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Willy Sagnol, il le ruminait depuis longtemps ...

  Sport, #

Le propre d'une polémique, quand elle est brutalement médiatisée, est que très vite , plus grand monde ne parle de ce qui l'a amorcée, mais s'écharpe sur cet artefact qu'est devenue la polémique elle-même. Les réactions suscitées par les déclarations de Willy Sagnol au cours d'un entretien avec les lecteurs du quotidien Sud Ouest n'échappent pas à la règle. L'entraîneur des Girondins de Bordeaux, juste après avoir évoqué son souhait de recruter moins de joueurs africains afin que son équipe ne souffre pas de leur absence durant la Coupe d'Afrique des nations, affecte au "joueur typique africain" des qualités de combativité et de puissance, pour dire ensuite que "le foot ce n'est pas que ça (...), c'est aussi de la technique, de l'intelligence, de la discipline."


Willy Sagnol et Sidney Govou sous le maillot de l'équipe de France, en novembre 2005.

Ces mots résonnent inévitablement avec ceux de son confrère Laurent Blanc, dans le cadre de la réunion organisée au siège de la FFF en novembre 2011 pour évoquer un système de quota de joueurs binationaux (lire "Pas de Blacks, "pas de problème"?"). Embarqué dans une conversation scabreuse dont il n'était pas le principal protagoniste, le sélectionneur de l'équipe de France avait évoqué ces Blacks forcément "grands, costauds, puissants" avant, surtout, de poursuivre avec des considérations sur leur style de jeu, leurs comportements supposés ou encore leur absence d'une sélection espagnole alors triomphante [1].

LA PARADOXALE EFFICACITÉ DES STÉRÉOTYPES

Il n'y a pas de procès de Willy Sagnol à mener, mais on peut - à moins de les considérer comme anecdotiques, ce qu'ils ne sont cependant déjà plus - examiner ses propos, s'interroger sur leur origine et leur portée, les remettre en perspective avec d'autres qui les ont précédés et qui leur ressemblent. Cet examen n'a nul besoin de porter sur leur racisme supposé (ou pas), mais sur les stéréotypes qu'ils expriment si spontanément : plaider sa "maladresse" et fustiger la "malveillance" de ses détracteurs ne suffit pas à régler la question.

 

Cet examen doit aussi considérer que le racisme n'est pas une maladie que l'on contracterait subitement et qu'une analyse médicale positive révélerait, selon une logique manichéenne: on serait raciste, totalement, ou on ne le serait pas, du tout. Cette vision simpliste permet d'ignorer que le racisme et ses variantes prennent racine dans les impensés, les préjugés et les stéréotypes dont la regrettable efficacité réside dans leur caractère inconscient ou apparemment bénin. Cela ne signifie évidemment pas que tout usage de stéréotypes conduit au racisme, mais qu'on ne luttera jamais efficacement contre ce dernier sans faire avancer la prise de conscience que ses fondements existent chez chacun de nous - ce qui doit passer par de subtiles opérations de dévoilement plutôt que par des imprécations et des accusations qui ne servent qu'à braquer leurs destinataires et une partie des "spectateurs".

LE FOOTBALLEUR AFRICAIN EXISTE-T-IL ?

Le point de départ de l'affaire des quotas était le (soi-disant) problème des binationaux. Celui des propos de Willy Sagnol est celui des absences en club des internationaux africains participant à la CAN en période de compétition. Dans les deux cas, le raisonnement des protagonistes part d'un constat sur la nationalité des joueurs et sur les contrariétés que cela peut entraîner pour des techniciens. Et il se poursuit sur des stéréotypes généralisés à une catégorie bien mal définie de joueurs africains ou "blacks". C'est cet enchaînement qui interpelle, tant il exprime une pensée qui, spontanément, assigne des caractéristiques univoques à cette catégorie.

 

D'une part, cette catégorie, si elle a toute la force des évidences pour le sens commun (on est noir / africain ou on ne l'est pas), n'existe pas. L'extrême diversité des origines au sein d'un continent aussi vaste que l'Afrique devrait simplement interdire d'assigner des caractéristiques physiques ou comportementales communes à des populations aussi multiples. D'autre part, la catégorie des "footballeurs africains" est elle-même d'une homogénéité introuvable quand il s'agit de les réduire au cliché de joueurs forcément plus physique que les autres, en oubliant tous ceux, si nombreux, qui présentent des profils opposés. Ainsi vont les stéréotypes: tout ce qui vient les conforter est retenu, et tout ce qui les contredit est ignoré.

LA FABRICATION DES QUALITÉS "NATURELLES"

Il importe justement de considérer un autre mécanisme de renforcement des stéréotypes, dont les responsables du football français sont les auteurs inconscients - d'un bout à l'autre de ce mécanisme. Quand on recrute, pour les centres de formation ou les effectifs des clubs, des joueurs noirs en étant imprégné de l'idée que leurs qualités naturelles sont la puissance plus que la technique, il ne faudrait pas s'étonner de constater plus tard une surreprésentation de ce profil dans les centres de formation et les effectifs des clubs. Si la pensée raciste ou "pré-raciste" opère en transformant en nature des caractéristiques socialement construites, ici, les protagonistes attribuent à des déterminismes "naturels" les résultats de leur propres choix...

 

Le vivier des joueurs africains ou d'origine africaine est tellement vaste que s'ils le souhaitaient, les responsables de la formation et du recrutement des footballeurs pourraient ne produire que des joueurs menus, techniques et "intelligents" dans le jeu. Il y en a déjà suffisamment aujourd'hui pour en être convaincu. Comme dans l'affaire des quotas, ce sont les politiques de formation qui devraient être interrogées, elles et les "philosophies" qui les sous-tendent, les préjugés qu'elles mobilisent et qu'elles renforcent.

L'OBSESSION DES ORIGINES

Il ne sert à rien de stigmatiser Willy Sagnol. En soi la démarche est contre-productive s'il ne s'agit pas seulement de lui demander d'être responsable de ses propos et de reconnaître leur inanité au lieu de rester dans le déni (comme l'y incite le communiqué outragé des Girondins de Bordeaux ou la défense étrange des journalistes de Sud Ouest [2]). En revanche, il serait temps que le football français mène une véritable introspection sur la manière - décidément récurrente - qu'il a de voir dans l'origine des joueurs le principal facteur explicatif de leur physiologie, de leurs styles de jeu et même de leur mentalité, en niant sa propre responsabilité dans leur sélection et leur formation.

 

Cette obsession des origines n'est évidemment pas l'exclusive de ce sport, dans une société française qui a développé une véritable pathologie à cet égard, mais il pourrait avantageusement prendre l'initiative de cette thérapie.

Deux courbes se croisent de nos jours : d'un côté, celle des seuils de tolérance envers les propos discriminatoires, racistes, sexistes, etc. qui se sont progressivement abaissés ; de l'autre celle d'une (plus récente) recrudescence des discours discriminatoires, racistes, sexistes, etc., qui obtiennent leur banalisation. De ce croisement résulte une immense confusion, opposant les indignés trop systématiques et les désormais habituels pourfendeurs du "politiquement correct" ou des "bien-pensants", sous le regard des cyniques et des désinvoltes, dont la posture est encore plus stérile. À défaut de faire de cette affaire un scandale, saisissons plutôt l'occasion de faire avancer la réflexion.

[1] La défense des partisans de Sagnol ressemble d'ailleurs à s'y méprendre à celle de Laurent Blanc dans l'affaire des quotas: invoquer, pour s'en indigner, des accusations de racisme qui n'ont été proférées qu'à la marge - ce qui épargne à la "victime" de répondre desdits propos.
[2] Qui titrent"Pourquoi il n'y a pas de polémique Sagnol" un article dans lequel ils disent pourtant avoir préféré ne pas retranscrire dans la version écrite de l'interview la réponse de leur invité (réponse qui figure dans la vidéo) "à la fois par manque de place, mais aussi, c'est vrai, parce que nous avions perçu le risque de mauvaise interprétation", avant d'ajouter : "Mais pour avoir passé deux heures avec Willy Sagnol dans une atmosphère d'échange libre et direct, nous n'avons pas jugé qu'il y avait là matière à polémique."

Source : latta.blog.lemonde.fr


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