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Wole Soyinka : sa pièce "Opera Wonyosi" traduite en français

  Culture & Loisirs, #

"Opera Wonyosi". Opera sans accent pour l'universalité du terme. Voilà une pièce de théâtre, toujours d'actualité, dont on attendait la traduction en français, disons-le, depuis... 1977. C'est enfin le cas grâce aux éditions Présence africaine.

Que constate-t-on ? Que cette pièce a une force encore si actuelle. L'occasion pour Wole Soyinka, ce vendredi 19 décembre 2014, au siège de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) de s'exprimer sur le thème "Traduire en français : une dimension essentielle de la francophonie et du panafricanisme". 

Réunissant une pléiade d'intellectuels africains, cet événement s'est inscrit dans la tradition de Présence africaine, la maison d'édition fondée par Alioune Diop, toujours foyer de réflexion sur les mondes noirs, et cela depuis le fameux Congrès des intellectuels et artistes noirs de la Sorbonne, en 1956.

Ouverte par la directrice de la diversité et du développement culturel de l'OIF, Mme Youma Fall, à laquelle a succédé Mme Yandé Christiane Diop, directrice de Présence africaine éditions, l'après-midi a notamment permis d'entendre le professeur Souleymane Bachir Diagne sur les liens entre la question de la langue et celle du panafricanisme.

Entre l'option d'une langue d'unification pour l'Afrique prescrite par Cheikh Anta Diop, et celle d'un "remembrement" de l'Afrique dans la pluralité des langues, proposée par l'écrivain kenyan Ngugi Wa Thiong'o face au partage colonial du continent entre les francophones, anglophones et lusophones.

La traduction, langue du panafricanisme

Le professeur Souleymane Bachir Diagne a opté pour la seconde voie, celle de l'avenir, faisant de la traduction la langue du panafricanisme. Sur cette vision qui consiste à "vivre et naviguer entre plusieurs langues", l'écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop a témoigné en racontant son autotraduction du wolof en français de son roman "Doomi Golo", traduit à son tour dans plusieurs langues : "Nous ne devons pas nous délester de nous-mêmes pour aller vers les autres", a-t-il conclu, et peu après, le professeur Papa Samba Diop lui a fait écho en citant Édouard Glissant : "Tout homme est créé pour dire la vérité de sa terre."

L'image de cette rencontre, réunissant des francophones et des anglophones, à commencer par Wole Soyinka et son compatriote le professeur nigérian Abiola Irele, accueillis dans l'espace de la francophonie, était là pour symboliser cette nécessité de lien trop peu actif entre les différents espaces linguistiques du continent.

Lazare Ki Zerbo en donnait une autre preuve dans son travail d'exhumation des archives du panafricanisme, à travers les conférences d'intellectuels tout au long du XXe siècle, et la nécessité de traduire des textes non publiés venant aussi d'Haïti, de Trinidad ou du Brésil pour reconstruire une véritable bibliothèque panafricaine et aboutir à une encyclopédie en ligne.

Autour de Wole Soyinka, invité d'honneur de la manifestation, la traductrice Christiane Fioupou, à laquelle le dramaturge doit déjà la traduction de Baabou roi (Actes Sud), variation d' Ubu roi de Jarry, a raconté la genèse d' Opera Wonyosi qui vient de paraître. Cette oeuvre s'ouvre sur le discours d'un MC Di-Djay.

D'une modernité inouïe, il est déjà un dialogue linguistique et culturel puisque Wole Soyinka y a réuni deux sources d'inspiration : L'opéra de quatre sous de Bertold Brecht, lui-même inspiré de L'opéra du gueux de l'Anglais John Gay (1728). La pièce de Soyinka a été écrite à l'époque où le Nigeria, sorti de la guerre civile, connaissait le passage du "Oil boom" au "Oil doom", autrement dit la malédiction du pétrole pour la population de son pays.

"Le pouvoir est délicieux"

Sur le thème du pouvoir, la pièce est une diatribe en forme de satire des dictateurs indéboulonnables du continent, à travers un portrait satirique de Bokassa (dit Boky Coq Hardi), dont le couronnement a correspondu à la période d'écriture de la pièce. Cette concomitance explique que l'oeuvre soit située en Centre-Afrique dans le quartier nigérian de Bangui.

La conclusion de l' Opera Wonyosni, et son thème majeur, est d'une ironie lucide : "Le pouvoir est délicieux." Et c'est sur cette autocitation que Wole Soyinka a ouvert son discours après avoir fait le lien sur le thème des langues, rappelant comment le swahili avait été choisi comme une des langues officielles de l'Union africaine.

Wole Soyinka a invité les auteurs africains à conserver leurs droits d'auteur pour que leurs oeuvres soient traduites dans leur langue et dans d'autres langues africaines par les éditeurs du continent.

Puis, dans son allocution d'une très grande force intitulée Du pouvoir et de la liberté, le Prix Nobel a étendu la réflexion sur le pouvoir à l'oeuvre dans Wonyosi à l'actualité terrifiante du monde, en montrant comment l'évolution du pouvoir s'observait aujourd'hui par l'avilissement de la religion et la dégradation de la spiritualité humaine. Il a utilisé l'image d'une pièce de monnaie dont les deux faces seraient le pouvoir et la religion sans qu'il n'y ait plus de ligne de démarcation entre les deux.

L'exemple de l'Algérie

S'exprimant au lendemain d'un nouveau kidnapping par Boko Haram, fous sanguinaires qui frappent son pays à un rythme inhumain, le Prix Nobel de littérature a suggéré la construction de "walls of remembrance", murs du souvenir, où les noms des victimes de cette doctrine aveugle partout dans le monde seraient inscrits, musiciens, cinéastes, écrivains, journalistes.

Pour Soyinka, l'exemple de l'Algérie qui, à travers notamment le cas de l'écrivain Tahar Djaout, dont il a préfacé le livre posthume Le dernier été de la raison, a valeur de mise en garde au regard du fléau actuel (il a longuement cité le Mali). Dans la même ligne, Soyinka a recommandé la lecture du livre de l'universitaire algéro-américaine Karima Bennoune Your Fatwa Does Not Apply Here ("Votre fatwa ne s'applique pas ici").

Sa révolte contre les attentats commis en son pays, ses mots pour décrire la façon dont les terroristes dans un narcissisme morbide "savourent" jusqu'à l'angoisse des parents de jeunes filles ont vivement ému l'assemblée. Dans un monde d'une violence inouïe, le Prix Nobel, qui a eu 80 ans cette année, ne cède pas sur sa parole de militant présente dans son oeuvre protéiforme (théâtre, essais, autobiographie, romans), renouvelée par voie de presse et à l'occasion de conférences comme celle-ci. Elle s'est achevée sur sa réactualisation du célèbre mot lancé par Bill Clinton à Bush père : "It's the economy, stupid" et qui, de nos jours, selon Soyinka, serait judicieusement remplacé, ou du moins complété par, "it's the power drive, innocent".

* OIF : Organisation internationale de la francophonie

"Opéra Wonyosi" de Wole Soyinka, traduit de l'anglais par Christiane Fioupou, édition Présence africaine.


afrique.lepoint.fr


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