membres de la société civile - étudiants ou militants, et souvent les deux - afin qu'ils élaborent des recommandations sur les sujets qui les touchent le plus. Le rapport final sera remis directement aux autorités lundi 15 février.

Les participants se sont réunis à Goma, la grande ville de l'Est et capitale de la province du Nord-Kivu, frontalière du Rwanda. Une frontière poreuse, un espace d'échanges intenses dans lesquels le Rwanda voisin est omniprésent.

Conflits chroniques aux relents ethniques

" Ici, l'économie fleurit de part et d'autre de la frontière, Rwandais et Congolais la traversent tous les jours, pour voir de la famille ou faire des affaires, en dépit de tout ce qui s'est passé ", décrit Séverine, qui a grandi à Kinshasa avant d'émigrer aux Etats-Unis, où elle est devenue avocate. Mais les obstacles restent réels, notamment pour les jeunes, et la pauvreté tenace. Car la région des Grands-Lacs - et l'est du Congo en particulier, à la frontière avec le Rwanda, le Burundi et l' Ouganda - est ravagée par la guerre, la pauvreté, et de fortes tensions ethniques depuis plus de vingt ans.

Et vingt ans après le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, les relations entre la RDC et le Rwanda sont difficiles. Dans l'est de la RDC et en particulier au Nord-Kivu, jusqu'à une cinquantaine de groupes armés pullulent et s'affrontent pour contrôler les ressources minières dans des conflits chroniques aux relents ethniques financés par le trafic d'ivoire, d'or et de bois, selon le Programme de l' environnement de l'ONU. Parmi ces groupes armés, certains sont soutenus par le Rwanda (et l'Ouganda), à l'instar du Mouvement du 23 mars (M23), rébellion à dominante tutsi, vaincue fin 2013 par l' armée congolaise appuyée par la mission de l'ONU, après un an et demi de guérilla.

Ou encore des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), milice hutu rwandaise qui commet régulièrement des massacres de civils dans l'Est congolais et dont plusieurs membres sont recherchés par la justice internationale pour leur participation présumée au génocide. A cela s'ajoutent des incursions de militaires rwandais en territoire congolais dont les raisons restent troubles, comme en avril 2015, à 120 km de Goma, en plein parc des Virunga, une réserve naturelle riche en ressources.

" Des métiers qui n'existent pas ! "

L'est du Congo est une poudrière où " toutes les théories sur l'Etat, l'économie, l'éducation, la politique sont mises à l'épreuve de la réalité, qui dépasse souvent l'imagination ", disent Baptiste et Séverine. Lorsqu'ils s'y sont rendus la première fois, en 2010, l'ambiance était différente, " il y avait une atmosphère de guerre, des armes partout ". A l'époque, ils sont encore étudiants. Ils se rencontrent sur les bancs de l'université américaine Columbia, à New York, et se rendent à Goma pour une mission de conseil auprès du ministère de l'environnement congolais. Ils décident d'y monter un projet. Aujourd'hui, l'air est moins électrique à Goma qu'en 2010. Le Dialogue rwando-congolais a changé son orientation après de longues conversations avec des jeunes, étudiants et activistes, de la région : l'économie.

Chômage, éducation, égalité homme-femme. Autant de sujets sur lesquels ont planché pendant plusieurs mois ces six Rwandais et six Congolais, autant d'hommes que de femmes, pour trouver des solutions simples et concrètes aux problèmes économiques des jeunes de la région. Au fil des discussions se dessinent, en creux, les inquiétudes de ces jeunes dont le quotidien est empoisonné par des conflits nés avant eux. " Après le génocide, il est très important de rapprocher les jeunes des deux ethnies, estime Furaha Hakizimana, participante Rwandaise de 27 ans. Nous vivons avec de fortes tensions, car beaucoup pensent que les parents des uns sont responsables du sort des parents des autres. "

Séance de travail du Dialogue rwando-congolais à Goma, en République démocratique du Congo. Crédits : Séverine Losembe

Le groupe a choisi de formuler trois recommandations sur chacun des sujets suivants : l'intégration économique des femmes, l'entreprenariat et l'éducation. La recommandation qui tient le plus à cœur à Lionel Katindi, 28 ans, participant congolais originaire de Goma, a trait à l'éducation : " Dans la région, les universités forment beaucoup de juristes, de sociologues... des formations généralistes pour des métiers qui n'existent que peu ou pas ici ! ", estime Séverine. Lionel, lui-même assistant en droit à l'Université libre des pays des Grands-Lacs, explique qu'ils ont donc " recommandé au gouvernement de développer les formations techniques et professionnelles avec lesquelles il est plus facile de trouver un travail ". Il s'inquiète également du climat des affaires, qu'il voudrait voir s'améliorer " pour permettre aux jeunes de se lancer dans l'entreprenariat sans être surtaxés ". Pour cela, il croit que la création d'incubateurs de start-up et d'une banque de développement qui donnerait accès à des financements aux jeunes pourrait contribuer à changer la donne.

" Futurs leaders "

Car, dans la région, l'instabilité politique pèse beaucoup sur l'économie et le climat des affaires, et contribue à entretenir le paradoxe congolais : malgré une croissance de plus de 9 % en 2014, selon le FMI, et d'immenses ressources naturelles, 82 % de Congolais vivent sous le seuil depauvreté absolue (1,25 dollar par jour et par personne), un taux parmi les plus élevés du monde.

Mais comment s'assurer que ces propositions ne restent pas lettre morte ? Car les ONG abondent dans la région, avec plus ou moins d'efficacité. " On a ressenti l'ambiguïté de certaines ONG, qui ont de bonnes intentions mais font parfois plus de mal que de bien en développant une culture de l'assistanat ", juge Baptiste, qui travaille comme consultant à Paris. C'est pourquoi il dit avoir voulu monter " quelque chose de longuement mûri ". " Il y a beaucoup d'initiatives dans la région ", reconnaît Furaha, elle-même fondatrice d'une ONG qui veut promouvoir la paix dans la région par le biais des médias. " Ce qui est particulier pour le Dialogue rwando-congolais est d'associer des jeunes des deux pays et de mettre l'accent sur l'entreprenariat des jeunes, de nous former, c'est plutôt rare ", affirme cette militante rwandaise. Pour permettre au projet d'avoir un impact, les organisateurs ont misé sur le format des recommandations : " Concises, spécifiques, compréhensibles. En tout, ça tiendra sur une page recto verso, affirme Séverine. Cela permet de nous assurer qu'elles seront lues, contrairement aux rapports qui font parfois des dizaines ou des centaines de pages... Ensuite nous les envoyons directement aux destinataires - les organisations internationales, les autorités locales et nationales des deux pays - et nous assurons qu'elles arrivent bien. " 

Pour cela, ils font jouer leur réseau. Le gouverneur du Nord-Kivu, Julien Paluku, par exemple, est venu faire le discours d'ouverture et a promis qu'il prendrait en compte leurs recommandations. Lors de son intervention, les jeunes ont été particulièrement frappés par le parallèle qu'il a établi entre la situation rwando-congolaise et celle de la France et de l' Allemagne après la seconde guerre mondiale. L'économie avait joué un rôle moteur dans le rapprochement des deux pays et la reconstruction de la paix. Ces jeunes Rwandais et ces Congolais ne risquent pas, en tout cas, d'oublier la promesse de Julien Paluku.

" Même si l'Etat est défaillant, ils en attendent beaucoup ", glisse l'un des organisateurs. Au-delà de l'efficacité des recommandations, le Dialogue mise aussi sur les liens personnels entre les jeunes rassemblés pour bâtir un réseau de " futurs leaders ". " Le premier jour, Rwandais et Congolais n'osaient pas trop se parler, note Séverine. Mais, après le premier dîner c'était parti : on s'ajoutait sur Facebook, on prenait des photos. " On oubliait, le temps d'un selfie, les années de conflits.

André Petit



Source : Le Monde.fr


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