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VIDEO. "Ça commence le jour où on découvre qu'on est noir"

  Société, #

 

Dans son documentaire Ouvrir la voix, la réalisatrice et militante Amandine Gay donne la parole aux femmes noires de France. Interview.

Installée à Montréal depuis un an, la documentariste Amandine Gay, donne dans son film Ouvrir La Voix, la parole à 24 femmes qui racontent leur identité de "femme" et de "noire" en France. Dans ce film saisissant, elles évoquent leurs parcours de vies, mais aussi leur lot quotidien de clichés et de discriminations. L'Express a rencontré Amandine Gay, de passage à Paris.

Quelle est l'origine de votre démarche?

Ce film commence avec la fin de ma carrière de comédienne. J'en avais assez des rôles stéréotypés qu'on me proposait: droguée, prostituée, migrante, fille qui sort de prison; marre qu'on me demande de prendre l'accent africain ou antillais. J'ai commencé à écrire des scénarios. J'avais envie mettre en scène d'autres personnages, mais j'ai très vite rencontré des obstacles à la production, le refus de financement du CNC (Centre national de la cinématographie)...

Le film part de mon expérience personnelle. Ça commence le jour où on découvre qu'on est noir, jusqu'à celui où on décide, ou pas, de quitter la France, en passant par la discrimination à l'orientation scolaire, ou les fantasmes sur la femme exotique.

La question sociale apparaît peu dans votre film, pourquoi?

On confond souvent capital culturel -le niveau d'études, et capital économique. Les filles à l'écran ont pour la plupart fait des études, mais elles n'ont pas de capital économique. Beaucoup viennent de banlieue.

© Amandine Gay - Ouvrir la voix

 

Une vraie fille noire, selon l'image véhiculée par les médias, c'est celle de Bande de filles. Pour moi, les vraies filles noires sont comme moi et mes amies: elles ne disent pas tout le temps "ouech ouech", n'ont pas forcément eu une histoire dramatique. Elles sont de milieu populaire, mais beaucoup ont fait des études. Des filles qui ont du mal à avancer dans la vie non pas faute d'études, mais souvent parce qu'elles sont noires.

 

Comment remédier à cela?

J'aimerais qu'il y ait des statistiques ethniques en France. On découvrirait qu'avoir un job mal payé et vivre en banlieue n'est pas nécessairement lié à un manque d'éducation. Pendant mes études à Sciences-Po, je faisais de la mise en rayon dans les supermarchés, la nuit. Comme moi, la plupart de ceux qui faisaient ce job étaient des jeunes des minorités, tous étudiants.

Je suis aussi favorable aux quotas. Si tout repose sur la bonne volonté, les choses n'avancent pas.

Ces problèmes ont-il influé sur votre décision de quitter la France?

Oui. J'ai mis trois ans à réaliser ce documentaire. Sans soutien du CNC, j'ai dû faire appel au financement participatif, une solution très précaire.

Je désire réaliser des fictions. J'ai en tête l'histoire de trois soeurs qui se retrouvent après la mort de leur mère. Trois soeurs noires. En France, on me dira que c'est un film de Noirs et je n'obtiendrai pas de financement. J'ai pourtant passé ma vie à m'identifier à des personnages blancs à l'écran ! Je sais que cela finira par changer, mais je n'ai pas la patience d'attendre. J'ai 32 ans, je veux faire des films maintenant.

Je suis partie là où j'ai une chance que mes films soient produits. Là où on ne questionne pas constamment mon point de vue de femme noire.

En quoi la situation est-elle différente au Canada?

Dans des pays anglo-saxons, en Angleterre et en Australie, où j'ai vécu, et au Canada, dès lors que vous payez vos impôts, vous faites partie du pays. Dans les pays multiculturels, ce qu'ici on appelle "communautarisme" n'existe pas. Se regrouper avec des gens de sa communauté n'est pas mal vu.

Ici, pas question d'aborder la question raciale comme concept de sciences sociales. On nous dit que "la race, ça n'existe pas". Mais il ne s'agit pas de la définition du XVIIIe siècle, celle qui établit une hiérarchie entre humains. Dans le monde anglo-saxon, le terme 'race' est utilisé pour sa dimension sociale.

© Amandine Gay - Ouvrir la voix

 

J'ai entamé une recherche en sociologie sur les adoptés trans-raciaux et transnationaux adultes. En France, le terme "transracial" aurait posé problème et je n'aurais sans doute pas pu mener ce travail. Au Canada, on n'a pas débattu du bien-fondé de mon sujet, mais seulement de la manière dont j'allais le traiter.

 

J'ai longtemps souscrit au modèle français de la méritocratie, du "quand on veut, on peut". J'ai étudié à Sciences-Po. Je pensais pouvoir bénéficier de l'ascenseur social. Et à la fin, je dois travailler comme serveuse parce qu'on ne m'engage pas dans la rédaction d'un journal, que je n'arrive pas à gagner pas ma vie.

La France ne réalise pas combien les discriminations lui coûtent. Le Canada récolte une multitude de jeunes racisés formés ici, bardés de diplômes, tout heureux d'être enfin reconnus.

Dans le film, vous abordez aussi les tabous de la santé mentale et de l'orientation sexuelle...

En effet. "C'est un truc de Blancs", entend-on souvent. En l'absence de statistiques, on est dans le déni. Les personnes sur le terrain disent pourtant que la population qui augmente le plus dans les services psychiatriques sont les Noirs et les Arabes. Parce que les discriminations ont des conséquences sur le psychique.

Mon film entend donner aux gens l'envie de parler de toutes ces questions. Si on n'ose pas les aborder dans sa famille, qu'on puisse dire "tu devrais aller voir ce film".

J'aimerais que les victimes de racisme prennent conscience que ce qu'elles vivent est politique. Et que le groupe majoritaire prenne conscience de ses privilèges, de ce que c'est d'être perçu dès le plus jeune âge comme Autre. C'est très violent quand à 3 ans un autre enfant refuse de vous donner la main parce que vous êtes noir.

On ne peut se contenter d'un "Oh ça va! C'est juste un con, tu es trop émotive." Quand toute votre vie, vous croisez des "juste un con", il y a peut-être un problème systémique. Lié à un héritage d'esclavage, de colonialisme et de ghettoïsation d'une partie de la population.

Ouvrir la voix, documentaire d'Amandine Gay diffusé le 17 décembre à Bruxelles; le 21 et le 22 décembre au cinéma La Clef à Paris (5e).



Source : Lexpress


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