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"Odyssées africaines" : l'expo où l'art convoque l'histoire

  Culture & Loisirs, #

"Où sont vos monuments, vos batailles, martyrs ? / Où est votre mémoire tribale ? Messieurs, dans ce gris coffre-fort. La mer. La mer les a enfermés. La mer est l'Histoire".

Ainsi débute The Sea is History, poème écrit en 1930 par Derek Walcott, dans lequel l'auteur, confronté à l'oubli, convoque l'océan comme témoin de l'Histoire et notamment des migrations, forcées ou volontaires.

Au sein de l'exposition Odyssées africaines, proposée par le Brass, centre culturel de Forest, en Belgique, dix-sept artistes, originaires de l'Afrique du Sud à la RDC, en passant par le Botswana ou le Mozambique, font appel à l'histoire du continent à l'aide de supports chargés de traces du passé, pour livrer leur récit personnel de ce paysage mémoriel.

© Anders Sune Berg / ©8e Biennale d'art contemporain de Berlin

"La croisière noire" revisitée

Le point de départ est une expédition coloniale française, "La croisière noire", qui a parcouru le continent du Sud à l'Est, en 1925. A travers des peintures, des photographies, des installations, des vidéos et des performances, ces artistes souvent très jeunes, revisitent cette traversée sous un jour contemporain. "Le regard porté sur le monde demeure très européanocentré et projette une image de l'Afrique souvent biaisée, en occultant ses relations avec les autres continents ou en niant son histoire. Le discours de Dakar prononcé par Nicolas Sarkozy en 2007, a témoigné de la profonde méconnaissance de l'Afrique. Dans cette exposition, à partir d'un point de départ métaphorique, les artistes scrutent les points de contact entre l'Histoire et leur réalité contemporaine, à travers des thèmes tels que le matériau historique, mais aussi le corps et l'espace urbain", explique Marie-Ann Yemsi, commissaire générale de l'exposition.

L'art, au delà de l'origine africaine

Pour Marie-Ann Yemsi, pas question de proposer une scène ou un courant artistique, encore moins un parcours géographique. Elle refuse même l'expression d'"artistes contemporains africains" : "Il s'agit juste d'artistes contemporains qui sont issus du continent africain". Si certains artistes ont déjà atteint une renommée internationale - Sammy Baloji, Emma Wolukau-Wanambwa, Meleko Mokgsi -, ils n'ont, pour la plupart, jamais ou que rarement été exposés en Europe. "Je remarque que le regard qui se tourne de plus en plus vers le continent est d'abord motivé par des raisons économiques. L'Afrique va devenir la prochaine tendance artistique. Mais la mode n'est pas ce qui m'intéresse, je préfère donner à voir des artistes engagés, qui possèdent des points de vue critiques et divers sur leur époque", ajoute la commissaire.

© DR

Une perspective hors-champs

En guise de prélude, Meleko Mokgosi ouvre ce voyage initiatique en questionnant la représentation du monde à travers les mots, dans Modern Art : The root of African Savages II. Le support n'est autre que les cartels d'une exposition proposé par le MoMA en 2012. Entre ratures et réécritures, il s'interroge : comment Matisse et Picasso, qui se sont tant inspirés de l'Afrique, ont-ils pu à ce point occulter le colonialisme ? Plus loin, il se joue à nouveau des perspectives, sur une fresque aussi monumentale que spectaculaire, Fully Belly, séquencée de manière quasi cinématographique. À partir d'archives dénichées en Ouganda, Emma Wolukau-Wanambwa exhibe de son côté les livres envoyés par l'occident. A vocation éducative, ils sont pourtant obsolètes : "J'ai soustrait ce livre de la bibliothèque, je l'ai retourné à l'Ouest", s'indigne-t-elle. Un peu plus loin, Sammy Baloji, à travers une collaboration avec la danseuse et réalisatrice cubaine Lazara Rosell Albear, décrypte l'hybridation des cultures via la symbolique associée aux objets. Un va-et-vient culturel, symbolisé par ces poupées en forme de sirènes et intégrées au culte cubain, qui sont à l'origine issues de la proue des colons. Les non-dits de l'histoire sont aussi mis en exergue par le gigantesque tableau de craie de Kermang Wa Lehulere, qui analyse de manière presque mécanique les problématiques de développement, sur fond de domination coloniale. Une œuvre éphémère, dont certains détails s'estompent déjà.

La liberté a-t-elle un genre ?

Également sondées, les questions de la liberté individuelle, du genre et de l'homosexualité. Une thématique dont s'empare Athi-Patra Ruga à travers une sculpture Approved Model of the New Azania ainsi qu'une tapisserie Proposed Model of the New Azanian, à tel point stylisées que le kitsch n'est pas loin. Les toiles bigarrées de Portia Zvavahera fouillent la relation qui unit la féminité au sacré, tandis que Rehema Chachage analyse les traditions de la Tanzanie, pays moderne mais dont les rites sont généralement peu propices à l'émancipation des femmes. Dans sa vidéo The Flower, les volutes du henné colonisent le corps jusqu'à faire disparaitre la femme, avant qu'elle ne soit donnée en mariage. Pour sa part, l'installation d'Ato Malinda se mesure au tabou de l'homosexualité en restituant des conversations, parfois escamotées, entretenues dans différents lieux de Nairobi.

La ville, lieu de tous les contrastes

L'exploration ausculte également l'espace urbain et le (non) politique. Dans sa vidéo MD370, Rina Ralay-Ranaivo met en image Tanarive, une ville qui se fige, nostalgique d'une grandeur passée. Dans ses éclatants portraits, Yves Sambu mêlent ses deux passions, les cimetières et la SAPE (Société des ambianceurs et des personnes élégantes). "Alors que les cimetières ont séparés les morts des vivants au moment de la colonisation, l'artiste les réunit à nouveau par l'intermédiaire de cette mode vestimentaire des années 20, qui fut à l'origine un mouvement de résistance, destiné à singer l'envahisseur", note Marie-Ann Yemsi. Au terme de l'exposition, Georges Sanga, via une série de diptyques, revisite la perception d'une icône africaine à travers des images d'archive de Patrice Lumumba, figure de l'indépendance congolaise. A ces photos, il associe son propre portrait, anonyme. "J'ai tout conservé, sauf la politique, car c'est le désespoir", affirme-t-il. L'objectif est réussi pour ce parcours riche d'œuvres intenses, au terme duquel le spectateur s'attache à décoloniser son imaginaire, pour recomposer une représentation du monde en dehors des clichés.

Source : afrique.lepoint.fr


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