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Yacine Fal : "On sent une véritable volonté de mieux connaître les marchés du continent"

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La relation entre le royaume chérifien et les pays d'Afrique subsaharienne est marquée par un décalage entre le niveau des investissements et celui des échanges commerciaux. Au-delà du constat de cette réalité, Yacine Fal, représentante résidente de la Banque africaine de développement (BAD) à Rabat, met au jour, dans l'entretien accordé au Point Afrique, les réalités, les domaines, les démarches et les axes de cette relation qui ne cesse de se développer, accompagnant la volonté des autorités chérifiennes de faire du Maroc un hub. 

Le Point Afrique : quelle analyse faites-vous de la stratégie africaine du Maroc ?

Yacine Fal : Il s'agit d'une stratégie prioritaire et portée au plus haut niveau du pays. On n'a jamais vu un chef d'État passer près d'un mois dans une région d'Afrique, deux ans de suite, comme l'a fait le roi du Maroc. Le souverain chérifien veut ancrer le Maroc en Afrique et ce n'est pas une si grande évidence ! Pour la plupart des instances internationales, le Maroc relève de la région Mena. Cette volonté royale se traduit concrètement par la position acquise par le Maroc de deuxième investisseur africain en Afrique après l'Afrique du Sud. La stratégie marocaine est extrêmement positive parce que les premières grosses entités privées à avoir investi en Afrique, ce sont les banques. Elles ont à présent une bonne connaissance des pays où elles sont installées et facilitent donc l'accès de leurs marchés aux autres entreprises marocaines.

Vous évoquez le niveau d'investissement marocain en Afrique, mais le Maroc n'est que le 46e partenaire commercial de l'Afrique. Comment expliquer ce décalage ?

Nous avons constaté, nous-mêmes, la faible complémentarité des exportations marocaines et des importations africaines. Il y a, au contraire, une plus grande complémentarité avec l'Égypte. Le Maroc a besoin de travailler sur cette complémentarité. Au-delà de la volonté politique, il y a aussi un besoin, des acteurs de ces échanges, d'une meilleure connaissance des marchés cibles. C'est en cela qu'il est intéressant de voir le temps passé par l'Asmex ou Maroc Export dans certaines régions africaines. On sent une véritable volonté de mieux connaître les marchés du continent.

D'autres économies maghrébines, comme la Tunisie et l'Égypte, ont des niveaux d'exportation vers l'Afrique subsaharienne supérieurs au Maroc. Pourquoi ?

L'économie tunisienne est diversifiée et connaît une certaine sophistication qui explique son niveau d'exportation, mais cela est compensé, aujourd'hui - et même avant la période difficile actuelle -, par l'absence de démarche concertée, de stratégie politique. Je dirais que l'écart entre le Maroc et la Tunisie est lié à la structure des économies, alors que le cas de l'Égypte s'explique par une volonté politique. L'Égypte est membre de la Comesa et est partie à la Tripartite, ces accords de libre échange couvrant toute la partie est de l'Afrique, Égypte incluse. Résultat : l'Afrique de l'Est et l'Afrique australe constituent aujourd'hui la région la plus intégrée du continent.

Rien n'empêche le Maroc de s'associer à l'Afrique de l'Ouest. Un ministre marocain n'a-t-il pas évoqué l'idée de l'adhésion du Maroc à la Cedeao (Communauté des États d'Afrique de l'Ouest). Ce ne serait pas une incongruité. De même que le Nil lie les différents pays d'Afrique de l'Est autour d'une même problématique, le Sahel et le Sahara offrent une zone d'intérêt commun à l'Afrique de l'Ouest et au Maroc.

La politique de change restrictive de Bank Al-Maghrib (BAM), la banque centrale marocaine, n'explique-t-elle pas également le retard pris par les exportations marocaines ?

Bank Al-Maghrib a une très bonne connaissance du panorama africain. Elle mène une politique monétaire rigoureuse et prudente, et c'est son rôle. Ses relations avec les autres banques centrales d'Afrique sont suffisamment solides pour offrir des possibilités de collaboration qui peuvent faciliter les échanges. Il y a une volonté, malgré ce contrôle rigoureux des changes, de s'adapter progressivement à la réalité commerciale et des investissements marocains en Afrique.

En quoi la BAD soutient-elle l'engagement économique du Maroc en Afrique ?

L'intégration régionale est l'une des missions premières de la banque. Aujourd'hui, l'Afrique est la région du monde dont les échanges intrarégionaux sont les plus faibles. Cela coûte à l'Afrique 2 points de croissance par an, voire plus. Dans notre soutien au Maroc, il y a plusieurs formes d'intervention, dont l'appui à la compétitivité, le financement du grand programme d'infrastructures qui impactent directement l'activité commerciale du Maroc.

Actuellement, nous travaillons sur une analyse des barrières tarifaires en Afrique. Nous avons été également sollicités par Maroc Export pour savoir comment appuyer les exportations et les investissements marocains en Afrique. Je dirais que, jusqu'ici, nous travaillions globalement au développement commercial international du Maroc et donc indirectement, du fait de sa propre stratégie africaine, à son développement en Afrique, mais qu'aujourd'hui nous sommes de plus en plus sollicités dans une perspective purement africaine.

Aujourd'hui, la balance commerciale du Maroc, dans ses échanges avec le reste de l'Afrique, est très largement excédentaire. N'y a-t-il pas un risque de voir apparaître une nouvelle relation du type nord-sud en Afrique, entre des pays qui émergent rapidement, comme le Maroc et l'Afrique du Sud, et les autres ?

Le Maroc, dans les discours officiels, est clairement dans une démarche sud-sud, de codéveloppement, de relation gagnant-gagnant. C'est sûr que, dans la réalité, il y a des évolutions à géométrie variable, c'est un fait. Il ne faut pas reproduire des relations semblables à celles que l'on a connues pendant et même après la colonisation. Ce serait une démarche vouée à l'échec pour tous, un marché de dupes. Il faut instaurer un dialogue, réaliser des contreparties économiques, en termes d'emplois...

Pourtant, le Maroc se positionne comme la porte d'entrée de l'Afrique pour l'Union européenne et la France se saisit de ce discours pour expliquer aux entreprises marocaines et françaises qu'elles doivent s'associer pour conquérir l'Afrique.

Je pense qu'il s'agit d'un discours très générationnel que l'on entend assez peu chez les jeunes. Ceux-là n'ont pas grandi dans ce contexte et ne sont pas disposés à l'accepter. Par ailleurs, à ceux qui parlent du potentiel d'une coopération triangulaire Maroc-Europe-Afrique, je rappellerai que le Maroc est en Afrique ! Il faut également rappeler que, comme pour le Maroc, l'Union européenne est le premier partenaire commercial de l'Afrique. Même s'il y a eu un recul de leur présence, les grandes entreprises européennes, notamment françaises, sont bel et bien installées dans de nombreux pays africains. Jusqu'ici, l'Afrique subsaharienne n'a pas eu besoin du Maroc pour attirer les investissements européens ! Imaginer que la transformation des produits agricoles bruts africains pourrait se faire au sein de l'industrie marocaine plutôt qu'en Europe, par exemple, serait également une erreur. Le besoin de transformer sur place leur production agricole concerne tous les pays. Il ne faut pas passer d'un paradoxe économique à un autre.

Dans ce cas, de quelle façon la coopération économique et commerciale du Maroc avec le reste de l'Afrique doit-elle avoir lieu ?

Il y a des chaînes de valeurs qui peuvent se dessiner. Le Maroc s'est engagé dans de forts investissements dans son infrastructure logistique. Un système associant la production africaine et son exportation via les moyens logistiques marocains qui permettrait une baisse du coût des exportations est un exemple de chaîne de valeurs intégrée au niveau continental dans l'intérêt de chacun. Il faut également se dire que, malgré l'écart de développement des différents pays d'Afrique, le Maroc peut bénéficier des expériences de plusieurs pays africains. Je pense, par exemple, au développement du mobile banking, dont le Maroc pourrait s'inspirer, ou encore à l'évolution fulgurante du marché du textile en Éthiopie. Il faut qu'il y ait de part et d'autre des opérateurs qui échangent vraiment.



Source : afrique.lepoint.fr


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