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A Lisbonne, le rythme est dans l'afro

  Musique, #

A Lisbonne, les soirées commencent rarement avant 1 heure du matin, la "Noite Príncipe" ne déroge pas à la règle. Chaque mois depuis 2012, le Musicbox, un club à la fois populaire et branché niché sous un pont dans un quartier festif, accueille ce rendez-vous aussi musical que social où s'apprivoisent progressivement deux publics, celui du centre et celui des ghettos du nord de la ville. C'est un label, Príncipe, qui est derrière ces soirées. Leurs artistes sont tous issus des cités HLM et ramènent leur propre public, qui jusqu'alors fréquentait peu le centre-ville. " Quand un jeune des cités vient pour la première fois à la Noite, il est surpris de voir des Blancs réunis autour de la musique des ghettos, remarque Nélson Gomes, l'un des instigateurs de Príncipe. Les premières soirées étaient un peu frileuses, mais les DJ ont ramené leurs amis, et le mélange s'est fait. Les Blancs dansent désormais avec les Noirs, certains flirtent même, ce qui n'aurait pas été imaginable auparavant." Au début, les gamins de la périphérie et les Lisboètes du centre gardaient leurs distances en début de soirée, mais dès l'arrivée des DJ, stars locales appréciées au-delà des clivages sociaux, l'euphorie gagnait la piste de danse et plus personne ne restait dans son coin. Aujourd'hui, la Noite Príncipe est un des événements les plus courus de la capitale portugaise.

Breakbeat et kuduro

C'est aussi un symbole de l'intégration des anciennes colonies dans la culture pop portugaise, un mélange qu'on retrouve aujourd'hui autant dans les clubs qu'à la radio. Longtemps écoutées par les seuls enfants issus de leurs communautés, les musiques traditionnelles des anciennes colonies portugaises du Cap-Vert et de l'Angola telles que la kizomba, le kuduro ou le funaná font dorénavant partie du paysage musical du pays. Ce métissage a été initié vers la fin des années 2000 par les indomptables Buraka Som Sistema, un big band né dans la banlieue nord de Lisbonne dont le mélange de techno, breakbeat et kuduro traditionnel a rapidement enflammé les scènes du monde entier. Depuis, le phénomène n'a cessé de prendre de l'ampleur.

En tout juste une dizaine de disques, le label Príncipe a imposé le son afro-portugais sur la scène électronique et attiré l'attention des médias internationaux. L'histoire de ces jeunes des quartiers pauvres devenus des DJ demandés sur les dancefloors du monde entier a vite été relayée, leur offrant une reconnaissance à laquelle ils n'avaient pas eu droit. C'est Nélson Gomes, alors programmateur du ZDB, un petit lieu alternatif à Lisbonne, qui est le premier à réaliser le potentiel de ces jeunes DJ et musiciens lors d'une scène ouverte dans leur quartier de Quinta do Mocho (au nord-est de la capitale) en 2010. Frappé par l'intensité et la fraîcheur de cette rencontre entre dance music et rythmes des anciennes colonies africaines, il monte rapidement une petite maison de disques pour les faire connaître. "Nous leur avons proposé de sortir cette musique hors de leur réseau, alors que certains ignoraient même ce qu'était un vinyle, raconte-t-il. Ils étaient cantonnés à leurs soirées de rue et à leurs radios communautaires, et on voulait les exposer à un autre public pour voir ce que ça donnerait."

Après une phase d'apprivoisement mutuel, Príncipe a exporté le gang de jeunes DJ hors de leurs quartiers, puis du Portugal. Parmi eux, Nigga Fox, le plus en vue actuellement, Marfox, le parrain historique, puis les petits derniers Firmeza (1), Lycox et Nidia Minaj, pour certains encore mineurs et sur les bancs du lycée. Leurs morceaux sont courts et bidouillés sur des logiciels bas de gamme, leur style naturellement décalé, et leurs influences viennent d'un pays dont ils sont originaires sans l'avoir forcément connu. "Pour la plupart, leur destin était de travailler dans le bâtiment ou de passer leur vie à fumer devant leur HLM, raconte Nélson Gomes. Pour eux, la musique est désormais une alternative crédible et possible." Ce sera probablement le cas de ceux auxquels l'emblématique label anglais Warp a commandé des morceaux pour les compilations d'afro-dance Cargaa (2), dont le troisième volume sort ce mois-ci. Paraître sur un label aussi réputé est une aubaine inattendue pour ces jeunes producteurs dont la culture electro se limite, de leur propre aveu, à David Guetta. Mais la reconnaissance la plus importante reste à leurs yeux celle de leurs pairs, et la dernière consécration en date n'est pas des moindres : le portrait de Marfox a été préféré pour recouvrir une façade de Quinta do Mocho à celui de Carlos Mané, footballeur du même quartier pourtant immensément plus populaire.

"Faire le pont avec l'Afrique"

Au Portugal, la fusion des rythmes africains avec la house, l'electro ou la pop s'est faite très progressivement. C'est une histoire que connaît parfaitement Pedro Coquenão. Grand amateur de musique africaine, ce DJ et producteur blanc est né en Angola, et dit avoir connu le même ostracisme qu'un Noir quand il est arrivé enfant dans les banlieues pauvres de Lisbonne. Il fait aujourd'hui de la musique afro-pop et son nom de scène, Batida, est encore une autre appellation de la musique des anciennes colonies. En concert, il est rejoint par des danseurs dans un show très théâtral imprégné de culture angolaise où s'entremêlent jeux de scène et vidéos sur l'histoire de son pays d'origine. Il tourne dans tout le Vieux Continent, et notamment en France, où il a bousculé la dernière édition des Eurockéennes de Belfort. Récemment, on l'a également vu en première partie de Stromae, et son succès est maintenant comparable à celui de Buraka Som Sistema qui a sorti son troisième album, Buraka, en 2014.

Pedro Coquenão-Batida raconte mieux que personne la genèse de ce métissage. "Avant, les Portugais blancs osaient peu emprunter à la musique cap-verdienne ou angolaise. Puis, quand la house américaine est arrivée dans les clubs de Lisbonne au début des années 90, certains DJ jouaient avec des éléments de musique " t ribale" dans leurs sets. On a ensuite vu des groupes de hip-hop ou de reggae portugais comme Cool Hipnoise ou les Space boys [deux projets constitués par les mêmes musiciens, ndlr] te nter de faire le pont avec l'Afrique, et aussi quelques DJ ou rappeurs noirs comme General D ou Amorim introduire le kuduro. Mais l'industrie musicale et le public n'étaient pas prêts, les choses ne se sont débloquées qu'avec le succès de Buraka Som Sistema dans la deuxième moitié des années 2000."

"La nouvelle salsa"

Aujourd'hui, même la pop la plus grand public du Portugal se teinte de rythmes afro. Toute une génération de chanteurs noirs occupe le devant de la scène, et son audience est bien plus mixte qu'auparavant. Il y a parmi eux des stars qui remplissent les plus grandes salles du Portugal et tournent souvent à l'étranger, comme l'idole des jeunes Nelson Freitas, chanteur à midinettes extrêmement populaire dont le r'n'b est mâtiné de zouk cap-verdien et de kizomba angolais. " Les choses ont beaucoup changé en deux ans, relate-t-il dans le magazine portugais Notícias. Jusque-là peu intéressé, le public portugais blanc représente maintenant 30 % des acheteurs de disques de kizomba... Bientôt, notre musique occupera la même place que la musique latine, on deviendra la nouvelle salsa ! "

Fait rare dans un paysage médiatique portugais très blanc, le télé-crochet The Voice a intégré dans son jury Anselmo Ralph, sorte de Justin Bieber angolais mêlant r'n'b et kizomba, aux côtés d'une chanteuse de fado et d'un musicien rock. "C'est un grand pas en avant, juge Batida. Chez les enfants d'origine africaine, Anselmo Ralph est plus populaire que Mickey Mouse. Je n'aurais jamais imaginé une telle ouverture il y a quelques années. A l'époque, la présence africaine dans les médias était réduite à quelque chose d'exotique, de rigolo. Désormais, nous appartenons à la culture populaire et à l'identité portugaise à part entière . "

(1) DJ Firmeza (Alma Do Meu Pai) et Blacksea Não Maya (à venir sur Príncipe). (2) Cargaa 3 (Warp). I Love Kuduro, documentaire de Mário Patrocínio (2014, 1 h 36, circule actuellement en festival).



Source : next.liberation.fr


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